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J.-M.-G. LE CLÉZIO, La Guerre

Publié le 22/02/2012

Extrait du document

« C'était ainsi : gigantesques blocs de ciment debout sur la terre, appuyant leurs milliers de tonnes, kilomètres de voies ferrées et de routes, forêts de pylônes et de poteaux télégraphiques, lacs, cubes de verre, plages de nickel, plaines de tôle ondulée. Jamais aucun paysage au monde n'avait été si vaste, si profond. Il n'y avait jamais eu de montagnes si hautes, ni de canyons1 plus vertigineux. Jamais tant de fer et de pierres, tant de matières transparentes ou opaques. Toute la violence de l'univers, toute sa force, tout son pouvoir sont venus là, ont tracé leur dessin. La jeune fille marchait à travers la ville, vers le soir, et elle n'était pas tranquille. Elle voyait les pyramides en train de défier le temps, toutes les arches et toutes les fenêtres qui repoussaient la voûte du ciel. La beauté n'était pas douce, elle ne chantait pas avec une voix de femme. La beauté défiait le silence, elle avait bandé tous ses muscles pour tuer le vide. La jeune fille regarda le ciel et les nuages bas, elle essaya de voir le soleil. Mais il avait disparu derrière les cubes des maisons, et il ne restait que la lumière. Si le soleil avait été là, peut-être que ça n'aurait pas été la même chose... «

J.-M.-G. LE CLÉZIO, La Guerre, 1970. 1. Orthographe usuelle : canon. Vous étudierez, sous forme de commentaire composé, l'image que l'auteur nous offre de l'univers de la ville. difficultés du texte Ce paysage dépeint avec force l'inhumanité de la ville. La difficulté du sujet provient du fait que tous les éléments concourent à donner cette impression. Certes, la présence de la jeune fille introduit la douceur, mais elle est entièrement soumise à la dureté de ce monde; sa fragilité s'explique par la domination de la cité; on ne peut donc analyser ce qui s'y rattache sans faire référence à l'environnement. Les thèmes de la démesure, de la violence, de la profusion, sont voisins. On veillera donc à mener l'étude avec une grande précision afin de diversifier chaque idée.   

« La grandeur présente souvent une certaine unité.

La description accumule au contraire les objets, comme s'il fallaitabsolument remplir ces espaces, comme s'il fallait «tuer le vide».

La première phrase commence par une longueénumération.

En outre, Le Clézio utilise des mots qui désignent la multitude : «milliers», «forêts de pylônes», etl'adverbe de quantité «tant de» répété deux fois.

Après avoir sur quatre lignes dressé l'inventaire des matériaux,l'écrivain emploie souvent le rythme binaire : « de montagnes, de canyons », « tant de fer et de pierres », «toutesles arches et toutes les fenêtres».

L'écriture s'accorde à l'abondance de ce monde.

La multiplication des élémentss'accompagne de pesanteur.

Et l'auteur insiste encore avec «leurs milliers de tonnes» ou suggère l'idée du poids :les blocs de ciment, les pierres.

Même le verre qui, par sa transparence, évoque une certaine légèreté, se trouveprivé de cette caractéristique et réduit à l'état de «cubes».

La ville se présente donc comme une masse qui pèselourdement sur l'homme. La notion de grandeur n'est pas absolue.

Il faut un critère, une échelle.

Certes, l'auteur introduit dans la cité un êtrehumain.

Mais ce n'est pas assez pour faire sentir la démesure.

C'est pourquoi la nature sert de point decomparaison.

Les constructions dépassent les paysages les plus grandioses : les montagnes et les canyons.

Lesformes urbaines concurrencent les sites, se substituent même à eux : les pylônes deviennent forêts, le nickelplages, et la tôle ondulée s'étend comme des plaines.

D'ailleurs, aux adverbes de quantité succèdent les intensifs«si» qui expriment la qualité.

La nouvelle Babel atteint même le ciel.

Il semble que la voûte recule devant la pousséede la cité, et la répétition de «jamais » prouve que toute référence est vaine.

On comprend alors mieux la répétitiondu verbe «défier».

Comme jadis les pyramides, les immeubles défient le temps, le silence aussi.

L'orgueil des hommestrouve là sa mesure, ou plutôt sa démesure. Mais une telle ville menace nécessairement l'homme qui l'a créée, elle l'agresse de toute part.

Le texte oppose, eneffet, la dureté des matériaux — pierres, ciments, fer —, à la douceur humaine.

Le personnage choisi, une jeunefille, symbolise traditionnellement la beauté tendre et délicate.

Elle annonce aussi la vie future car elle peut êtremère, tandis que la ville est faite de pyramides liées à la mort.

Le Clézio exprime clairement que la jeune fille n'a passa place dans la ville : «la beauté n'était pas douce, elle ne chantait pas avec une voix de femme».

A la suavité dessons s'oppose la rigidité des formes géométriques aux arêtes vives : les pyramides, les cubes.

Le terme dessinsouligne cette impression, et il faut remarquer que seules les lignes dominent, aucune couleur, aucune nuance danscette description, plus une gravure qu'un tableau.

Certes, la lumière est présente, mais elle n'émane pas du soleil«disparu», de la chaleur, de la vie. La violence est perceptible tout au long du texte.

Les sons se heurtent par les gutturales dans «gigantesquesblocs».

L'image de la bête fauve «qui avait bandé tous ses muscles pour tuer le vide » traduit la brutalité de la cité.Il ne s'agit pas seulement de combler le vide mais de le tuer.

Toute la force de l'univers s'est concentrée à cetendroit : le rythme ternaire, «toute la violence de l'univers, toute sa force, tout son pouvoir», compense ce quel'étendue sous-entend de dispersion.

Le pouvoir dont parle Le Clézio s'exerce contre l'homme.

Curieusement lespoteaux télégraphiques, les voies ferrées, les routes qui devraient assurer la communication tissent une sorte detoile d'araignée.

La nature elle-même, si menacée pourtant, participe à cet emprisonnement : « les nuages bas »empêchent toute évasion et le soleil se dérobe au regard.

L'absence de liberté s'accompagne de solitude.

La villeaux multiples objets ne semble contenir qu'une passante.

Aucun être humain n'habite là.

La profusion des matériauxtente sans doute de compenser ce vide.

Cependant, un espoir timide demeure.

Même rétrospectivement, on al'impression qu'il aurait suffi d'un rien, d'un rayon, d'un regard et tout pouvait être sauvé.. »

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