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LA DESCENDANCE ET LA POSTERITE D'HAMLET DANS L'HISTOIRE DE LA LITTERATURE

Publié le 11/03/2011

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Qui n'a-t-on pas rapproché d'Hamlet ? Si on lui découvre une ascendance douteuse avec certains héros de l'antiquité, on lui découvre également une descendance, justifiée parfois, mais souvent discutable. Innombrables, ses fils spirituels ! Le sont-ils tous vraiment ? C'est ainsi qu'il est très difficile d'admettre que l'Alceste de Molière soit une réplique d'Hamlet. Castelain s'efforce pourtant de le démontrer en arguant que tous deux ont « la même nature noble sensible, loyale, candide, foncièrement honnête, que révolte le train du monde. C'est en réalité, dit-il, le même homme que Shakespeare et Molière ont peint, un grand honnête homme révolté. « Il ajoute que, si Alceste avait à venger un père assassiné, une mère déshonorée «, il tuerait peut-être (sic) le coupable, mais il deviendrait presque fou, comme Hamlet. Simple hypothèse.

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« prévoir ? Sur une force de la nature comme Hugo, d'ailleurs optimiste, Hamlet n'a qu'une prise littéraire.

Sur leThéophile Gautier d'Albertus et de la Comédie de la Mort, l'imitation reste verbale, à fleur de peau.

Quant àLamartine, il est hors de cause.

Mais chez un malade tourmenté par le doute et en rupture avec la société, commeVigny, chez un nerveux hypersensible comme Musset, chez un être nostalgique et mystérieux comme Gérard deNerval, l'approche avec Hamlet est plus sensible, plus humaine, donc plus douloureuse ; « écharde dans la chair »,oui.

Elle le devient plus encore chez Delacroix, où elle prend un caractère pathologique.

Si le grand peintre est hantépar Hamlet, c'est parce qu'il traverse la même crise familiale que lui ; le père qu'il a aimé dans son enfance n'est pasle sien, et il doit admettre l'inconduite de sa mère, dont il souffre cruellement.

« Le drame d'Hamlet prenait donc àses yeux un sens intime et déchirant », dit avec raison René Huy-ghe ; il y « projetait son tourment, il lereconnaissait ».

D'où les dessins, les lithographies, les tableaux, où, entre 1828 et 1859, il ne cesse d'évoquerHamlet figure de cauchemar, Hamlet et Horatio (scène des fossoyeurs), La Mort d'Ophélie, la série des lithographiesde 1834, terminée en 1843, etc...

Ainsi l'œuvre de Delacroix porte, pendant trente ans, la marque profonded'Hamlet, comme Berlioz, misanthrope, révolté, désespéré, en porte, lui aussi, la marque quand il compose Lélio en1832, La Mort d'Ophélie en 1841, lui qui fit de Shakespeare un de ses dieux et qui aima sa première femme, uneactrice irlandaise, à travers Ophélie, enfin comme le héros de Musset porte, lui aussi, cette marque dans leLorenzaccio de 1834.

Significative conjugaison de la musique et du théâtre.

« Aucun commentaire ne saurait épuiserla complexité de Lorenzo pas plus que celle d'Hamlet », a-t-on dit.

Pour s'être inspiré directement du grand drameanglais, Musset a créé un des sommets dramatiques du XIXme siècle.

Mais les critiques ne sont pas d'accord.

HenriGuillemin refuse de voir dans Lorenzaccio une « réplique amortie » d'Hamlet, car son aventure lui est propre, et elleest terrible.

Comme si l'aventure d'Hamlet ne lui était pas propre, elle aussi, et pareillement terrible ! Et qu'importeque la pièce de Musset soit « pesante, traînante, encombrée ».

Celle de Shakespeare ne l'est pas moins.

Alors que,pour Henri Lefebvre, Lorenzaccio est la seule pièce comparable au chef-d'œuvre de Shakespeare, que, pour RenéClair, Musset « marie en se jouant le génie élizabéthain à celui de Marivaux », Ph.

Van Tieghem ne voit en Lorenzoqu'un « Hamlet décadent, gangrené par les plaisirs et désabusé par la pensée.

».

A cet Hamlet dégradé, MmeLongworth-Cham-brun ajoute ces « Hamlets pervertis » que sont, d'après elle, Lorenzaccio, Manfred et Werther, carl'école romantique ne s'inspire, prétend-elle, ni des « sages discours », ni des « nobles sentiments » d'Hamlet ; ellene retient que ses paradoxes quand il simule la folie.

