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Barbey d'Aurevilly: Le Bonheur dans le crime - Les Diaboliques

Publié le 17/01/2022

Extrait du document

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Je ne la voyais alors que de profil; mais, le profil, c'est l'écueil de la beauté ou son attestation la plus éclatante. Jamais, je crois, je n'en avais vu de plus pur et de plus altier. Quant à ses yeux, je n'en pouvais juger, fixés qu'ils étaient sur la panthère, laquelle, sans doute, en recevait une impression magnétique et désagréable, car, immobile déjà, elle sembla s'enfoncer de plus en plus dans cette immobilité rigide, à mesure que la femme, venue pour la voir, la regardait; et - comme les chats à la lumière qui les éblouit - sans que sa tête bougeât d'une ligne, sans que la fine extrémité de sa moustache, seulement, frémît, la panthère, après avoir clignoté quelque temps, et comme n'en pouvant pas supporter davantage, rentra lentement, sous les coulisses tirées de ses paupières, les deux étoiles vertes de ses regards. Elle se claquemurait.  - Eh! eh! panthère contre panthère! - fit le docteur à mon oreille; - mais le satin est plus fort que le velours.  Le satin, c'était la femme, qui avait une robe de cette étoffe miroitante - une robe à longue traîne. Et il avait vu juste, le docteur! Noire, souple, d'articulation aussi puissante, aussi royale d'attitude, - dans son espèce, d'une beauté égale, et d'un charme encore plus inquiétant, - la femme, l'inconnue, était comme une panthère humaine, dressée devant la panthère animale qu'elle éclipsait; et la bête venait de le sentir, sans doute, quand elle avait fermé les yeux. Mais la femme - si c'en était un - ne se contenta pas de ce triomphe. Elle manqua de générosité. Elle voulut que sa rivale la vît qui l'humiliait, et rouvrît les yeux pour la voir. Aussi, défaisant sans mot dire les douze boutons du gant violet qui moulait son magnifique avant-bras, elle ôta ce gant, et, passant audacieusement sa main entre les barreaux de la cage, elle lui fouetta le museau court de la panthère, qui ne fit qu'un mouvement... mais quel mouvement!... et d'un coup de dents, rapide comme l'éclair!... Un cri partit du groupe où nous étions. Nous avions cru le poignet emporté: Ce n'était que le gant. La panthère l'avait englouti. La formidable bête outragée avait rouvert des yeux affreusement dilatés, et ses naseaux froncés vibraient encore...

On peut repérer dans le premier paragraphe de nombreux termes se rapportant au regard : « voyais «, « je n'en avais jamais vu «, « ses yeux...fixés «, « venue pour la voir «, « la regardait «, « éblouit «, « clignoté «, « ses paupières «, « ses regards «. Les deux premières occurrences du verbe « voir « désignent le regard porté par le narrateur sur la femme en noir. Toutes les autres dénotent les regards de celle-ci et de la panthère. La femme se plaît à regarder fixement et longuement la panthère dans sa cage. Elle est « venue pour la voir «. Le narrateur observe aussi les réactions de l'animal, perçoit son agacement : la panthère ne peut supporter le regard de la femme et ferme les paupières.  Ce face-à-face est bien l'affrontement de deux regards perçants. Celui de la femme n'est pas décrit mais son pouvoir magnétique est signalé. Quant à celui de la panthère, il est évoqué par une métaphore : « les deux étoiles vertes de ses regards «, qui souligne leur beauté et leur éclat. L'animal sort vaincu de cet affrontement que la femme triomphante veut prolonger. Elle force alors la panthère à rouvrir les yeux. Dans la dernière phrase de l'ex-trait, c'est la colère qu'ils expriment.

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« 1.

La perfection et la noblesse de la figure féminineUne beauté inédite pour le narrateur, comme le souligne la phrase deux.

Encore ne s'agit-il là que du profil.

Simplesigne ou « attestation » d'une beauté plus complète qui reste à découvrir.

La tournure négative et le comparatif desupériorité accentuent ce caractère inédit.

« Pur » évoque la finesse des traits, le dessin parfait du corps vu deprofil.

« Altier » désigne une démarche noble, quelque peu hautaine et fière.

Il laisse entrevoir le caractère ets'accorde bien avec l'attitude provocante.

