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CHARLEMAGNE et la littérature

Publié le 21/11/2018

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CHARLEMAGNE. Couronné empereur d’Occident en 800, il est canonisé le 29 décembre 1165, sur l’initiative de Frédéric Ier.

 

Entre sa mort, survenue en 814, et l’acte de canonisation, la légende carolingienne avait fleuri, excitant les imaginations populaires autant que les ambitions antagonistes des rois de France et des empereurs germaniques.

 

La Vita Karoli magni d’Éginhard. comme les Annales qui ont été attribuées — à tort — à ce même écrivain carolingien, dépeignent un empereur à la romaine, pro

 

che des modèles de Suétone, auquel s’ajoutent des traits spécifiquement chrétiens. L’idéal de saint Augustin transparaît dans le portrait moral et intellectuel : politique d’ordre et de justice, défense de l’Église, protection de la veuve et de l’orphelin. Chef de guerre, Charlemagne convertit par la force les peuples barbares. L’image est donc idéalisée dans le sens des idées de la Renaissance carolingienne.

 

Alcuin, savant et précepteur de Charlemagne, présente le souverain comme un « nouveau David », toujours victorieux, roi sacré du nouveau peuple élu, héros qui abaisse les orgueilleux et assure la paix du monde. Alcuin caresse d'ailleurs le rêve d’un Empire universel.

 

Mais c’est en terre germanique que se développe l’image la plus riche d’ambiguïté et d’avenir. Tout en critiquant les abus et les fautes — voire les péchés — de Charlemagne, le clergé germanique le rapproche du monde surnaturel. Dans la Visio Karoli magni, un ange lui donne une épée de la part de Dieu lui-même.

 

Peu à peu, s’accrédite la légende d’un Charlemagne croisé. S’il est exact que l’empereur avait combattu les incursions sarrasines sur son territoire (à Narbonne, en 793, par exemple), il ne faut néanmoins pas oublier que ses relations avec le calife de Terre Sainte étaient excellentes. Toujours est-il qu’au XIe siècle on se représente Charlemagne parcourant la Terre entière pour réduire les peuples rebelles au Dieu chrétien.

 

Dans la première moitié du XIIe siècle, Othon de Frei-sing affirme que l’empire de Charlemagne, cité terrestre, n’est pas autre chose que la préfiguration de la Jérusalem céleste.

 

En France, à la même époque, le pseudo-Turpin et l’auteur du Liber Sancti Jacobi associent l’empereur à l’organisation du pèlerinage de Saint-Jacques de Com-postelle. Géant d’une force prodigieuse, Charlemagne apparaît comme l’instrument des volontés divines.

 

Cette idéologie se retrouve dans l’historiographie, et particulièrement dans les chroniques universelles. Charlemagne y est traité comme un maillon essentiel de l’histoire universelle, et toutes s’appesantissent sur ce règne prestigieux; mais elles ne font généralement que reprendre l’image augustinienne d'Alcuin et les récits d’Éginhard. Les chroniques en français trahissent parfois une orientation différente. Ainsi la Chronique rimée de Philippe Mouskès (xiiie siècle) consacre le tiers de ses développements (10 000 vers sur 31 000!) au règne de Charlemagne : l’influence des chansons de geste s'ajoute à celle du pseudo-Turpin, et le culte des reliques définit plus une mystique royale qu’une idéologie purement cléricale. Les conditions politiques du XIIe et du xme siècle ne sont sans doute pas étrangères à cette orientation.

 

Dès le XIIe siècle, Frédéric Barberousse et les Capétiens s’efforcent de recueillir chacun l’héritage du grand empereur. Le mariage de Louis VII avec Adèle de Champagne, descendante de Charlemagne, faisait du Capétien un prétendant à l'empire. C’est dans ce contexte qu’est née et que s’est développée la légende épique.

 

Dans la Chanson de Roland, la dignité impériale prend une valeur quasi mystique. Entouré de ses douze pairs (comme le Christ de ses apôtres), Charlemagne, nouveau Josué, voit le soleil s’arrêter pour lui permettre d’achever victorieusement le combat avant la nuit. Comme les anciens prophètes, il a des rêves prémonitoires inspirés par Dieu. Le grand romaniste du début de notre siècle, Joseph Bédier, pouvait écrire : « Charlemagne est baron... mais plus encore un saint, et plus encore le chef, élu de Dieu, d’un peuple élu de Dieu. Il règne sur les Francs de France comme Saül sur Israël ». C'est bien le « nouveau David » célébré par Alcuin. Mais c’est aussi un héros très charnel. Son sens du douloureux devoir, qui n’exclut pas la profondeur du sentiment, en fait un personnage tragique : on le voit même pleurer

« devant la rigu eu r de son destin.

Enfin, cet empereur ins­ piré par Dieu n'a rien d'un des pote .

