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LA COMPOSITION DU BRAND d'IBSEN - ANALYSE LITTÉRAIRE

Publié le 03/05/2011

Extrait du document

ibsen

Les drames modernes d'Ibsen sont des pièces longuement méditées, dont il abordait seulement l'écriture après avoir vécu avec ses personnages dans une intimité que l'on n'acquiert qu'avec le temps. Car, aussitôt qu'un sujet s'était précisé dans son esprit, faire des personnages vivants devenait pour lui l'essentiel. Même si leur invention lui avait d'abord été dictée par le besoin d'exprimer quelque idée, qu'ils devaient incarner, leur existence peu à peu se dégageait de cette origine, et ils voulaient avoir leur vie propre, indépendante de l'intention de leur créateur. Tel a été aussi le cas pour Brand, en quelque mesure, puisque l'écriture du drame n'a commencé qu'un an après qu'Ibsen a conçu le sombre prêtre, et que l'intimité entre eux a été continue pendant toute cette année. Mais en réalité, Ibsen a commencé à écrire, bien que sous la forme épique, presque aussitôt que le personnage et son histoire eurent été trouvés, et, depuis ce moment, dans la fièvre du travail, il n'a eu aucune période pour l'étudier avec sérénité. Par là, Brand est exceptionnel dans l'oeuvre d'Ibsen. C'est un drame d'un caractère explosif, écrit ab irato, un poème de circonstance, auquel manque le long mûrissement, car il est trop la transposition en forme scénique du poème en forme de récit.

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« grandissait en parlant ! », le monologue de Brand reconnaissant sa commune, la rencontre avec Gerd, qui s'éloignevers l'église de glace, et la ferme résolution de Brand de fuir la commune lugubre où les gens sont trop veules.

Toutcela se retrouve, dans le même ordre, et avec les mêmes phrases typiques, dans le premier acte, qui était ainsi toutfait.

Ibsen n'a eu qu'à le récrire en vers de quatre pieds, et à y ajouter, en manière de prologue, la première scèneentre Brand et un paysan rencontré sur la montagne.

Il valait mieux, en effet, montrer tout de suite le haut fjelldans l'orage et le brouillard, et la scène sert à marquer tout de suite les traits dominants du caractère de Brand :son esprit de sacrifice et son indomptable volonté.

Ce premier acte constitue ainsi une exposition très claire et trèscomplète, où il n'y a rien de factice, du moment que l'on admet les monologues.Pourtant, il y a quelque différence entre cette exposition et les deux chants du poème épique.

Dans la scèneajoutée, le paysan dit à Brand : « Prêtre, tu es dur ».

Et lorsque Ejnar et Agnès ont quitté Brand, on ne voit pasque celui-ci éprouve le moindre regret d'avoir gâté la joie des deux jeunes gens.

Ibsen a évidemment voulu indiquernettement dès le début du drame le défaut de Brand, qui justifiera sa défaite.

L'attitude d'Ejnar est aussi légèrementmodifiée.

Rien en lui, dans ce premier acte, ne présage qu'il puisse devenir le piétiste ridicule qu'il sera au cinquième.Mais il n'a plus, vis-à-vis de sen ancien camarade, la fermeté qu'il montrait dans le poème épique.

En supprimant ladiscussion sur « l'art pour l'art », Ibsen lui a retiré l'occasion d'apparaître, lui aussi, comme un homme qui a uneconviction et une vocation.Au second acte commence véritablement l'action.

Mais quelle action ? Il n'y a pas d'intrigue.

Ibsen, élève de Scribe,non par choix, mais parce que Scribe était le grand maître du temps, particulièrement en Norvège, avait acquis unegrande habileté technique à son école.

Brand a été vraiment, pour Ibsen, une oeuvre d'un type entièrementnouveau.

Non seulement il se passe environ deux ans entre le premier acte et le second, six ou huit mois entre lesecond et le troisième, et environ un an et demi entre le quatrième et le cinquième, mais aucune action n'estentamée dans chaque acte, qui laisse le lecteur dans l'attente de son développement et de sa solution.

Chaqueacte, au contraire, forme un tout, et mène jusqu'au bout de son action particulière.

Certes, cette action estpréparée dans les actes précédents, elle n'est pas inattendue, mais elle n'est pas commencée.

Chaque acte estcomme un drame distinct.

Le second amène la décision de Brand de rester dans sa commune, ainsi que sesfiançailles avec Agnès : c'est le drame du renoncement à l'ambition.

Le troisième est celui de la mort de la mère deBrand et du sacrifice d'Alf : c'est le drame de la volonté.

Le quatrième est celui où Agnès, dépouillée même de sessouvenirs, est enfin déliée de la vie terrestre.

