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J.-M.G. LE CLÉZIO, DeDésert, 1980 (commentaire de texte)

Publié le 03/11/2016

Extrait du document

Ils étaient les hommes et les femmes du sable, du vent, de la lumière, de la nuit. Ils étaient apparus, comme dans un rêve, en haut d’une dune, comme s’ils étaient nés du ciel sans nuages, et qu’ils avaient dans leurs membres la dureté de l’espace. Ils portaient avec eux la faim, la soif qni fait saigner les lèvres, le silence dur où luit le soleil, les nuits froides, la lueur de la Voie lactée, la lune ; ils avaient avec eux leur ombre géante au coucher du soleil, les vagues de sable vierge que leurs orteils écartés touchaient, l’horizon ina^^ible. Ils avaient surtout la lumière de leur regard, qui brillait si clairement dans la sclérotique de leurs yeux^

 

Le troupeau des chèvres bises et des moutons marchait devant les enfants. Les bêtes aurai allaient sans savoir où, posant leurs sabots sur des traces anciennes. Le sable tourbillonnait entre leurs pattes, s’accrochait à leurs toisons sales. Un homme guidait les dromadaires, rien qu’avec la voix, en grognant et en crachant comme eux. Le bruit rauque des respirations se mêlait au vent, disparairaait auraitôt dans les creux des dunes, vers le sud. Mais le vent, la séche^res, la faim n’avaient plus d’importance. Les hommes et le troupeau fuyaient lentement, descendaient vers le fond de la vallée sans eau, sans ombre.

 

(1) Le blanc de l'œil.

 

J.-M.G. LE CLÉZIO, DeDésert, 1980.

 

Dans un commentaire composé, vous pourrez étudier par exemple comment ce texte, par ses qualités poétiques, suggère le déroulement de la marche et ce qui fait le drame et la grandeur de la vie dans le désert.

- à l’écrasement des éléments premiers : « dureté de l’espace, silence dur, nuits froides, vent, sécheresse » ; « bruit rauque des respirations » qui souligne l’infinie difficulté de la marche se heurtant aux forces natives toutes supérieures à l’homme et liguées, additionnées inexorablement ;

 

- à une destinée inexpliquée et inexplicable : « allaient sans savoir... », « ... n’avaient plus d’importance... »

 

- certaines périodes amples, lentes : « Ils portaient... inaccessible », « Le bruit rauque... sud » ; la cadence des phrases, imitative des pas, du dernier paragraphe, phrases posées bout à bout en asyndète, rythment l’avancée dont le but est perçu intuitivement.

 

D’où le tragique qui naît de cet accablement sous les forces hors de l’humain, implacables ; . c’est la grande fuite des hordes préhistoriques en proie à l’univers, ou les luttes des Titans contre le Dieu des dieux, Zeus, dont ils savent confusément qu’il les vaincra.

 

Grandeur épique de la constatation sans espoir de la dernière phrase et des éléments tragiques qui la ponctuent : « sans eau, sans ombre ».

 

II. « Ils étaient les hommes et les femmes... »

 

...« du sable, du vent, de la lumière, de la nuit » donc de cette « natura rerum » que Lucrèce évoque.

 

Cette première phrase donne immédiatement la dimension héroïque des nomades.

 

D’abord le « Ils » qui commence les cinq phrases du premier paragraphe. Ce pronom porte à lui seul la généralité suffisante pour détacher « les hommes et les femmes », définis par l’article, hors du commun des mortels. C’est donc le sens même de héros = demi-dieu en grec ancien.

 

Différence fondamentale avec les sédentaires qui ne savent plus la grandeur des forces de la terre dont l’homme, s’éloigne en sa civilisation factice (grande idée de Le Clézio).

 

Car les héros sont grands et cette grandeur leur vient

« • ••• Le Clézio (Jean-Ma rie Gusta ve), passionné d'écri­ ture préci sément (dès l'âge de 7/8 ans), se fait conn aître avec son premier roman: Le Procès Verbal, 1963.

• Désert, 1980, où il abandonne l'écriture libérée «à l'é tat brut » des premières œuvres, est son roman sans doute le plus accessible.

• Il y peint la grande chevauchée tragique des noma des du désert marocai n, remontant vers Agadir où ils seront vaincus et décimés par la puissa nce colonisa trice1• • Dans les deux paragraphes du passage cité, Le Clézio mon tre la « caravane >> marchant inexorablement vers un but dont elle sait d'avance qu'il sera sanglant et mor­ tel (1).

• Il y peint également ceux qui partici pent à cet exode, leur endurance, leur vie si dure, si cruelle, la grandeur avec laquelle ils attendent et supportent leur destin (II).

1.

« Ils étaient apparus, comme dans un rêve ...

» • Formule qui ouvre le roman.

Il se refermera de même fa çon, en chiasme : « ...

comme dans un rêve, ils dispa­ raissaient ».

• Cette marche semble d'abord fantasmagoriqùe.

(Cf mi rages du désert.) • Elle se développe en une vérita ble apparition que l'art du romancier détaille par : - la place de « Ils étaient apparus », - les coupes mettant en valeur la qualité onirique « comme dans un rêve », - la localisation élevée, près du ciel : « en haut d'une dune », - une origine presque surnaturelle : « comme s'ils étaient nés du ciel sans nuages » ; fait d'autant plus surprenant que rien ne dissimule cette naissance hors de l'ordinaire, puisque le ciel est préci sément « sans nuages » ; à moins que ce ne soit une raison de plus pour le merveilleux, car (l) Parallèlement à l'h istoire d'une jeune nomade, Lalla, qui se fait un nom et une place en France, mais retourne au désert.. »

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