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Jacques le fataliste de Diderot: Un antiroman

Publié le 08/01/2020

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Ces remarques réitérées dépouillent Diderot du faux prestige de l’omniscience pour lui conférer le rôle, plus modeste mais plus vrai, de témoin et de commentateur.

I Le refus de la psychologie

Contrairement à ses prédécesseurs et, parfois, à ses successeurs, Diderot n’approfondit pas la psychologie de ses personnages. Il s’inscrit ainsi contre la tradition du roman d’analyse, représenté par La Princesse de Clèves de Mme de La Fayette (1678) ou Manon Lescaut de l’abbé Prévost (1731). À l’analyse d’un caractère, d’une passion, Diderot préfère laisser parler les faits, dépeindre les gestes. Au lecteur d’en déduire ce que les personnages sont réellement. « Un mot, un geste m’en ont quelquefois plus appris que le bavardage de toute une ville» (p. 301). Il suffit d’être vrai.

Le refus de l’intrigue

Depuis l'origine, le roman s’est complu à raconter une histoire dans laquelle les événements s’enchaînent logiquement pour aboutir à un dénouement. Le lecteur, informé des causes, comprend les effets. Or rien de tel ne se produit dans l’existence. C’est pourquoi il n’y a pas véritablement d’intrigue dans Jacques le Fataliste. Bien que Jacques croit au fatalisme, il ignore les arrêts du « grand rouleau ». Ne connaissant pas les causes, il ne peut dire quels sont les effets. La difficulté de résumer l’œuvre, l’impossibilité d’en définir le sujet exact1 illustrent concrètement le rejet de l’intrigue.

Le refus du romanesque

Même si les romans étaient lus avec passion, ils souffraient depuis longtemps d’un manque de crédibilité. Trop souvent, iis campaient des héros exceptionnels dont les exploits frisaient l’extraordinaire. Ainsi Voltaire considérait-il qu’un roman était «la production d’un esprit faible, décrivant avec facilité des choses indignes d’être lues par un esprit sérieux1 2». À quoi Diderot semble faire écho dans son

1. Voir chapitre 1, « La structure du roman », p. 44-50.

2. Correspondance.

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« -l'intrigue romanesque, complète et rigoureuse, n'a pas d'équiva­ lent dans l'existence ordinaire; -les événements relatés sont parfois à la limite du crédible.

Diderot refuse un tel protocole romanesque.

1 Le refus du romancier omniscient Dans un roman traditionnel, l'auteur se cache derrière ses person­ nages, dont il révèle les pensées les plus secrètes.

Il se comporte en romancier omniscient ou démiurge 1• Mais ce statut renferme une contradiction radicale.

D'un côté, la discrétion de l'auteur peut appa­ raître comme un gage d'authenticité : le lecteur, oubliant l'auteur, oublie qu'il est en train de lire une œuvre de fiction, totalement inven­ tée.

D'un autre côté, cependant, la révélation des pensées des per­ sonnages montre que tout relève de l'invention du romancier.

Dans la vie réelle, en effet, nul ne connaît exactement les pensées d'autrui.

Diderot refuse le statut de romancier démiurge en raison même de cette ambiguïté.

Il choisit de se présenter non comme l'auteur, mais comme le témoin de la conversation de Jacques et de son maître, qu'il se contente de rapporter par écrit.

Aussi prétend-il ne pas en savoir davantage que ce que disent ses deux héros.

Par exemple, Diderot feint d'ignorer d'où ils viennent, où ils vont et ce qu'ils ont fait (p.

35).

Quant aux amours de Jacques, "il n'y a que Jacques qui les sache» (p.

264).

Diderot se place sur le même plan que son lecteur, impatient de connaître la vie sentimentale du valet : «Croyez-vous que je n'en sois pas aussi curieux que vous?,, (p.

216).

Ailleurs encore, il regrette la discontinuité de l'information : «Il y a ici une lacune vraiment déplorable dans la conversation de Jacques et de son maître» (p.

265).

Souvent, il proclame sa sincérité et son objec­ tivité: «Vous allez prendre l'histoire du capitaine de Jacques pour un conte, et vous aurez tort.

Je vous proteste que telle qu'il l'a racontée à son maître, tel fut le récit que j'en avais entendu faire» (p.

99).

1.

Démiurge : créateur qui se comporte comme Dieu, donc qui sait tout.

86 PROBLËMATJQUES ESSENTIELLES. »

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