Introduction à La Modification de Butor

« [ l n'a pas jugé indispensable d'avoir quarante-cinq ans pour imaginer les pensées de son personnage, il doit être inutile d'avoir dépassé cet âge pour s'intéresser au roman.

L'auteur en est au même point que vous et rêve sur ce qui pourra lui arriver quand il aura quarante-cinq ans Quoi qu'il en soit, La modification m'a paru un texte commode pour qu'un lecteur un peu perdu dans les romans de notre temps s'initie à.

la lecture des écrivains du xxe siècle qui refusent les formes littéraires du XIX 0• Il est en effet impossible d'appréhender les œuvres de Robbe-Grillet, de Nathalie Sarraute, par exemple, ou de Butor, comme on nous a enseigné en classe à y voir clair dans celles de Balzac et des grands « classiques "· Dans ce passage de l'art d'autre­ fois à l'art d'aujourd'hui, l'amateur de peinture a de l'avance sur l'amateur de romans, si bien que la majorité d'entre nous sait voir telle toile de l'école de Paris, mais se trouve déso­ rienté devant la littérature contemporaine.

Dans son Traité du paysage, le peintre André Lhote explique très bien pour­ quoi on ne peut déchiffrer de la même manière un tableau de Van Goyen, Hollandais du xvne siècle, et un tableau de Van Gogh.

Parmi d'autres différences, dit en substance André Lhote, l'opposition entre la partie illuminée d'un objet et la partie obscure est marquée au xvue siècle par deux valeurs d'une même couleur, c'est-à-dire que la couleur est claire d'un côté, foncée de l'autre; cette convention est appliquée avec une rigueur extrême par Van Goyen dont les paysages sont presque monochromes, et c'est pourquoi André Lhote a choisi ce peintre pour sa démonstration.

Mais Van Gogh représente par une couleur la partie lumi­ neuse d'un objet, et par une autre la partie tournée vers l'ombre, disons par la couleur complémentaire de la première.

Il est certain que si je ne suis habitué à regarder que les pein­ tures « classiques », je ne verrai tout d'abord dans les œuvres postérieures à !'Impressionnisme qu'un bariolage bizarre.

Presque tout le monde aujourd'hw est capable de goûter aussi bien Van Gogh que Van Goyen.

Je ne suis pas sûr que les choses soient aussi avancées dans le domaine de la littérature.

Cependant c'est une révolution du même ordre que doit accepter depuis vingt ans le lecteur de romans, révolution qu'une méditation sur La modification nous per- mettra peut-être de faire plus facilement.

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