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IBSEN APRÈS BRAND

Publié le 04/05/2011

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ibsen

Ibsen ne put se remettre sérieusement au travail avant que son livre eût paru. Alors vint le franc succès, et la « subvention de poète «. Il connut enfin la sécurité, et même put jouir, une fois ses dettes payées, d'une très modeste aisance. Sa grande colère contre le peuple norvégien, toutefois, ne désarmait pas, et après quelques tâtonnements, ce fut le nouveau sujet qu'elle lui inspirait qu'il choisit. Seulement, au lieu d'une critique violente et directe, comme celle qui lui avait d'abord fait imaginer le « Brand épique «, ce fut cette fois de la satire qu'il voulut se servir, — sans que son âpreté en fût diminuée.

ibsen

« 1779 vers.

Mais, après avoir tout corrigé, recorrigé et recopié une dernière fois, il peut envoyer la fin du manuscritdéfinitif à son éditeur le i6 novembre.

Quatre mois lui ont 'suffi pour composer cet énorme drame de 5395 vers, alorsqu'il lui avait fallu environ quatorze mois pour le concevoir et trouver la forme qu'il devait lui donner.

Surtout, il estintéressant d'observer cette prodigieuse rapidité à construire la pièce et à l'écrire pendant les premières semainesqui ont suivi la grande révélation.

Il devait être alors dans un état d'exaltation extraordinaire.

Il le dit d'ailleurs lui-même dans une lettre à Bjôrnson du 4 mars 1866, près de quatre mois après l'achèvement de Brand :Cet été, lorsque j 'écrivais ma pièce, j 'étais, au milieu de la misère et des ennuis, indiciblement heureux, je sentaisen moi un enthousiasme de croisé, et je ne sais rien que mon courage n'aurait osé affronter.Son esprit trop tendu le mettait dans un état nerveux singulier.

En dormant, ou à demi éveillé, il continuait àcomposer des vers qui lui paraissaient superbes, et qu'ensuite il trouvait inutilisables.

Une fois ou deux il se releva lanuit pour les écrire en chemise de nuit.Nous savons en quoi consiste le changement opéré par la grande révélation de Saint Pierre, s'il ne s'agit que de laforme : c'est le passage du Brand épique au Brand dramatique.

Mais il est difficile de croire qu'une simple questionde forme l'aurait tenu si longtemps en suspens.

Il faut qu'Ibsen se soit aperçu, vers le printemps, que son plan del'automne précédent ne parvenait pas à exprimer son idée, ou bien que l'idée de Brand se soit modifiée.

La révélationde Saint Pierre, c'est l'instant décisif, c'est l'heure de l'inspiration qui s'est fait longtemps attendre.

Elle doit êtrel'éclosion soudaine d'un germe lentement mûri dans l'esprit d'Ibsen.

Nous en voyons l'importance par «l'enthousiasme de croisé » qui a suivi.

Quelle a été sa vraie signification, c'est là l'énigme qu'il nous reste àdéchiffrer:On a dit souvent qu'un auteur a besoin, pour traiter un sujet qui lui tient à coeur, d'attendre que son émotion soitcalmée.

Il faut un certain éloignement.

L'émotion primitive est essentielle.

C'est l'élément subjectif, indispensable àl'artiste, mais l'éloignement qui amène le calme permet la réflexion et réduit presque l'émotion à l'état de souvenir,serait l'élément objectif, non moins indispensable.

Ibsen lui-même a plusieurs fois exprimé à peu près cette idée,qu'on a voulu lui appliquer particulièrement à propos de Brand.

C'est seulement, dit-on, dans l'été de 1865, plus d'unan après les événements qui avaient soulevé sa grande indignation, et lorsqu'elle se serait un peu apaisée, qu'ilaurait enfin été capable de lui donner forme poétique.

Pour qui a lu Brand, l'idée que ce drame serait écrit avec uneâme presque apaisée est plutôt comique.Si l'on consulte la correspondance d'Ibsen au moment où il écrit, ou quand il vient d'écrire le Brand dramatique, onne s'aperçoit guère que son âme soit apaisée.

Il est vrai qu'elle était déjà fort en colère à la fin de juin 1864,lorsqu'il prononça dans une auberge de Rome le discours que Dietrichson a qualifié de « Marseillaise du Nord », etl'on doit à priori considérer comme impossible qu'il se soit maintenu pendant plus d'un an à ce diapason.