L'adjectif « altier » est confirmé par la remarque du paragraphe trois : «royale d'attitude ».

Le vêtement met en valeur la perfection de son corps, d'abord la robe de satin puis le gant « quimoulait son magnifique avant-bras ».

On pourrait parler d'une beauté sculpturale et assimiler cette femme à Vénus,mais elle n'a pas la rigidité d'une statue, bien au contraire. 2.

Une beauté singulière et félineSon corps a la souplesse de la panthère, mais aussi la puissance.

Elle est tout le contraire d'une féminité gracile etfragile.

Comparatifs d'égalité dans la troisième phrase du dernier paragraphe : « aussi puissante, aussi royaled'attitude », et l'expression « d'une beauté égale » soulignent la ressemblance de la femme et de la panthère.Ressemblance de couleur (celles de la robe et du pelage), de forme (la souplesse et la lenteur du mouvement) et depuissance.

D'où la comparaison : « était comme une panthère humaine ».

Les deux êtres méritent le termegénérique de « panthère ». 3.

Ressemblance et rivalitéSi le regard de la femme ne peut être aperçu par le narrateur, celui de la panthère est bien visible et admirable.Métaphore : « les deux étoiles vertes de ses regards ».

La beauté du regard est soulignée.

Par ailleurs, les adjectifsen apposition « noire », « souple » pourraient aussi s'appliquer à l'animal. Cette ressemblance n'échappe pas à l'animal, mais ce qu'il y a d'insupportable pour celui-ci c'est la supériorité de lafemme.

En plus de la beauté, celle-ci possède « un charme encore plus inquiétant », un pouvoir magnétique quienvoûte aussi bien l'animal que le narrateur observant la scène.

Il y a là une rivalité dont se glorifie la femme.TransitionCelle-ci est venue contempler longuement l'animal, se mesurer avec lui.

Il faut alors s'interroger sur le sens de sondéfi. II.

Le défi et l'affrontement Le narrateur nous relate une scène d'affrontement entre les deux êtres, incarnations de la beauté, de la perfectionplastique.

C'est la femme qui vient provoquer, agresser le fauve. 1.

Le regard de la femme : une agressionL'arme de la femme : le regard laissant « une impression magnétique et désagréable ».

L'importance du champ lexicaldu regard dans le premier paragraphe montre que c'est par lui que la femme cherche à humilier le fauve.

Celui-ci estdu reste sur la défensive, il est agressé par la lumière comme peuvent l'être les chats, et finit par se protéger enfermant les paupières.

Ce premier affrontement dure longtemps (« mesure que la femme [ la regardait ») et s'achèvepar le « triomphe » de la femme.

Mais l'animal ne montre d'abord aucune fureur, aucune précipitation dans saretraite. 2.

L'escalade L'animal agresséÀ ce premier affrontement silencieux et durable succède l'épisode fulgurant du gant dévoré par la panthère.Contraste entre la lenteur et la rapidité, entre le calme et la fureur de l'animal, une nouvelle fois provoqué par lafemme.

Celle-ci cherche un conflit violent.

Le geste avec le gant, inconscient, a quelque chose d'humiliant pour lapanthère.

Fouetter son museau, c'est la rabaisser au rang des animaux domestiques que l'on peut taquiner ouréprimander tout à son aise.

Ce geste a aussi quelque chose de symbolique : il rappelle le gant jeté à l'adversaire ensigne de défi.

C'est la femme qui est seule responsable de toute cette scène. 3.

Le sens de ce défi : la vanité, l'inconscience de la femmePourquoi ce défi ? La femme teste d'abord la puissance de son regard, consciente d'avoir en face d'elle son égale enbeauté et en force.

Elle est une combattante dont l'arme est le regard.

Le narrateur parle de triomphe, mais pour enatténuer aussitôt l'importance : « si c'en était un ».

Il tient à tempérer l'héroïsme de l'inconnue.

S'il est lui aussifasciné par son allure, il désapprouve implicitement une conduite arrogante.

La femme est dominée par la vanité, «elle manqua de générosité » en cherchant à humilier son ennemie.

Si elle a hérité du guerrier, du chevalier, lanoblesse et le courage, il lui manque cette qualité des âmes bien nées qui est la générosité, au sens où un héroscornélien peut en avoir.

Il y a chez elle, associée à la vanité, une cruauté particulière. Transition. »

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