Au cinquième, Brand rompt avec tout esprit de compromis et ne peutplus qu'aller mourir dans l'église de glace.Il y a pourtant progrès d'un acte à l'autre, et action, mais dans un sens qui exclut toute idée d'intrigue dramatique.Même, rarement un drame est aussi fortement noué.

Chaque acte appelle le suivant ; non par suite, par exemple,d'une brouille survenue au troisième, qui appelle un essai de réconciliation au quatrième, mais parce que la puissantelogique d'Ibsen impose la succession.

L'excès de logique est même peut-être le défaut du drame.Quoi de plus logique, en effet, que le cinquième acte ? Brand a conquis sa paroisse par son héroïsme, et la douceurd'Agnès a fini par lui attacher non seulement « l'élite », mais toute la population.

Homme consciencieux et pur, ilconserve son prestige, et n'a pas eu le temps, depuis la mort d'Agnès, de rencontrer les incidents qui pourraientamener des heurts.

Ses supérieurs hiérarchiques, avec une nuance de respect et beaucoup de méfiance, secontentent de l'observer de loin.

Tout va bien dans sa paroisse isolée, qu'il régente sans conteste.

Maisl'inauguration de la grande église va établir le contact entre le monde et lui.

Le doyen lui montre clairement qu'il n'apas rempli la fonction, pour laquelle l'Église d'État l'a nommé.

Il comprend alors que tout ce qu'il a dit et faitjusqu'alors était dit et fait au nom d'une Église qui n'est pas celle du doyen, et qui n'est pas constituée.

Il ne peutpas douter que son Église a raison contre celle du doyen, car celle-ci a toutes les marques de la bassesse.

Quepeut-il faire ? Il ne peut évidemment s'incliner, et accepter le mensonge.

« L'esprit de compromis est Satan ».

Il nepeut même pas continuer à être prêtre avec l'indépendance de fait qu'on lui a laissée jusqu'alors, puisquel'inauguration de l'église aura lieu tout à l'heure, et que sa participation à cette cérémonie serait un acquiescementau moins implicite aux conceptions du doyen.

Alors, quoi ? Renoncer ? Ce ne serait guère conforme à la nature deBrand, et le scandale, d'ailleurs, ne serait pas moins grand que celui d'une franche rupture.

Dénoncer le mensongeest bien la seule solution possible.

Dès avant sa conversation avec le doyen, Brand trouvait trop petite sa « grande» église dont l'idée ne venait pas de lui.

Si l'on veut réaliser la notion de grandeur de l'Église, aucun monument n'ysuffit.

Dehors, en pleine nature, dans cette église qui est « sans fin ni mesure », il échappera enfin au mensonge etau compromis et atteindra l'absolu.

Tout cela se tient merveilleusement, et cette fuite au désert du fjell est laconséquence dernière du caractère de Brand, tel qu'il a été posé dès le premier acte.

Ce drame, où Ibsen a voulumaintenir le plus longtemps possible un certain réalisme, devait fatalement aboutir au fantastique de la fin, parceque cela était contenu dans la donnée même.Il ne manque pas d'exemple, au théâtre, de tels dépassements de la réalité.

Le théâtre grec en fournit de nombreuxexemples, et l'on en trouve dans Shakespeare, dans le Don Juan de Molière, etc., etc.

Chose curieuse, les critiquesn'ont généralement pensé, à propos de cet aspect du Brand d'Ibsen, qu'au Faust de Goethe, et n'ont pas manqué,naturellement de se demander, s'il n'y avait pas influence, ou même imitation.

Vraiment, ils auraient dû mieux choisir.Car le fantastique de Faust a, dès le début, la forme concrète de personnages pris hors de la réalité, quiinterviennent dans l'action à la façon d'êtres réels, ce qui n'existe pas dans Brand.

Et, d'autre part, il n'y a, certes,aucune analogie de pensée entre Goethe qui prêche la mesure, et Ibsen qui exalte la volonté.

Il y a mêmecontraste, comme il y a contraste entre Brand et les tragédies grecques, où maint héros succombe, victime d'excèsdont il n'est souvent pas lui-même responsable.

L'excès, la démesure, c'est ce que Goethe et les tragiques grecss'accordent à condamner.

Ibsen, au contraire, entend louer Brand sans réserve pour son vouloir indéfectible etdémesuré, et s'il est obligé par sa logique et par nécessité dramatique, d'amener la défaite de son héros etd'expliquer cette défaite par quelque tort de Brand, il prend toutes les précautions pour nous faire distinguer entresa volonté, qui était sa vertu, et son manque de charité, qui a seul causé son échec.

Ainsi la démesure estapprouvée, et elle n'est pas responsable du désastre.. »

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