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La Condition humaine,VIe partie, Folio (Gallimard): Commentaire composé

Publié le 28/05/2015

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La Condition humaine,Vle partie, Folio (Gallimard), pp. 309-310.

Arrêtés par la police de Chang Kaï-shek, deux cents blessés communistes sont rassemblés dans un préau, dans l'attente de leur exécution. Condamné à être brûlé vif dans la chau­dière d'une locomotive, Katow, qui a déjà assisté au suicide de Kyo, a donné le cyanure qui lui aurait permis d'échapper au supplice ci deux de ses compagnons d'armes. Les deux jeunes gens viennent de mourir; auprès de Katow, dans une «suffocation convulsive«.

Katow se sentit abandonné. Il se retourna sur le ventre et attendit. Le trem­blement de ses épaules ne cessait pas.

Au milieu de la nuit, l'officier revint. Dans un chahut d'armes heurtées, six soldats s'approchèrent des condamnés. Tous les prisonniers s'étaient réveillés. Le nouveau fanal, lui aussi, ne montrait que de longues formes confuses — des tombes dans la terre retournée, déjà — et quelques reflets sur des yeux. Katow était parvenu à se dresser. Celui qui commandait l'escorte prit le bras de Kyo, en sentit la raideur, saisit aussitôt Souen ; celui-là aussi était raide. Une rumeur se propageait, des premiers rangs des prisonniers

10   aux derniers. Le chef d'escorte prit par le pied une jambe du premier, puis du second: elles retombèrent, raides. Il appela l'officier. Celui-ci fit les mêmes gestes. Parmi les prisonniers, la rumeur grossissait. L'officier regarda Katow:

    Morts?

  Pourquoi répondre ?

    Isolez les six prisonniers les plus proches !

    Inutile, répondit Katow: c'est moi qui leur ai donné le cyanure. L'officier hésita:

    Et vous? demanda-t-il enfin.

20   — Il n'y en avait que pour deux, répondit Katow avec une joie profonde.

«Je vais recevoir un coup de crosse dans la figure «, pensa-t-il.

La rumeur des prisonniers était devenue presque une clameur.

— Marchons, dit seulement l'officier.

Katow n'oubliait pas qu'il avait déjà été condamné à mort, qu'il avait vu les

 mitrailleuses braquées sur lui, les avait entendues tirer... «Dès que je serai dehors, je vais essayer d'en étrangler un, et de laisser mes mains assez long­temps serrées pour qu'ils soient obligés de me tuer. Ils me brûleront, mais mort «. A l'instant même, un des soldats le prit à bras-le-corps, tandis qu'un autre ramenait ses mains derrière son dos et les attachait. «Les petits auront

   eu de la veine, pensa-t-il. Allons! supposons que je sois mort dans un incen­die«. Il commença à marcher. Le silence retomba, comme une trappe, mal­gré les gémissements. Comme naguère sur le mur blanc, le fanal projeta l'ombre maintenant très noire de Katow sur les grandes fenêtres nocturnes; il marchait pesamment, d'une jambe sur l'autre, arrêté par ses blessures;

35 lorsque son balancement se rapprochait du fanal, la silhouette de sa tête se perdait au plafond. Toute l'obscurité de la salle était vivante, et le suivait du regard pas à pas. Le silence était devenu tel que le sol résonnait chaque fois

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qu'il le touchait lourdement du pied ; toutes les têtes, battant de haut en bas, suivaient le rythme de sa marche, avec amour, avec effroi, avec résignation,

40 comme si, malgré les mouvements semblables, chacun se fut dévoilé en sui­vant ce départ cahotant. Tous restèrent la tête levée : la porte se refermait. Un bruit de respirations profondes, le même que celui du sommeil, com­mença à monter du sol: respirant par le nez, les mâchoires collées par l'an­goisse, immobiles maintenant, tous ceux qui n'étaient pas encore morts

 

45 attendaient le sifflet.

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