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Extrait du roman d'Albert Camus, L'Étranger. Vous ferez de ce texte un commentaire composé : vous pourrez vous attacher à montrer comment la technique du récit et du dialogue nous éclaire sur la personnalité du narrateur (Meursault) et contribue à donner à cette scène de « demande en mariage » un caractère déconcertant.

Publié le 29/03/2011

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camus

« Le soir, Marie est venue me chercher et m'a demandé si je voulais me marier avec elle. J'ai dit que cela m'était égal et que nous pourrions le faire si elle le voulait. Elle a voulu savoir alors si je l'aimais. J'ai répondu comme je l'avais déjà fait une fois, que cela ne signifiait rien mais que sans doute je ne l'aimais pas. « Pourquoi m'épouser alors ? « a-t-elle dit. Je lui ai expliqué que cela n'avait aucune importance et que si elle le désirait, nous pouvions nous marier. D'ailleurs, c'était elle qui le demandait et moi je me contentais de dire oui. Elle a observé alors que le mariage était une chose grave. J'ai répondu : « Non. « Elle s'est tue un moment et elle m'a regardé en silence. Puis elle a parlé. Elle voulait simplement savoir si j'aurais accepté la même proposition venant d'une autre femme, à qui je serais attaché de la même façon. J'ai dit : « Naturellement. « Elle s'est demandé alors si elle m'aimait et moi, je ne pouvais rien savoir sur ce point. Après un autre moment de silence, elle a murmuré que j'étais bizarre, qu'elle m'aimait sans doute à cause de cela mais que peut-être un jour je la dégoûterais pour les mêmes raisons. Comme je me taisais, n'ayant rien à ajouter, elle m'a pris le bras en souriant et elle a déclaré qu'elle voulait se marier avec moi. J'ai répondu que nous le ferions dès qu'elle le voudrait. « Extrait du roman d'Albert Camus, L'Étranger. SUJET PLAN Introduction. ■ Influence passée et actuelle de l'Étranger. ■ Un héros-narrateur. ■ Une discontinuité absurde rendue par un récit neuf. ■ Présentation des thèmes.  

Ire Partie : Une scène comique. ■ Effet de rupture. de surprise, d'accumulation, de progression. ■ Le burlesque. IIe Partie : La personnalité du héros-narrateur, éclairée par cet épisode. ■ Bizarre, curieux, singulier. ■ Irréductible. ■ Énigmatique. ■ Être de refus et de silences. ■ A la fois objectif et subjectif, apparente impartialité. ■ Détaché, étranger, absent. ■ Frappé par l'équivalence des choses et des êtres. ■ Un récit en discours indirect, au passé composé, sans coordination et d'une syntaxe élémentaire. Conclusion. ■ Importance de cette

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« Pendant une trentaine d'années, les Romans de Camus, spécialement L'Étranger (1943), puis La Peste, La Chute,ses pièces de théâtre comme Caligula, Le Malentendu, Les Justes, ont été les maîtres à penser de la jeunesse.

Ellea identifié le monde où elle est contrainte de vivre à cet univers de Fin-différence et de l'exil, qu'il a présenté defaçon si saisissante autour de son héros, l'étranger : Meursault.

Peut-être la nouvelle génération va-t-ellemaintenant plus loin, ou différemment ?, sans doute aussi, le sentiment de l'absurde — né de la condition même del'homme, de sa finitude, de son besoin d'espérance qu'un monde fermé et matérialiste lui refuse —, n'est-il plusassumé avec le même humanisme que celui de cet auteur chaleureux ? Mais l'œuvre n'en demeure pas moins un trèsgrand roman moderne; le personnage est campé de façon saisissante.

Héros-narrateur, étranger à tout souci des'analyser, absolument neutre, tout en étant parfaitement singulier, Meursault raconte sa propre existence avec undétachement déconcertant, qu'il s'agisse de la mort de sa mère, « aujourd'hui [...].

Ou peut-être hier, je ne sais pas»; d'un meurtre accompli sans savoir pourquoi — parce que la mer, le soleil, la chaleur, la réverbération l'ontprécipité à appuyer machinalement sur la gâchette d'un pistolet qui se trouvait, par hasard, dans sa poche —; ou,comme ici, de cette curieuse demande en mariage qu'il subit dans une indifférence profonde, mais accepte demême.

Les phrases brèves, sans liaisons, sont posées bout à bout comme les lambeaux de pensées de Meursault etsuggèrent la discontinuité absurde des gestes et des sentiments.

C'est le caractère comique (à force d'absurdité etde logique) de cette scène qui peut constituer un premier thème d'analyse; le second tentera de cerner lapersonnalité du narrateur, insaisissable, inhabituelle, mais éclairée par l'épisode même. * * * Le rire est manifestation d'une rupture.

Or la rupture ici est le perpétuel décalage entre les coutumes sociales et lesréactions « bizarres » de Meursault.

