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Jean Giraudoux, Amphitryon 38, Acte II, Scène 2

Publié le 22/02/2012

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  JUPITER : Tu n'as jamais désiré être déesse, ou presque déesse ?   ALCMÈNE : Certes non. Pourquoi faire ?   JUPITER : Pour être honorée et révérée de tous.   ALCMÈNE : Je le suis comme simple femme, c'est plus méritoire.   JUPITER : Pour être d'une chair plus légère, pour marcher sur les airs, sur les eaux.   ALCMÈNE : C'est ce que fait toute épouse, alourdie d'un bon mari.   JUPITER : Pour comprendre les raisons des choses, des autres mondes.   ALCMÈNE : Les voisins ne m'ont jamais intéressée.   JUPITER : Alors, pour être immortelle !   ALCMÈNE : Immortelle ? À quoi bon ? À quoi cela sert-il ?   JUPITER : Comment, à quoi ! Mais à ne pas mourir !   ALCMÈNE : Et que ferai-je, si je ne meurs pas ?   JUPITER : Tu vivras éternellement, chère Alcmène, changée en astre ; tu scintilleras dans la nuit jusqu'à la fin du monde.   ALCMÈNE : Qui aura lieu ?   JUPITER : Jamais.   ALCMÈNE : Charmante soirée ! Et toi, que feras-tu ?   JUPITER : Ombre sans voix, fondue dans les brumes de l'enfer, je me réjouirai de penser que mon épouse flamboie là-haut, dans l'air sec.   ALCMÈNE : Tu préfères d'habitude les plaisirs mieux partagés… Non, chéri, que les dieux ne comptent pas sur moi pour cet office… L'air de la nuit ne vaut d'ailleurs rien à mon teint de blonde… Ce que je serais crevassée, au fond de l'éternité !   JUPITER : Mais que tu seras froide et vaine, au fond de la mort !   ALCMÈNE : Je ne crains pas la mort. C'est l'enjeu de la vie. Puisque ton Jupiter, à tort ou à raison, a créé la mort sur la terre, je me solidarise avec mon astre. Je sens trop mes fibres continuer celles des autres hommes, des animaux, même des plantes, pour ne pas suivre leur sort. Ne me parle pas de ne pas mourir tant qu'il n'y aura pas un légume immortel. Devenir immortel, c'est trahir, pour un humain. D'ailleurs, si je pense au grand repos que donnera la mort à toutes nos petites fatigues, à nos ennuis de second ordre, je lui suis reconnaissante de sa plénitude, de son abondance même… S'être impatienté soixante ans pour des vêtements mal teints, des repas mal réussis, et avoir enfin la mort, la constante, l'étalé mort, c'est une récompense hors de toute proportion… Pourquoi me regardes-tu soudain de cet air respectueux ?   JUPITER : C'est que tu es le premier être vraiment humain que je rencontre… Plan I. Un affrontement entre un Dieu et une femme : — le vrai et le faux — une scène de tentation — le dieu vaincu par la mortelle II. Un portrait de femme : — une « simple femme » — qui a choisi la « terre » et ses lourdeurs — et les « plaisirs partagés » III. Eloge de la vie mortelle — tristesse de l'immortalité — solidarité avec tout ce qui vit — plénitude de la mort. Introduction Comment justifier la condition mortelle des hommes ? Comment échapper à l'angoisse que le dénouement fatal engendre chez beaucoup ? La littérature comme la philosophie posent inlassablement ces questions métaphysiques. Dans une pièce intitulée Amphitryon 38 (datée de 1929), ainsi nommée parce que Giraudoux pensait avec humour que c'était la trente-huitième version du thème, deux personnages, dans la deuxième scène du deuxième acte, débattent de ces sujets graves. Mais le ton reste léger et souriant. Giraudoux se méfie du sérieux d'un certain théâtre à « message » : il préfère la grâce souriante, un langage fleuri et aimable où les vérités sont traquées comme par mégarde, sans en avoir l'air : tel ce dialogue entre Alcmène et celui qu'elle prend pour son mari, mais qui est en réalité Jupiter, le maître des Dieux. Mais au-delà de cet affrontement entre un dieu et une mortelle, c'est un portrait de femme presque parfaite que nous propose Giraudoux. Cette scène enfin est aussi un éloge paradoxal de la mort et de la condition de mortel...
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« Plan I.

Un affrontement entre un Dieu et une femme :— le vrai et le faux— une scène de tentation— le dieu vaincu par la mortelleII.

Un portrait de femme :— une « simple femme »— qui a choisi la « terre » et ses lourdeurs— et les « plaisirs partagés »III.

Éloge de la vie mortelle— tristesse de l'immortalité— solidarité avec tout ce qui vit— plénitude de la mort. IntroductionComment justifier la condition mortelle des hommes ? Comment échapper à l'angoisse que le dénouement fatalengendre chez beaucoup ? La littérature comme la philosophie posent inlassablement ces questions métaphysiques.Dans une pièce intitulée Amphitryon 38 (datée de 1929), ainsi nommée parce que Giraudoux pensait avec humourque c'était la trente-huitième version du thème, deux personnages, dans la deuxième scène du deuxième acte,débattent de ces sujets graves.