Est-ce exact ? Qu'avons-nous donc à reprocher aux Romantiques ? S'ils ont accaparé Hamlet et l'ont remodelé à leur image, noussommes allés bien au-delà, dès la seconde moitié du XIXme siècle, et le XXme siècle a passé toute mesure.

Nous nevoyons plus Hamlet comme le voyaient les Romantiques et des critiques comme Taine ou Mézières, déclare J.Axelrad, qui ajoute : « Il n'est pas appauvri, au contraire ».

Pourquoi le serait-il ? En lui prêtant trop, on l'a tropenrichi.

Car il n'est plus seulement le représentant de son époque, ni un type particulier.

Il est devenu, bon gré malgré, le représentant de toutes les époques, donc un type universel. Entre 1880 et 1900, on l'« universalise » à plaisir, on voit en lui, avec Jules Lemaître, « le plus ancien représentantde l'âme moderne, du romantisme, du pessimisme, du nihilisme, de la grande névrose et d'autres choses encoreauxquelles sans doute il ne songeait pas ».

Ni Shakespeare à coup sûr ! Le pessimiste Hamlet, déclare AnatoleFrance, est « un homme, est l'homme, est tout l'homme ».

Il est de tous les temps et de tous les pays, son âme al'âge de chacune de nos âmes, il est ce que nous sommes, « un homme au milieu du mal universel ».

Sur la terrassed'Elseneur, Henri de Régnier sent « dans sa chair et dans ses os le frisson d'horreur, de désespoir et de mélancoliedont Hamlet a failli mourir plus sûrement que par le poison ou par l'épée ».

Et tous de s'exalter, de s'identifier aupersonnage.

Ce n'est plus de l'admiration, c'est un culte. Le ton étant donné, l'orchestration suit.

Impossible d'en marquer les modulations infinies.

Voici, à titre indicatif,quelques points de repère.

Nordique, Hamlet ? Non, Méditerranéen, réplique Jaurès.

« Il est plus latin, plus clair qu'onne croit, dit-il.

Ce n'est pas un homme profond, mais un pauvre jeune homme accablé par le poids de ce qu'il nepeut pas faire ».

L.

Gillet renchérit : « Quoi de plus faux, dit-il, que de prendre Shakespeare pour un génie antilatin ?».

Tel romancier italien, Italo Svevo par exemple (1861-1928) contemporain de Pirandello et de Kafka, est uni pardes « affinités électives » au personnage d'Hamlet, qui exerce sur lui une puissante attraction.

Comme le héros deShakespeare, les héros de Svevo — surtout Zeno — s'étudient, s'analysent, se payent de mots au lieu d'agir.

Unerésolution, sitôt prise, s'épuise en considérations oiseuses, qui n'ont d'autre effet que d'endormir la conscience ; «d'une clairvoyance aiguë résulte une impuissance à être ».

Il est curieux de constater que Svevo est peut-être alléà Shakespeare à travers Tourgueniev, ou inversement. Car après l'Hamlet germanique, après l'Hamlet latin, voici THamlet slave.

« La figure d'Hamlet, disait Tourguéniev, nenous est-elle pas plus proche, plus compréhensible qu'aux Français, voire aux Anglais ? Le trait dominant du peuplerusse est une soif sans pareille de prendre conscience de soi-même en s'étudiant sans relâche ».

C'est pourquoi leRoudine des Mémoires d'un Chasseur, le Nejdanov de Terres Vierges, sont des répliques d'Hamlet, compte tenu desdifférences entre les lieux, les époques et l'esprit des deux races.

De même on a comparé l'Oblomov de Gontcharovet certains types de Tchekov à Hamlet, les uns et les autres incapables de prendre une décision, marqués par ledécouragement, la tristesse, le dégoût de vivre, le « cafard », l'ennui, la peur du lendemain.

« A quoi bon ? » résumeleur philosophie.

Bref, là où est le tourment, là est Hamlet ; mais faut-il pousser le parallèle ? On s'y ingénie de plus en plus.

Hamlet devient ainsi « l'un des protagonistes du mouvement symboliste et une âmenée de l'ère postromantique.

Poètes symbolistes, poètes décadents, poètes hermétiques, poètes surréalistes...,tous veulent se reconnaître d'autant plus dans Hamlet que tout ce qui est trouble, inconnu, malsain, irrationnel,absurde, est leur domaine de prédilection.

En France, on a voulu voir en Rimbaud un Hamlet dévoyé, sous prétextequ'il y a en lui du démoniaque et du luciférien.

Mais les imprécations de Une Saison en Enfer n'ont rien de commun. »

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