Dans le monde étriqué, mais très traditionnel de « Petits Blancs », qui habitaientdans la banlieue de Bab-el-Oued, près d'Alger, monde dont Marie du moins est la parfaite représentante, il est, toutd'abord, absolument anormal, aux environs de 1940, que la fille demande le garçon en mariage.

La présentation,presque historique, de ce fait inattendu surprend moins cependant que la sèche proposition suivante : « J'ai dit quecela m'était égal...

» C'est ce qui provoque un 1er rire qui — si l'on y réfléchit — ne peut être qu'étonné, grinçantpresque.

Car cette indifférence, renforcée par l'emploi répété, continu du passé composé (« est venue », « ademandé », « ai dit...

»), comme au cours de toute la 1re partie du roman jusqu'au meurtre de l'Arabe, fait perdretoute perspective temporelle. Tout est équivalent aussi bien la recherche de Marie que sa demande et la réponse de Meursault : « Cela m'étaitégal » devient une phrase-clé du passage.

Or voilà qui est absolument contraire à toute perspective d'hommecourant.

Le mariage paraît aux yeux de chacun un engagement important; des siècles de sérieux s'y rattachent; ilest courant d'y voir un tournant de la vie.

Première faille, donc, que cette réponse.

Mais elle ne s'en tient pas là :elle est suivie d'un deuxième membre de phrase aussi net et aussi plat, qui semble corriger le 1er, et pourtantl'accuse encore davantage : « nous pourrions le faire, si elle le voulait.

» Une cascade de questions tout aussitraditionnelles et importantes pour Marie, suivies de réponses tout aussi banales, détachées et inattendues pour lelecteur comme pour Marie, continue de déconcerter, donc de faire sourire.

Que Marie aborde le problème de l'amour— sublimé depuis toujours par les hommes, et auquel on a coutume d'allier des sentiments vrais et profonds,Meursault répond « que cela ne signifiait rien ».

Cette absence de signification, au niveau aussi bien de la penséeabstraite que des sentiments, revient d'ailleurs continuellement : « Cela n'avait aucune importance », répond-il, parexemple, un peu plus loin.

Ainsi va-t-on d'étonnements en surprises.

Tout détone et fait grincer de rire.

La logiquetraditionnelle ou sociale de Marie la fait s'exclamer « pourquoi m'épouser alors? »; ou bien : « si j'aurais accepté lamême proposition venant d'une autre femme » se heurte à l'implacable logique singulière de Meursault.

Il ne l'aimepas, mais veut bien l'épouser; il aurait « naturellement » répondu de la même façon à une autre femme, « à qui [ilaurait été] attaché de la même façon ».

L'accumulation de surprises est un autre promoteur de rire.

Toutes lesphrases, toute la page additionnent des effets de même type, présentés avec la même platitude volontaire.

Surchaque manifestation d'un comportement traditionnel tombe le couperet de la froide logique de l'« étranger ».

« Ellea observé que le mariage était une chose grave.

J'ai répondu : " Non ".

» Ce qui est surprenant d'ailleurs, c'est qu'onattend un changement, un retour aux réactions coutumières, sécurisantes; et parce que Meursault demeureabsolument en retrait, à l'extérieur des mythes sociaux, cette apparition inattendue d'une logique originale démonteles mécanismes, devient burlesque.

« Elle s'est demandé [...] si elle m'aimait et moi, je ne pouvais rien savoir sur cepoint.

» Moins Marie reçoit la réponse attendue, plus elle devrait être déconcertée.

Elle l'est d'ailleurs, mais surtoutlors des silences, dans les intervalles entre les phrases.

Mais elle cherche tout de suite à se tranquilliser enraisonnant, selon la coutume : « elle a murmuré que j'étais bizarre, qu'elle m'aimait sans doute à cause de cela ».Aussi retrouve-t-elle sans cesse de nouveaux arguments en contraste permanent avec l'attitude toujours aussiégale, aussi absente, de Meursault.

L'absurde, donc le burlesque ont ainsi progressé d'un bout à l'autre de l'épisode,et atteignent leur apogée dans le retournement même de Marie.

Aux monosyllabes ou même aux silences deMeursault (« elle m'a regardé en silence »; « après un autre moment de silence », « comme je me taisais...

»), onattendrait qu'elle oppose des protestations : non, elle reprend la demande initiale, mais non plus interrogative ; c'estmaintenant une forme affirmative : « elle a déclaré qu'elle voulait se marier avec moi », auquel il répond de la mêmemanière qu'au début du passage : « J'ai répondu que nous le ferions dès qu'elle le voudrait.

» Ainsi progression,accumulation, tension, surprises, tous ces éléments se sont alliés pour provoquer le burlesque et faire du passageun épisode comique. * * * Nous n'en sommes pas moins désireux de voir clair — car, comme Marie, nous cherchons à nous rattacher à uneattitude coutumière — et malgré ou à cause de son détachement, nous voyons mieux se dessiner devant nous le. »

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