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Eugène Ionesco, Conférence donnée en mai 1962. Texte publié en 1963 en revue, puis dans Notes et Contre-notes, Gallimard

Publié le 30/03/2011

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« -Pourquoi écrivez-vous ? « demande-t-on souvent à l'écrivain. « Vous devriez le savoir «, pourrait répondre l'écrivain à ceux qui posent la question. « Vous devriez le savoir puisque vous nous lisez, car si vous nous lisez et si vous continuez de nous lire, c'est que vous avez trouvé dans nos écrits de quoi lire, quelque chose comme une nourriture, quelque chose qui répond à votre besoin. Pourquoi donc avez-vous ce besoin et quelle sorte de nourriture sommes-nous ? Si je suis écrivain, pourquoi êtes-vous mon lecteur ? C'est en vous-même que vous trouvez la réponse à la question que vous me posez. « Le lecteur ou le spectateur répondra, schématiquement, qu'il lit, qu'il va au spectacle, pour s'instruire ou pour se divertir. En gros, ce sont les deux sortes de réponses possibles. S'instruire : cela veut dire savoir ce qu'est celui qui écrit et ce qu'il écrit ; ou bien le plus modeste dira que c'est pour trouver des questions auxquelles lui-même ne peut répondre. Celui qui veut se divertir, c'est-à-dire oublier ses soucis du jour, se réjouir de la beauté de ce qu'il lit ou regarde, vous reprochera de l'ennuyer s'il considère que vous avez l'air de vouloir l'instruire ou de lui faire la leçon. Celui qui veut s'instruire pourra, s'il considère que vous avez l'air de l'amuser peut-être à ses dépens et le distraire, vous reprocher de ne pas donner de réponse à tous les problèmes que lui-même ne peut pas résoudre. Dès que quelqu'un a écrit un sonnet, un vaudeville, une chanson, un roman, une tragédie, les journalistes se précipitent sur lui pour savoir ce que l'auteur de la chanson ou de la tragédie pense du socialisme, du capitalisme, du bien, du mal, des mathématiques, de 20 l'astronautique, de la théorie des quantas1, de l'amour, du football, de la cuisine, du chef de l'État. « Quelle est votre conception de la vie et de la mort ? « me demandait un journaliste sud-américain lorsque je descendais la passerelle du bateau avec mes valises à la main. Je posai mes valises, essuyai la sueur de mon front et le priai de m'accorder vingt ans pour réfléchir à la question, sans toutefois pouvoir l'assurer qu'il aura la réponse. « C'est bien ce que je me demande, lui dis-je, et j'écris pour me le demander. « Je repris mes valises tout en pensant que je devais l'avoir déçu. Tout le monde n'a pas la clef de l'univers dans sa poche ou dans sa valise. Si un écrivain, un auteur, me demandait, à moi, pourquoi je lis, pourquoi je vais au spectacle, je répondrais que j'y vais, non pas pour avoir des réponses mais pour avoir d'autres questions ; non pas pour acquérir la 30 connaissance, mais, tout simplement, pour faire connaissance avec ce quelque chose, avec ce quelqu'un qu'est une œuvre. Ma curiosité de savoir s'adresse à la science et aux savants. La curiosité qui me dirige au théâtre, au musée, au rayon littérature du libraire est d'une autre nature. Je veux connaître le visage et le cœur de quelqu'un que j'aimerai ou que je n'aimerai pas. L'écrivain est embarrassé par les questions qu'on lui pose parce qu'il se les pose lui-même et parce qu'il s'en pose bien d'autres, parce qu'il se doute aussi qu'il y a d'autres questions qu'il pourrait se poser mais qu'il n'arrivera jamais à se poser ; encore moins à leur répondre. Eugène Ionesco, Conférence donnée en mai 1962. Texte publié en 1963 en revue, puis dans Notes et Contre-notes, Gallimard.

1. Théorie des quantas : théorie relative à l'énergie de la matière mise au point par le physicien Planck.

question 1    Expliquez : « Tout le monde n'a pas la clef de l'univers dans sa poche ou dans sa valise. « (lignes 26-27) (2 points)    question 2    « Dès que quelqu'un a écrit... du Chef de l'État. « (lignes 16 à 21) : quel procédé l'auteur utilise-t-il dans cette phrase ?    Quel effet ce procédé vous semble-t-il produire et pourquoi ? (3 points)    question 3    « Le lecteur... répondra... qu'il lit pour s'instruire ou pour se divertir. « (lignes 7 à 9)    En vous appuyant sur votre expérience de lecteur d'oeuvres complètes et sur deux ou trois exemples tirés de ces lectures, vous direz si vous partagez cette opinion. (5 points)

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« Ses premières pièces de théâtre sont placées sous le signe de l'absurde : La Cantatrice chauve (1948) scandalise etfait rire (aucune cantatrice parmi les personnages). Avec les pièces suivantes le burlesque devient tragique : la Leçon (1951) ; les Chaises (1952).

