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La Chevelure (Spleen et Idéal) BAUDELAIRE

Publié le 02/03/2011

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O toison, moutonnant jusque sur l'encolure ! O boucles ! O parfum chargé de nonchaloir ! Extase ! Pour peupler ce soir l'alcôve obscure Des souvenirs dormant dans cette chevelure, Je la veux agiter dans l'air comme un mouchoir ! La langoureuse Asie et la brûlante Afrique, Tout un monde lointain, absent, presque défunt, Vit dans tes profondeurs, forêt aromatique ! Comme d'autres esprits voguent sur la musique, Le mien, ô mon amour ! nage sur ton parfum. J'irai là-bas où l'arbre et l'homme, pleins de sève, Se pâment longuement sous l'ardeur des climats ; Fortes tresses, soyez la houle qui m'enlève ! Tu contiens, mer d'ébène, un éblouissant rêve De voiles, de rameurs, de flammes et de mâts : Un port retentissant où mon âme peut boire À grand flots le parfum, le son et la couleur ; Où les vaisseaux, glissant dans l'or et dans la moire, Ouvrent leurs vastes bras pour embrasser la gloire D'un ciel pur où frémit l'éternelle chaleur. Je plongerai ma tête amoureuse d'ivresse Dans ce noir océan où l'autre est enfermé ; Et mon esprit subtil que le roulis caresse Saura vous retrouver, ô féconde paresse, Infinis bercements du loisir embaumé ! Cheveux bleus, pavillon de ténèbres tendues, Vous me rendez l'azur du ciel immense et rond ; Sur les bords duvetés de vos mèches tordues Je m'enivre ardemment des senteurs confondues De l'huile de coco, du musc et du goudron.

Longtemps ! toujours ! ma main dans ta crinière lourde Sèmera le rubis, la perle et le saphir, Afin qu'à mon désir tu ne sois jamais sourde ! N'es-tu pas l'oasis où je rêve, et la gourde Où je hume à longs traits le vin du souvenir ? (Spleen et Idéal)   

• L'espace du lointain et de l'infini, le temps de l'éternité participent à l'écriture de la jouissance. Montrez comment le lointain, d'abord rattaché à un exotisme du voyage, avec le vers 6 et ses références à des pays d'évasion, l'Asie, l'Afrique, vaut ici surtout pour son indétermination et pour l'épanchement de l'imaginaire qu'elle autorise. Le port structure un moment cet ailleurs ; il est riche du repos qu'il procure et du voyage qu'il promet. Étudiez la manière dont se maintient tout au long du poème l'alternance de ces deux thèmes, repos, voyage.

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« dont se maintient tout au long du poème l'alternance de ces deux thèmes, repos, voyage. • Le temps conjugue permanence et infini.

L'indicatif présent garantit la splendeur durable du monde.

Quels termes,quelles expressions prennent en charge la représentation de l'infini ? Bonheur du corps, extase de l'âme • Le bonheur suppose la satisfaction conjointe des sens.

Ainsi les deux vers Un port retentissant où mon âme peutboire / A grands flots le parfum, le son et la couleur sont-ils organisés pour rendre compte d'une pluralité dessensations et des plaisirs et exprimer à travers l'image de l'âme qui s'abreuve la fusion du corps et de l'esprit.D'autres vers sont organisés sur le même principe.

Lesquels ? • Le sens olfactif est le plus sollicité tout au long du poème.

Relevez pour l'illustrer le champ lexical du parfum.

