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Dans Notes et contre-notes Eugène Ionesco écrivit : "Eviter la psychologie, ou plutôt lui donner une dimension métaphysique. Le théâtre est dans l'exagération extrême des sentiments, exagération qui disloque la plate réalité quotidienne". Dans quelle mesure cette définition du personnage et du théâtre s'applique-t-elle aux oeuvres théâtrales que vous connaissez ?

Publié le 02/10/2010

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ionesco

 

Le personnage de théâtre n'existe que le temps de la représentation, par son discours et par son jeu, il est tout extériorité. Son absence d'intériorité obère la dimension psychologique, et même le réalisme : le personnage de théâtre ne peut s'assimiler à une personne réelle (à la différence du personnage de roman), notamment à cause de la stylisation de la représentation théatrale (par rapport au cinéma).

 

Le personnage de théâtre est ainsi fortement stylisé, du simple rôle (comédia dell'arte) à la convention théâtrale (voir fiche sur le valet de comédie). Dans certains cas, il peut même acquérir une dimension symbolique au point de représenter un type voire un archétype (Harpagon, Dom Juan, ...), voire en incarnant une valeur morale (ou un complexe de valeurs morales). C'est ainsi que l'on peut comprendre la notion d'exacerbation des sentiments.

 

Ainsi se trouve mise en oeuvre la fonction cathartique de la représentation théâtrale. Cette représentation présente un "archi-modèle" subsumant les situations concrètes similaires, et les informant en proposant une mise en problématique (et un mode de résolution) de celles-ci. L'exacerbation dont parle Ionesco joue aussi à ce niveau : les antagonismes, stylisés, apparaissent dans toute leur violence (roman ou cinéma donnent une vision plus nuancée car plus complexe).

 

Toutefois la représentation théâtrale ne se réduit pas à la mise en scène de conflits de valeurs. Les conventions de l'art théâtral créent un univers de référence, ont un réalisme propre (cf. le statut du personnage : par exemple, le valet de comédie, dont l'impertinence a ses limites, au point qu'il ne remet pas en cause l'ordre social représenté, notamment le fait que le maître soit le maître).

 

La tentation du réalisme existe aussi dans nombre de pièces, ce qui se traduit notamment par la tentation de conférer au personnage une profondeur psychologique (par ses propos ou par ce qui est dit de lui), ou à l'inverse d'en faire une réplique du spectateur (dans le théâtre de boulevard).

 

C'est que la fonction cathartique du théâtre revêt des formes diverses, tenant à sa nature même : elle ne peut s'exercer que si le spectateur se "sent concerné". La tentation est grande de lui présenter un miroir (même déformant), et de s'abstraire d'un code de conventions qu'il ne maîtrise pas forcément (les metteurs en scène oeuvrent en ce sens).

 

Le théâtre est une forme de représentation spécifique du fait de ses conventions propres. Ces conventions ont historiquement résulté de contraintes matérielles, langagières, ... qui ont, par suite du travail des dramaturges et de leur acceptation par le public, donné lieu à un ensemble de formes codifiées (le code ayant valeur de "lieu commun" entre dramaturges et spectateurs), selon les aires culturelles et les époques. L'individu n'y est jamais représenté dans sa complexité, mais stylisé (par "l'exagération extrême..."), ce qui permet au spectateur de se représenter plus clairement un aspect -isolé, donc identifiable, de sa propre personnalité. Le détour par l'abstraction due à la stylisation enrichit la connaissance de soi...

 

Mais l'extême stylisation peut aussi avoir valeur d'étude (et délaisser quelque peu la catharsis sociale ou individuelle), comme pour Dom Juan ou Tartuffe, voire Rhinocéros. "L'exagération extême" n'a plus pour effet de tendre un miroir symbolique, mais de mettre en garde.

 

Enfin, l'aspect convenu des conventions sociales et culturelles -dont les conventions théâtrale s ne sont qu'un aspect- peuvent être efficacement remises en cause pour leur aspect trop convenu, devenu inconscient, par le théâtre lui-même, le meilleur exemple en étant La Cantatrice Chauve, pièce qui a rencontré la faveur du public, alors qu'elle réduit à l'absurde toutes les conventions qui ont fait du théâtre une forme de représentation "sociale" : cette pièce dépoussière aussi bien le "théâtre populaire" (le boulevard) que les "classiques" et met à nu l'essence du théâtre : la mise en scène des confrontations langagières (de façon pessimiste, puisque personne ne se parle, et que le langage y est réduit à néant), qui font l'humanité.

 

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