Eugène Ionesco, Notes et contre notes, N.R.F., Gallimard. Commentaire
Publié le 05/10/2017
                            
                        
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                                Je n'affirmerai point que de nos jours l'on ne pense pas. Mais on pense sur ce que quelques maîtres vous donnent à penser, on pense sur ce qu'ils pensent, si on ne pense pas exactement ce qu'ils pensent, en répétant ou en paraphrasant. En tout cas, on peut observer que trois ou quatre penseurs ont l'initiative de la pensée et choisissent leurs armes, leur terrain; et les milliers d'autres penseurs croyant
 
penser se débattent dans les filets de la pensée des trois autres, pri sonn iers des termes du problème qu'on leur impose. Le problème imposé peut avoir son importance. Il y a aussi d'autres problèmes, d'autres aspects de la réalité, du monde : et le moins qu'on puisse dire des maîtres à penser, c'est qu'ils nous enferment dans leur doctorale ou moins doctorale subjectivité qui nous cache, comme un écran, l'innombrable variété des perspectives possibles d e l'esprit. Mais penser par soi même, découvrir soi même les problèmes est une chose bien difficile. Il est tellement plus commode de se nourrir d'aliments prédigérés. Nous sommes ou avons été les élèves de tel ou tel professeur. Celui ci nous a non seulement instruits, il nous a fait subir son influence, sa façon de voir, sa doctrine, sa vérité subjective. E n un mot, il nous a « formés ». C'est l e hasard qui nous a formés : car si le même hasard nous avait inscrits à une autre école, un autre professeur nous aurait façonnés intellectuellement à son image, et nous aurions sans doute pensé de manière différente. Il ne s'agit certainement pas de repousser les données qu'on nous présente et de mépriser les choix, les formules, les solutions des autres :cela n'est d'ailleurs pas possible; mais o n doit repenser tout ce qu'on veut nous faire penser, les termes dans lesquels on veut nous faire penser, tâcher de voir ce qu'il y a de subjectif, de parti culier dans ce qui est présenté comme objectif ou général; il s'agit de nous méfier et de soumettre nos propres examinateurs à notre libre examen, et de n'adopter ou non leur point de vue qu'après ce travail fait. Je crois qu'il est préférable de penser maladroitement, courtement, comme on peut, que d e répéter les slogans inférieurs, moyens ou supérieurs qui courent les rues. Un homme fût il sot, vaut quand même mieux qu'un âne i ntelligent et savant; mes petites découvertes et mes platitudes ont davantage de valeur, contiennent plus d e vérités pour moi que n'ont de signification pour un perroquet les brillants ou subtils aphorismes qu'il ne fait que répéter.
Les jeunes, surtout, sont l'objet de sollicitations de toutes sortes, et les foules. Les politiciens veulent obtenir des voix, les maîtres à penser sont en quête de disciples : u n maître à penser prêchant dans le désert, ce serait trop risible; on veut agir sur les autres, on veut les avoir, on veut être suivi, on veut forcer les autres de vous suivre, alors qu'au lieu d'imposer ses idées ou ses passions, sa personnalité, c'est la personnalité des autres qu'un bon maître devrait essayer d'aider à développer. Il est, je sais, bien difficile de se rendre compte dans quelle mesure l'idéologie d'un idéologue est ou n'est pas l'ex pression d'un désir d'affirmation de soi, d'une volonté de puissance personnelle; c'est bien pour cela qu'il n'en faut être que plus vigilant.
Eugène Ionesco, Notes et contre notes, N.R.F., Gallimard.
Vous ferez, selon votre préférence, un résumé ou une analyse de ce texte. Vous choisirez ensuite dans ce texte un problème auquel vous attachez un intérêt particulier, vous en préciserez les données
 
et vous en exposerez, en les justifiant, vos propres vues sur la question.
Ainsi mon dessein n'est pas d'enseigner ici la méthode que chacun doit suivre pour bien conduire sa raison, mais seulement de faire voir en quelle sorte j'ai tâché de conduire la mienne. Ceux qui se mêlent de donner des préceptes, se doivent estimer plus habiles que ceux auxquels ils les donnent; et s'ils manquent en la moindre chose, ils en sont blâmables. Mais ne proposant cet écrit que comme une histoire, ou, si vous l'aimez mieux, que comme une fable, en laquelle parmi quelques exemples qu'on peut imiter, on en trouvera peut-être aussi plusieurs autres qu'on aura raison de ne pas suivre, j'espère qu'il sera utile à quelques uns, sans être nuisible à personne, et que tous me sauront gré de ma franchise.
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se débattent  dans les filets  de  la pensée  des tr ois  autres,  pri
sonn iers des termes  du problème  qu'on leur impose.
                                                            
