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Fin du premier chapitre de Madame Bovary de FLAUBERT - Commentaire de texte

Publié le 17/01/2022

Extrait du document

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Un gamin polissonnait sur le parvis :        – Va me chercher un fiacre !        L'enfant partit comme une balle, par la rue des Quatre-Vents ; alors ils restèrent seuls quelques minutes, face à face et un peu embarrassés.        – Ah ! Léon !... Vraiment..., je ne sais... si je dois... !        Elle minaudait. Puis, d'un air sérieux :        – C'est très inconvenant, savez-vous ?        – En quoi ? répliqua le clerc. Cela se fait à Paris !        Et cette parole, comme un irrésistible argument, la détermina.        Cependant le fiacre n'arrivait pas. Léon avait peur qu'elle ne rentrât dans l'église. Enfin le fiacre parut.        – Sortez du moins par le portail du nord ! leur cria le Suisse, qui était resté sur le seuil, pour voir la Résurrection, le Jugement dernier, le Paradis, le Roi David, et les Réprouvés dans les flammes d'enfer.        – Où Monsieur va-t-il ? demanda le cocher.        – Où vous voudrez ! dit Léon poussant Emma dans la voiture.        Et la lourde machine se mit en route.        Elle descendit la rue Grand-Pont, traversa la place des Arts, le quai Napoléon, le pont Neuf et s'arrêta court devant la statue de Pierre Corneille.        – Continuez ! fit une voix qui sortait de l'intérieur.        La voiture repartit, et, se laissant, dès le carrefour La Fayette, emporter par la descente, elle entra au grand galop dans la gare du chemin de fer.        – Non, tout droit ! cria la même voix.        Le fiacre sortit des grilles, et bientôt, arrivé sur le Cours, trotta doucement, au milieu des grands ormes. Le cocher s'essuya le front, mit son chapeau de cuir entre ses jambes et poussa la voiture en dehors des contre-allées, au bord de l'eau, près du gazon.        Elle alla le long de la rivière, sur le chemin de halage pavé de cailloux secs, et, longtemps, du côté d'Oyssel, au delà des îles.        Mais tout à coup, elle s'élança d'un bond à travers Quatremares, Sotteville, la Grande-Chaussée, la rue d'Elbeuf, et fit sa troisième halte devant le Jardin des plantes.        – Marchez donc ! s'écria la voix plus furieusement.        Et aussitôt, reprenant sa course, elle passa par Saint-Sever, par le quai des Curandiers, par le quai aux Meules, encore une fois par le pont, par la place du Champ-de-Mars et derrière les jardins de l'hôpital, où des vieillards en veste noire se promènent au soleil, le long d'une terrasse toute verdie par des lierres. Elle remonta le boulevard Bouvreuil, parcourut le boulevard Cauchoise, puis tout le Mont-Riboudet jusqu'à la côte de Deville.        Elle revint ; et alors, sans parti pris ni direction, au hasard, elle vagabonda. On la vit à Saint-Pol, à Lescure, au mont Gargan, à la Rouge-Mare, et place du Gaillard-bois ; rue Maladrerie, rue Dinanderie, devant Saint-Romain, Saint-Vivien, Saint-Maclou, Saint-Nicaise, – devant la Douane, – à la basse Vieille-Tour, aux Trois-Pipes et au Cimetière Monumental. De temps à autre, le cocher sur son siège jetait aux cabarets des regards désespérés. Il ne comprenait pas quelle fureur de la locomotion poussait ces individus à ne vouloir point s'arrêter. Il essayait quelquefois, et aussitôt il entendait derrière lui partir des exclamations de colère. Alors il cinglait de plus belle ses deux rosses tout en sueur, mais sans prendre garde aux cahots, accrochant par-ci par-là, ne s'en souciant, démoralisé, et presque pleurant de soif, de fatigue et de tristesse.        Et sur le port, au milieu des camions et des barriques, et dans les rues, au coin des bornes, les bourgeois ouvraient de grands yeux ébahis devant cette chose si extraordinaire en province, une voiture à stores tendus, et qui apparaissait ainsi continuellement, plus close qu'un tombeau et ballottée comme un navire.        Une fois, au milieu du jour, en pleine campagne, au moment où le soleil dardait le plus fort contre les vieilles lanternes argentées, une main nue passa sous les petits rideaux de toile jaune et jeta des déchirures de papier, qui se dispersèrent au vent et s'abattirent plus loin, comme des papillons blancs, sur un champ de trèfles rouges tout en fleur.        Puis, vers six heures, la voiture s'arrêta dans une ruelle du quartier Beauvoisine, et une femme en descendit qui marchait le voile baissé, sans détourner la tête.

La première des violences de cette page tient à l'enchaînement narratif dont on se représentera qu'il puisse être choquant : les héros sortent d'une église pour s'étreindre dans un fiacre. A la visite — d'ailleurs scandaleusement bâclée — d'un lieu saint, succède ce que Flaubert appelait une « baisade «.  Entre ces deux épisodes s'intercale une brève transition qui constitue la première partie de l'extrait et a lieu sur le parvis de la cathédrale. Là, à peine sollicité, le gamin qui opportunément «polissonnait sur le parvis « part « comme une balle «, dans une comparaison qui se passe de commentaire : ce coup de feu métaphorique annonce le coup de sang qui se prépare.

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« Le texte comporte deux mouvements : la sortie de la cathédrale, puis la promenade en fiacre.

Cette promenadealterne une succession d'emballements et d'accalmies qui rendent la page très « mouvementée ». La ligne directrice qui unit et traverse les deux parties de cette fin de chapitre mêle la violence et l'érotisme.