Enquoi est-il particulièrement propre à représenter la fusion du corps et de l'esprit qui seule pour Baudelaire est propreà assurer la perfection esthétique, l'idéal existentiel et poétique ? Baudelaire a composé parallèlement aux Fleurs du Mal les textes en prose publiés sous le titre Le Spleen de Paris.Cet extrait d'Un hémisphère dans une chevelure permet de comparer l'écriture poétique en vers ou en prose. Laisse-moi respirer longtemps, longtemps, l'odeur de tes cheveux, y plonger tout mon visage, comme un hommealtéré dans l'eau d'une source, et les agiter avec ma main comme un mouchoir odorant, pour secouer des souvenirsdans l'air. Si tu pouvais savoir tout ce que je vois ! tout ce que je sens ! tout ce que j'entends dans tes cheveux ! Mon âmevoyage sur le parfum comme l'âme des autres hommes sur la musique. Tes cheveux contiennent tout un rêve, plein de voilures et de mâtures ; ils contiennent de grandes mers dont lesmoussons me portent vers de charmants climats, où l'espace est plus bleu et plus profond, où l'atmosphère estparfumée par les fruits, par les feuilles et par la peau humaine. Dans l'océan de ta chevelure, j'entrevois un port fourmillant de chants mélancoliques, d'hommes vigoureux de toutesnations et de navires de toutes formes découpant leurs architectures fines et compliquées sur un ciel immense oùse prélasse l'éternelle chaleur.

[...] • La prose poétique s'affranchit des contraintes métriques, mais le rythme musical est assuré ici par des procédésd'écriture comme l'anaphore en association avec le rythme ternaire.

Ainsi, dans la phrase Si tu pouvais savoir toutce que je vois ! tout ce que je sens /, tout ce que j'entends dans tes cheveux! le retour anaphorique de la relative,et le rythme ternaire qu'amplifie le mode exclamatif et que structurent les assonances, -oir- et -en-, et l'allitérationen [s] contribuent à la musicalité poétique du discours.

Étudiez en ce sens le rôle poétique des répétitions et descoordinations. • Étude de la dernière phrase : la métaphore qui la désigne associe immédiatement la chevelure à un univers marinque complètent les termes port et navires.

De plus elle connote une idée d'infini à laquelle font écho l'emploisystématique du pluriel et quelques adjectifs qualificatifs.

Relevez-les. La métaphore sert de point de départ à un univers spécifiquement baudelairien, rythmé par la pluralité dessensations, l'importance de l'esthétique et la sourde douleur de la nostalgie.

Suivez le cheminement de ces troiséléments dans la progression de la phrase.

Une poétique de la réminiscence «La Chevelure » est l'un des poèmes écrits dans la période particulièrement féconde qui sépare les deux éditions desFleurs du Mal.

Paru pour la première fois le 10 mai 1859 dans la Revue française, il a été intégré à l'édition de 1861.Il est donc contemporain des grands poèmes qui sont entrés dans les «Tableaux parisiens» et qui ont été composésdans ces mêmes années 1858-59, tels «Le Voyage », « Les Petites Vieilles », « Les Sept Vieillards », et surtout « LeCygne » qui, bien que paru en revue une année plus tard, appartient à la même série.

Quoique relevant d'une autreinspiration que ces grands textes qui racontent « l'horreur et les enchantements » de la grande métropole moderne,«La Chevelure » marque avec une égale plénitude l'épanouissement du génie poétique de Baudelaire.On y retrouve exactement les thèmes de « Parfum exotique », ce qui explique sans doute que Prarond, confondantles deux textes, ait par erreur cité «La Chevelure » parmi les poèmes de jeunesse.

Comme dans « Parfum exotique »,le parfum de la femme est dans « La Chevelure » l'incitation à un voyage mental qui associe le rêve au souvenir.Mais alors que dans « Parfum exotique », la représentation des « rivages heureux » naît de l'abandon voluptueux auxsensations, dans «La Chevelure », celle du « monde lointain » s'organise selon un travail concerté qui met en jeutoutes les ressources des correspondances.

Il ne s'agit plus alors d'une rêverie fugitive, mais de la reconquête d'uneharmonie, perdue par l'élaboration d'un réseau d'associations et de métaphores faisant appel aux lois de l'analogieuniverselle et fondé sur une poétique de la réminiscence :. »

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