                                                                                
                                                                     Le problème 
imp osé  peut  avoir  son impor tance.
                                                            
                                                                                
                                                                     Il y  a  aussi  d'autres  problèmes, 
d' autres  aspects  de la  réalité,  du monde  : et  le moins  qu'on  pu isse 
dir e des  maîtres  à penser, c'est  qu'ils nous enferment  dans leur  doc
torale  ou moins  doctor ale  subjectivité  qui nous  cache,  comme  un 
écran,  l'innom brable  variété des  perspectives  possibles de  l'esp rit.
                                                            
                                                                                
                                                                    
Mais  penser  par soi même,  découvrir soi même  les problèmes  est 
une  chose  bien diffi cile.
                                                            
                                                                                
                                                                     Il est  tellement  plus commode  de  se nourrir 
d'alimen ts préd igérés.
                                                            
                                                                                
                                                                     Nous somme s ou avons  été les élèves  de tel 
ou  tel  profes seur.
                                                            
                                                                                
                                                                     Celui ci nous  a non  seulement  instruits,  il nous  a 
fait  subir  son  inf luence, sa  façon  de voir,  sa doc trine,  sa vérité  sub
jective.
                                                            
                                                                                
                                                                     En un mot,  il nous  a« formés  ».
                                                            
                                                                                
                                                                    C'est  le hasar d qui  nous  a 
formés  :car  si  le  même  hasard nous  avait inscrits  à une  autre  école, 
un  autre  professeur  nous aurait  faço nnés inte lle ctuellement  à son 
im age,  et nous  aurions  sans doute pensé  de mani ère différente.
                                                            
                                                                                
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ne  s'agit  certaine ment  pas de repousser  les donné es qu'on  nous 
pr ése nte  et de  mépriser  les  choix,  les formules,  les solu tions  des 
autres  :cela  n'est d'ailleur s pas  possi ble; mais  on doit  repenser  tout 
ce  qu'on  veut nous  faire  penser,  les termes  dans  lesquels on veut 
nous  faire  penser , tâcher  de voir  ce qu'il  y  a de subjectif,  de parti
culier  dans ce qui  est prése nté  comme  objectif  ou génér al; il  s'agit 
de  nous  méfier et de  soume ttre nos  propr es  ex aminate urs à no tre 
li bre  examen,  et de  n'adop ter ou non  leur  point de  vue  qu'après  ce 
trava il fait.
                                                            
                                                                        
                                                                     Je crois  qu'il est préfér able  de penser  maladroitement, 
cour tement,  comme on peut,  que de répéter  les slogans  infé rieur s, 
moy ens  ou sup érieurs qui  courent les rues.
                                                            
                                                                                
                                                                     Un homme  fûtil so t, vaut 
qu and  même mieux  qu'un âne inte lligent  et savant;  mes petites  décou
vertes  et mes  pla titudes  ont davantage  de valeu r, conti ennent  plus 
de  vérités  pour moi que n' ont de signif ication  pour  un perr oquet  les 
br illants  ou sub tils  aphorismes qu'il  ne fait  que  répéter.
                                                            
                                                                                
                                                                    
Les  jeunes,  surtout,  sont l'objet de sollici tations  de toutes  sortes, 
et  les  foules.
                                                            
                                                                                
                                                                     Les politiciens  veulen t ob tenir  des voix,  les maîtres  à 
penser  sont en quête  de disciples  :un maître  à penser  prêchant  dans 
le  dés ert,  ce  ser ait trop  risible;  on veut  agir sur les autres,  on veut les 
avoir,  on veut  être suivi,  on  veut  forcer  les autres  de vous  suivre, 
alors  qu'au  lieu d'imposer  ses idées  ou ses  passions,  sa person na
lité,  c'est  la person nalité des autres  qu'un bon  maître  devrait  essayer 
d' aider  à dév elopper.
                                                            
                                                                                
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dans  quelle  mesure l'id éologie d'un  idéologue est ou n'est  pas  l'ex
pr ession  d'un désir  d'affi rmati on de soi,  d'un e volon té de  puissance 
per sonnelle;  c'est bien pour  cela qu'il  n'en faut être  que plus  vigilan t.
                                                            
                                                                                
                                                                    
Eugène  Ionesco,  Notes  et contre notes,  N.R.F.,  Galli mard.
                                                            
                                                                                
                                                                    
Vous ferez,  selon  votre  préfér ence,  un résumé  ou une  analyse  de 
ce  texte.
                                                            
                                                                                
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vous  attachez un  intérêt  particulier , vous  en  préciser ez  les  données.
                                                                                                                    »
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