Sa fonction s'inscrit dans un système politique qui fait de lui un pri sonn ie r du conseil des barons, dont il doit suivre l'avis, bon gré, mal gré.

C'est une conception tout aussi haute que défend le Pèlerinage de Charlemagne, en dépit de l'hu­ mour et de la b onne humeur qui imprègnent cette chan­ son de geste.

A Jérusalem, Charlemagne et les douze pairs s'assoient très natureUement, et sans encourir la colère divine, sur le siège du Christ et d es dou ze a pô tr es .

A Constantinople, les Francs parviennent à réaliser les plus inimaginables fo rfan teries .

C'est que l'empereur bénéficie constamm en t de la faveur divine, qui le distin­ gue entre tous les rois.

Une telle image ne dure pas.

Dès le xn• siè cle, une vision plus négative (peut -ê tr e héritière de la légende du péché de l'empereur, de qui Roland serait le fils adult é­ rin) voit le jour.

On la re nco ntr e principalement dans le cycle de Doon de Maye nce.

Dans Ogier le Danois, Charlemagne ne suit que son instinct de vengeance, au mépris de toute justice.

Dans Gaidon, l'em pereu r se laisse corrompre par l'ar gen t des traîtres, et le trouvère insiste sur la veulerie et la cupidité de Charles.

Dans Jean de Lanson (début du xm• siècle) on voit l'emper eur s'attaquer, contre toute raison -et contre l'avis una­ nime des pairs -, à u n seigneur qui n'a commis aucune rébellion.

L'autorité a dé gén éré en autoritarisme, mais les pairs, comme dans Fierabras, se soumettent, et l'ave­ nir dira que l'e mp ere u r avait raison.

On observe, vers 1230, un retour à une idéologie favorable à la royauté, qui conju re ainsi les tendances négatives du tournant du siècle en les récupérant d'une manière biaisée.

Adenet le Roi, à l'extrême fin du xm• siècle, re pr end pleinement l'image louangeuse des débuts : mais il écrivait pour la famille de Brabant, apparentée au lig na ge carolingien.

Au-delà de cette fin de siècle, Charlemagne ne suscitera plus guère de créations originales, mais son existence littéraire se poursuivra à travers des compilations (en vers, comme le Charlemagne de Girart d'Amiens) ou des mises en pros e (dont la plus importante est les Chroni­ ques et conquestes de Charlem.aine de David Aubert, au xv• sièc le).

Le personnage de Charlemagne, dans toute sa variété et sa densité idéologique, s'identifie donc surtout aux préoccupations de la période la plu s purement féodale.

Avec l'affermissement du pouvoir royal (sous Louis VII e t surtout Philippe Auguste), les barons sentent leur auto­ nomie se réduire.

Sous leur in fl ue nce, certaines chansons de geste noircissent Charlemagne qui, de souv era in « biblique » et salvateur, devient un roi faible ou caracté­ riel.

Mais cette tendance n'a jamais totaleme nt éclipsé l'image positiv e du grand empereur: plusieurs idéolo­ gies coexistent, et les œuvres favorables à l'ar isto cra tie ne sont peut-être pas les plus nombreuses.

C'est aux alentours de 1200 que le fléchissement est le plus sensible.

Le rôle du conseil des barons évolue d'ailleurs paral­ lèlement dans les œuvres : l'empereur y jo ue un rôle prépondérant.

Dans Jean de Lanson, la consultation est de pure forme; dans Renaut de Montauban, Charlemagne fait simplement part de son intention de guerroyer.

La réaction de Doon de Nanteuil, qui refuse alors le « ser­ vice d'ost», suffit à montrer qu'on est loin de la glorifi­ cation du «nouveau David».

A mesure que l'image de Charlemagne s'avilit, le rôle de l'esprit de croisade s'amenuise.

Ce n'était pas un hasard si, dans le Roland, la gran deur impériale s'identi­ fiait à la lutte contre l'infidèle.

Curieusement, la chanson de geste qui ima gine une suite à la Chanson de Roland, Gaidon, est celle qui off re l'image la plus dégradée.

Plus de croisade, même en arrière-fond; un Charlema gne dép ourvu de liens avec le monde surnaturel, mauvais chef d'armée, inco hérent , p it o yable à force de médiocrité et de bassesse.

Mais on a vu que des œuvres contemporaines (deuxième quart du xm• siècle) s'opposent à ce tt e ten­ dance.

A partir du XIVe siècle, Charlemagne et ses pairs deviennent l'objet d'un culte littéraire qui les transforme en exemples souvent trop rationalisés : le sens du m yth e s'est perdu.

(V oir aussi ADENET , DOON DE MAYENCE, HUON DE BORDEAUX, PÈLERINAGE DE CHARLEMAGNE, PHI LIPPE MOUSKÈS, RENAUT DE MONTAUBAN, ROLAND (la Chanson de)].

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D.

BOUTET. »

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