Ouplus exactement, elle pose et résout la difficulté de leur évocation dans les limites des convenances littéraires de1856.

Autant dire que ce texte est un tour de force. Violence érotique et virtuosité littéraireLa première des violences de cette page tient à l'enchaînement narratif dont on se représentera qu'il puisse êtrechoquant : les héros sortent d'une église pour s'étreindre dans un fiacre.

A la visite — d'ailleurs scandaleusementbâclée — d'un lieu saint, succède ce que Flaubert appelait une « baisade ».Entre ces deux épisodes s'intercale une brève transition qui constitue la première partie de l'extrait et a lieu sur leparvis de la cathédrale.

Là, à peine sollicité, le gamin qui opportunément «polissonnait sur le parvis » part « commeune balle », dans une comparaison qui se passe de commentaire : ce coup de feu métaphorique annonce le coup desang qui se prépare.De même, il suffira d'un mot pour convaincre Emma : Paris ! A peine esquissé, le dialogue est rompu : leurs désirsfont riper les deux personnages hors du monde rassurant des mots.

Et les voici qui versent dans une autre forme decommunication : l'érotisme.

A la première lecture, la surprise est violente.Spécialiste du contrepoint, qui lui permet de détacher un écho venu du fond sonore de la scène, Flaubert colle surl'arrivée du fiacre les propos du guide invitant les adultères à de pieuses contemplations.

Difficile de ne pas voir làune intention blasphématoire de l'auteur, mais difficile également d'éluder tout à fait la valeur d'avertissement.

Lesuisse évoque «le Jugement dernier » et termine sur «les Réprouvés dans les flammes d'enfer».Or, Emma mourra de s'être égarée dans les dépenses sexuelles et financières, elle mourra au terme d'un supplice, etlors du procès, c'est bien la question de la réprobation de sa conduite qui sera au centre du débat.

Certes, Flaubertse moque ici du suisse et lui prête des propos ridicules tant ils sont en décalage avec les événements, maisparadoxalement, il se sert de ces mêmes propos pour dramatiser la scène et annoncer le dénouement violent duroman.C'est le repérage de tels procédés qui nous autorise à parler de virtuosité, ainsi que l'observation des moyenslittéraires mis en oeuvre pour envisager la question de l'indicible obscénité. Un ton épique pour dire l'indiciblePar « indicible » nous entendons ici davantage ce qui ne doit que ce qui ne peut être dit.

Cette autocensurefabrique du non-dit, à savoir ce que Flaubert tait et cependant nous laisse entendre.Cette scène est à la lettre obscène : ce qui se passe ne doit pas être montré.

Reste alors, pour le dire quandmême, la solution de le suggérer.

C'est ce que fait Flaubert en substituant aux mouvements des corps lesmouvements du fiacre : «Et la lourde machine se mit en route.

»Nul doute que cette «lourde machine» est aussi celle du sous-entendu.

Dès l'instant où le lecteur a compris et qu'ilse fait complice de l'auteur, la description peut prendre des dimensions épiques.

En effet, le réalisme de la scènerestant caché, Flaubert s'offre une page d'épopée, et se lance dans ces disproportions qui lui sont chères.Le temps que dure l'errance du fiacre est, en effet, disproportionné.

Le rendez-vous à la cathédrale est à onzeheures et la chevauchée s'achève à six heures de l'après-midi, après une course folle qui épuise les corps visiblesdes « deux rosses tout en sueur » et celui du cocher « démoralisé et presque pleurant de soif, de fatigue et detristesse ».

Les accalmies de la machine, que l'on devine calquées sur celles des corps des amants, ne sont là quepour ménager d'époustouflantes reprises rythmées par les adverbes de temps « tout à coup », « aussitôt », « alors», « de temps à autre ».

Entre ces verbes de mouvement précisés par un adverbe, Flaubert en intercale d'autresplus brutalement, sans complément circonstanciel de temps : « Elle descendit la rue Grand-Pont...

», « Elle alla lelong de la rivière...

» ; voire sans aucun complément : « La voiture repartit...

», « Elle revint,...

».Mais plus encore que le temps, c'est l'espace qui subit l'amplification épique.

La ville de Rouen est traversée de parten part, avec un rythme qu'intensifient les rafales de noms propres faisant défiler rues et quartiersvertigineusement,' Et cela jusqu'à l'épuisement en rase campagne, près d'« un champ de trèfles rouges tout en fleur», où l'on sent déjà crépiter les flammes promises innocemment par le suisse.Rappelons encore qu'au milieu de sa course, le fiacre traverse un lieu que Flaubert distingue des autres par unelongue relative qui met en scène des personnages précis dans un décor précis : «...

les jardins de l'hôpital, où desvieillards en veste noire se promènent au soleil, le long d'une terrasse toute verdie par les lierres.

» Ces jardins,hantés par des figures du deuil qui se promènent au présent intemporel, ce sont ceux de l'Hôtel-Dieu de Rouen oùvivait la famille du docteur Flaubert et où naquit Gustave. Et voilà Emma s'abandonnant qui traverse l'enfance du narrateur.Ce fiacre fou qui traverse Rouen en disproportionnant l'espace et le temps a des allures fantastiques.

Et sans doutenotre impression est-elle due à la technique du non-dit qui invite à cette lecture du soupçon propre au genrefantastique.On ne saura jamais exactement ce qui s'est passé et dont garde le secret la boîte noire du fiacre.

Une boîte quisemble aux bourgeois « ébahis devant cette chose si extraordinaire » « plus close qu'un tombeau ».On rapprochera cette comparaison de La Mort des amants que Charles Baudelaire allait publier l'armée suivante, en. »

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