Mais le ton reste léger et souriant.

Giraudoux se méfie du sérieux d'un certainthéâtre à « message » : il préfère la grâce souriante, un langage fleuri et aimable où les vérités sont traquéescomme par mégarde, sans en avoir l'air : tel ce dialogue entre Alcmène et celui qu'elle prend pour son mari, mais quiest en réalité Jupiter, le maître des Dieux.

Mais au-delà de cet affrontement entre un dieu et une mortelle, c'est unportrait de femme presque parfaite que nous propose Giraudoux.

Cette scène enfin est aussi un éloge paradoxal dela mort et de la condition de mortel... 1.

Un affrontement entre un dieu et une femmeLa scène se passe à une époque mythique, celle justement de la mythologie grecque : mais le cadre « historique »n'est qu'un prétexte commode à déployer une certaine fantaisie et à parler d'autre chose : quelques sujets «éternels » comme la vie de couple, l'amour, la vie, la mort...

Le dialogue concerne apparemment un homme et unefemme, une épouse, Alcmène, et son mari, Amphitryon ; mais le spectateur, comme c'est souvent le cas au théâtre,en sait beaucoup plus que l'un des deux protagonistes : il sait en effet que l'homme n'est pas le mari de la femme,mais que celle-ci, au contraire, vient de le tromper, bien involontairement, avec un autre qui en a pris lésapparences physiques : Jupiter, le dieu des dieux, ce séducteur impénitent ...

Aussi la situation ne manque-t-ellepas d'humour, surtout quand Alcmène évoque « ton Jupiter » ou s'étonne de certains comportements de celui qu'elleprend pour son mari...L'humour de l'ensemble vient surtout du décalage entre la fonction de chacun et le langage qu'il tient : ainsi Jupiter,le dieu, peut-il proposer à Alcmène ce qui est peut-être en son pouvoir : la transformer en déesse, pour larécompenser de la nuit d'amour qu'il vient de passer avec elle (récompense qui pour elle ne peut en être unepuisqu'elle pense avoir passé cette nuit avec son mari).

La femme, en revanche, ignorant à qui elle a affaire, nepeut voir dans cette conversation et les propositions que lui fait son prétendu mari, que de gratuites et plaisantesamabilités amoureuses...

Mais la scène prend vite l'apparence d'une sorte de scène de « tentation » : à langagecouvert en effet, le maître des dieux essaie de faire abjurer Alcmène, de la faire renoncer à sa condition de mortelle,ce qui revient à la hisser à lui pour mieux la séparer de son mari, le vrai Amphitryon.

Jupiter dès lors déploie tous lesartifices de la rhétorique pour essayer de la séduire (au sens propre du terme) : la détourner de son chemind'épouse fidèle et amoureuse en lui faisant miroiter les privilèges de la condition de déesse.

Aussi lui pose-t-il touteune série de questions pressantes, pensant qu'Alcmène, comme toutes les femmes, sera séduite par ce qu'il déploiedevant elle : immortalité, honneurs, etc.

Mais les réponses d'Alcmène sont des réponses de femme, de mortelleaimée et amoureuse, satisfaite de sa condition, d'où la surprise du dieu plus habitué sans doute à entendre dans labouche des hommes des récriminations sur l'horreur de vivre ici-bas que de tels éloges.Ainsi, paradoxalement, celui qui sait tout et qui par là même devrait donc dominer la situation, Jupiter, se laisse peuà peu lui-même séduire par les réponses pleines de tact et d'à-propos de l'épouse...

Après la tirade d'Alcmène, il laregarde avec un « air respectueux ».

Ce respect c'est celui que l'on doit à quelqu'un qui vous étonne et devant quivous rendez les armes.

Peu habitué aux résistances, Jupiter s'avoue vaincu et reconnaît en Alcmène quelqu'un quifrôle la perfection humaine, mais celle-ci ne va-t-elle pas, finalement, bien au-delà de l'autre ? « Tu es le premierêtre vraiment humain que je rencontre.

» 2.

Un portrait de femmeAu-delà, en effet, de ce dialogue qui peut paraître surprenant, c'est un portrait de femme exemplaire qui se dessinepeu à peu : Giraudoux brosse le portrait d'une créature presque parfaite, tant ses réponses sont sensées,tranquilles.

Ainsi, à la question posée par Jupiter de savoir si elle veut « être déesse », Alcmène répond « certes non», ce qui peut surprendre.

Mais Alcmène ne rêve pas, ne veut pas rêver : pour cela, elle a trop le sens des réalités.Aussi ses réponses désarçonnent-elles d'abord son interlocuteur qui, faisant miroiter à son esprit et à sa fierté. »

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