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Jean Onimus, « L'École », n° 17 9 06-1973. La société moderne : « une manipulation de l'individu ?

Publié le 05/10/2017

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individu

Si l'on définit la violence comme l'emploi de moyens d'action qui portent atteinte à l'intégrité physique, psychique ou morale, o n peut dire que la société moderne, sous ses allures les plus démocratiques ou les plus libérales, est une société violente. Certes, aucune société ne peut laisser libre cours à l'irruption sauvage des pulsions et des instincts; la vie sociale impose l'apprentissage d'une discipline. Mais lorsque le dressage est trop parfait, à la fois totalitaire et insidieux, on assiste à une aliénation $ qui, pour être discrète, voire invisible, n'en est pas moins profonde ( ... ). Il suffit de songer aux effets trau­matisants de la publicité, au conditionnement des cerveaux par les propagandes et des sensibilités par l'impact incessant des images,

1. Dépossession de soi même au profit d'une chose extérieure.


à l'influence de ces systèmes d'émulation et de compétition établis d u haut en bas de la société. L'énergie vitale est ingénieusement canalisée, exploitée en vue du rendement. L'individu est manipulé sans qu'il s'en aperçoive et lentement privé de l'espace vital indis pensable à son autonomie.

A cette violence feutrée et sophistiquée il faut lier, comme sa conséquence, un autre comportement tout à fait typique de notre temps : c'est l'indifférence.

Car l'indifférence (le manque de réaction affective, c'est à dire d'émotion, de colère ou d e tendresse) est une forme subtile de vio­lence fort répandue dans nos sociétés industrialisées où les relations sont plus techniques qu'humaines, où le décor, bien que fonctionnel et commode (ou peut être à cause de cela), manque d'âme, n'éveille n i sympathie n i joie de vivre. Les hommes, marqués par ce décor, sont aussi froids que lui. On a signalé, par exemple, la passivité crois sante des gens devant les accidents d'automobile : d'une part ils ont été dès l'enfance saturés d'images cruelles et pour ainsi dire saturés de sang; ils ont acquis ainsi une insensibilité que favorise, d'autre part, le cadre entièrement mécanisé et rationalisé de la vie urbaine. Le monde très dur dans lequel nous vivons risque de nous rendre, à son image, durs et sans cœur.

La civilisation organisée, rationnelle, que nous sommes en train de construire se montre d'autant plus pénible à vivre au point de vue moral qu'elle devient plus riche et plus commode sur le plan matériel. Elle développe alors son antidote, qui est une culture brutale. La sen sibilité et l'imagination, brimées par l'expérience quotidienne, cherchent une compensation dans l'imaginaire et dans l'irréel. Alors dans nos avenues, au milieu de buildings qui consacrent la puissance de notre génie, on voit d'immondes officines où la tech nique se met au service des instincts les plus élémentaires; à côté, voici des cinémas où la violence animale que le décor urbain prétend ignorer s'étale en images d'un cynisme sans limites. Non loin de là, voici des galeries d'art où, sous les formes les plus variées, parfois admirables et émouvantes, des gens ont tenté d'exprimer leur révolte et leur désespoir. Les violences qui ont pour causes des distorsions 2 économiques et sociales sont, à plus ou moins brèves échéance, guérissables, et d'ailleurs en voie de guérison. Mais il est dans la nature même du progrès technique, tel qu'il est actuellement pra tiqué, de développer un type nouveau d'agression qui nous atteint au plus profond de notre être : en le frustrant de satisfactions qui lui sont indispensables, on réveille le sauvage dans le civilisé.

Nous percevons tous cette menace, qui fait lever le poing aux jeunes gens et les précipite dans les plus frénétiques extrémités, mais nous la percevons vaguement, sans en bien discerner les im pli­cations et la portée. D'où l'inquiétude et l'insécurité dans lesquelles

2. Déséquilibres qui engendrent des injustices.


nous vivons, inquiétude bien plus grave que celle que suscite la perspective de la violence absolue : je veux parler de la guerre ato mique. Ce n'est pas cette violence là, tout extérieure et objective, aussi mystérieuse qu'un destin, qui nous trouble le plus : c'est celle que sont en train d'exercer sur nous nos propres progrès techniques.

 

Jean Onimus, « L'École », n° 17 9 06-1973.

individu

« à l'in fluence de ces systèmes d'ému lation et de compé tition établis du haut en bas de la socié té.

L'énergie vitale est ingén ieusement canalisée, exploitée en vue du rendement.

L'individu est manipulé sans qu'il s'en aperçoive et lentement privé de l' espace vital indis pensable à son autonomie.

A cette violenc e feutrée et soph istiquée il faut lier, comme sa conséquenc e, un autre compor tement tou t à fait typique de notre temps : c'est l'indiffére nce.

Car l'indifférence (le manque de réac tion affective, c'est àdire d'émotion, de colère ou de tend resse) est une forme subtile de vio­ lence fort répandue dans nos sociétés indus trialisées où les relations sont plus techni ques qu'h umaines, où le dé cor, bien que fonc tionnel et commode (ou peut être à cause de cela), manque d'âme, n'éveille ni sym pathie ni joie de vivre.

Les hommes, marqués par ce décor , sont aussi froids que lui.

On a signalé, par exemple, la pass ivité crois sante des gens devant les acciden ts d'auto mobile : d'un e par t ils on t été dès l'enfance satu rés d'images cruelles et pour ainsi dire saturés de sang ; ils ont acquis ainsi une insensi bilité que favo rise, d' autr e part, le cadr e en tièr emen t mécan isé et rati onalisé de la vie urbaine.

Le monde très dur dans lequel nous vivons risque de nous re ndr e, à son image, durs et sans cœur.

La civili sation organisée, rationn elle, que nous sommes en train de cons truire se mon tre d'autant plus pénible à vivr e au poin t de vue mor al qu'elle devient plus riche et plus commode sur le pla n matéri el.

Elle développe alors son antido te, qui est une cultur e br utale.

La sen sibili té et l'imagination, brimées par l'expérience quotid ienne, cherchent une compens ation dans l'imaginair e et dans l'irrée l.

Al ors dans nos aven ues, au mili eu de buildings qui cons acrent la pui ssance de notre génie, on voit d'immo ndes off icine s où la tech ni qu e se met au service des instinc ts les plus élémentai res; à côté, voici des cinémas où la viole nce anim ale que le décor urbain préte nd ign orer s'étale en images d'un cynisme sans limites.

Non loin de là, voici des galeries d'art où, sous les formes les plus variées, parfois admir ables et émo uvantes, des gens ont tenté d'exprimer leur révolte et leur désespoir .

Les viole nces qui ont pour causes des distorsions 2 éco nomique s et sociales sont, à plus ou moins brèves échéance, gu érissables, et d'aill eurs en voie de guér ison.

Mais il est dans la nature même du progr ès techniqu e, tel qu'il est actu ellement pra tiqué, de dév elopper un type nouveau d'agr ess ion qui nous atteint au plus profo nd de notre être :en le fru strant de satisfactions qui lui sont indispensables, on réveille le sauvage dans le civi lisé.

Nous per cevons tous cette menace, qui fait lever le poing aux jeunes gens et les précipi te dans les plus fréné tiques extrémités, mais nous la percevons vag uement, sans en bien discern er les impli­ cati ons et la por tée.

D'où l'inqu iétude et l'in sécu rité dans lesquelles 2.

Déséq uilibres qui engend rent des injus tices.. »

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