Les ciblesprivilégiées de Ionesco sont le langage, l'absurde de l'existence, l'irréalité du monde. Puis viennent Amédée ou Comment s'en débarrasser (1954) ; Rhinocéros (1959) ; le Roi se meurt (1962) ; le Piétonde l'air (1963) ; l'Homme aux valises (1975). On a dit de Ionesco qu'il est le « dramaturge de la bêtise et de la décomposition du langage ».

question 1 Expliquez: « Tout le monde n'a pas la clef de l'univers dans sa poche ou dans sa valise.

» (lignes 26-27) (2 points) Cette phrase est composée d'une métaphore filée.

Dans la première partie de celle-ci, la « clef de l'univers »représente l'ensemble du savoir capable d'en livrer le sens, et permettant ainsi, d'apporter une réponse aux grandesquestions que « tout le monde », c'est-à-dire chacun d'entre nous, se pose.

Personne ne saurait détenir l'ensemblede ce savoir.

Celui-ci est stocké dans des bibliothèques, des laboratoires, des universités, des têtes de chercheurs.Il occupe beaucoup de place. Dans la deuxième partie de celle-ci, Ionesco s'amuse en imaginant que son naïf journaliste avait peut-être pu penserqu'il avait serré la réponse à la question qu'il lui posait « dans les valises » qu'il portait à sa descente de l'avion. question 2 Dès que quelqu'un a écrit...

du Chef de l'État » (lignes 17 à 21) : quel procédé l'auteur utilise-t-il dans cette phrase? Quel effet ce procédé vous semble-t-il produire et pourquoi ? Le procédé utilisé par Ionesco dans cette phrase est celui de l'accumulation.

Dans la première partie de la phrase,l'énumération est composée de cinq substantifs précédés de l'article indéfini, dans la seconde partie ce sont onzesubstantifs, précédés cette fois de l'article défini, qui se succèdent avec éclectisme.

Ionesco met ce procédé auservice de son humour.

Le choix des termes énumérés montre bien qu'il préfère répondre par un sourire auxquestions ridicules que, par habitude ou routine professionnelle, les journalistes ont l'habitude de lui poser. question 3 «Le lecteur...

répondra...

qu'il Ht pour s'instruire ou pour se divertir.

» (lignes 7 à 9) En vous appuyant sur votre expérience de lecteur d'oeuvres complètes et sur deux ou trois exemples tirés de ceslectures, vous direz si vous partagez cette opinion. Pourquoi lit-on ? Nous sommes tous amenés à nous poser cette question chaque fois qu'un livre nous tombe entreles mains.

Mais il est difficile de répondre d'une façon satisfaisante à une telle question.

Pour nous instruire ou pournous divertir répond Ionesco.

Mieux encore, si nous voulons savoir pourquoi nous lisons, il faudrait avant toutexaminer le genre d'ouvrages que nous lisons, et bien connaître nos habitudes de lecture. Lire est une activité complexe qui peut d'abord être examinée à partir du lieu où elle se pratique.

Ainsi les lecturesfaites à l'école et en classe, sont souvent des lectures faites pour s'instruire.

La lecture du roman Les Choses, deGeorges Perec permet non seulement de découvrir les modes de penser et de consommer de la génération desannées 1960, mais aussi de voir comment un écrivain contemporain fait passer dans son texte cette vision «objective » du monde. Au XIXe siècle les transformations sociales ont été nombreuses.

Où trouver de meilleurs exemples de celles-ci sinondans des romans de Zola, comme Germinal, l'Assommoir ou le Bonheur des Dames.

En suivant Étienne Lantier, lehéros de Germinal, nous découvrons les conditions de travail et de vie des mineurs.

Nous participons à leurscombats contre la misère.

Tout un monde aujourd'hui disparu, vit devant nous dans les pages de ce roman. A la maison nous continuons à lire.

Les lectures que nous faisons alors sont souvent des lectures dans lesquellesnous recherchons davantage le divertissement.

La lecture des romans policiers répond bien sans aucun doute à cetype de préoccupation.

Mener l'enquête avec le Commissaire Maigret de Georges Simenon, le suivre sur les lieux ducrime, réunir patiemment avec lui les indices permettant de découvrir l'assassin, voilà un exemple de divertissement.. »

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