C'estcependant ce que l'on constate par sa correspondance.

Voici, par exemple, quelques passages d'une lettre adresséeà la belle mère de sa femme, l'écrivain Magdalene Thoresen, le 3 décembre 1865 peu de semaines, par conséquent,après l'achèvement de Brand :Combien fréquents sont, en Norvège, les propos des bonnes gens qui patient, avec une intime satisfaction, del'esprit réfléchi des Norvégiens, par quoi rien d'autre n'est désigné que cette tiède température du sang qui rendimpossible à ces âmes honnêtes de commettre une folie de grand style.

Le troupeau a bien appris la manoeuvre, onne peut le nier, l'uniformité que l'on y voit est magnifique en son genre ; pas et mesure sont bien les mêmes pourtous.

Il en est autrement ici, tu peux m'en croire.

Pour peu que l'on ait su conserver en soi quelque chose d'humainen arrivant de là-haut, on doit sentir ici qu'il y a mieux que d'avoir une tête entière.

Je sais des mères qui, jusquelà-haut, dans le Piémont, à Gênes, à Novare, à Alexandrie, ont retiré des écoles leurs enfants de quatorze ans pourles faire participer à l'expédition de Garibaldi...

Chez nous, on parle d'impossibilité dès que l'exigence dépasse lademande de tous les jours.Il parle ensuite de l'entrée de Guillaume à Berlin, — c'est décidément le souvenir qui l'obsède le plus — et il dit sonindignation contre les Danois de Rome qui allaient au temple de Rome, où un pasteur prussien, pendant la guerre,priait pour le succès des armes prussiennes.Tu peux croire si je me suis mis en colère et si j'y ai mis bon ordre ; car, ici, je n'ai peur de rien; chez nous, j'avaispeur, quand je me trouvais au milieu du troupeau débile, et que je sentais les vilains sourires derrière moi.Son sentiment anti-allemand à cette époque, s'exprime à tout propos, comme on le voit déjà dans son poème à lamémoire de Frédérik VII de janvier 1864 : « L'Allemand, le Slave et le Croate ne vaincront pas le soldat danois »(changé plus tard en le Slave, le Vende et le Croate) — mais bien plus nettement après le voyage à Rome, dans seslettres, dans son poème sur l'assassinat de Lincoln (un exploit allemand), dans son discours sur la tombe de P.

A.Munch, etc.

Et ce sentiment dura longtemps.

Le naturaliste et romancier danois Vilhelm Bergsöe, qui fit laconnaissance d'Ibsen en 1867, dit qu'il « haïssait tout ce qui était allemand ».

Il ne changea sur ce point que vers1873.La lettre continue sur le même ton avec des considérations sur la ruine des nations qui s'abandonnent.On pourrait multiplier les citations.

Elles ne laissent aucun doute.

Ibsen n'est pas moins vibrant d'indignation lorsqu'ilachève Brand, et encore quelque temps après, que lorsque se passaient les événements qui en ont amené laconception.

M'est même davantage.

L'enthousiasme italien a renforcé son sentiment.

Sa colère, qui semblait arrivéeà un paroxysme, n'est pas restée stationnaire, ce qui eut été impossible.

Elle s'est accrue.

Elle a trouvé desarguments de fait nouveaux.

L'exemple italien lui a fait croire au miracle, à l'efficacité des folies de grand style.Il est curieux de constater que, toutefois, son pessimisme croissant ne l'empêche pas de se sentir heureux, commejamais il ne l'avait été.

C'est là chez lui un sentiment profond, qui est sans aucun rapport avec sa situation toujoursdifficile.

Sans doute, il pouvait éprouver quelque satisfaction, vers la fin de 1865, d'avoir pu « tenir le coup » assezlongtemps pour achever son drame.

Il vivait très misérablement, avec sa veste de velours de coton rapée.

Sabourse de voyage était épuisée, les secours qu'il avait reçus devaient l'être aussi, au moins une fois il avait dûemprunter de l'argent au consul Bravo, mais l'avocat Dunker lui envoyait parfois quelque argent et Björnsoncontinuait spontanément à favoriser avec une admirable générosité de coeur sa carrière.

Une demande desubvention au Comité d'un fonds danois échouait, mais une autre, adressée à la Société des sciences de Trondhjem. »

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