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La fessée Livre I, Folio (Gallimard), pp. 44-46 - Confessions de Rousseau

Publié le 02/08/2014

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rousseau

 

Orphelin de mère depuis sa naissance, élevé par son père jusqu'à ce que celui-ci s'exile de Genève (1722), jean Jacques Rousseau est placé en pension, en compagnie de son cousin, chez le pasteur Lambercier et sa sœur à Bossc, un village près de Genèoe. Rousseau se souvient de ce séjour comme d'un paradis. Cependant dans ce paradis de l'enfance, l'érotisme surgit, à l'occasion d'une fessée administrée par Mlle Lambercier

Comme Mlle Lambercier avait pour nous l'affection d'une mère, elle en avait aussi l'autorité, et la portait quelquefois jusqu'à nous infliger la punition des enfants quand nous l'avions méritée. Assez longtemps elle s'en tint à la menace, et cette menace d'un châtiment tout nouveau pour moi me semblait très

s effrayante; mais après l'exécution, je la trouvai moins terrible à l'épreuve que l'attente ne l'avait été, et ce qu'il y a de plus bizarre est que ce châtiment m'af¬fectionna davantage encore à celle qui me l'avait imposé. Il fallait même toute la vérité de cette affection et toute ma douceur naturelle pour m'empêcher de chercher le retour du même traitement en le méritant; carf avais trouvé dans la douleur, dans la honte même, un mélange de sensualité qui m'avait laissé plus de désir que de crainte de l'éprouver derechef par la même main. Il est vrai que, comme il se mêlait sans doute à cela quelque instinct précoce du sexe, le même châtiment reçu de son frère ne m'eût point du tout paru plaisant. Mais, de l'hu¬meur dont il était, cette substitution n'était guère à craindre, et si je m'abstenais

15 de mériter la correction, c'était uniquement de peur de fâcher Mlle Lambercier; car tel est en moi l'empire de la bienveillance, et même de celle que les sens ont. fait naître, qu'elle leur donna toujours la loi dans mon coeur.

Cette récidive, que j'éloignais sans la craindre, arriva sans qu'il y eût de ma faute, c'est-à-dire de ma volonté, et j'en profitai, je puis dire, en sûreté de

25 conscience. Mais cette seconde fois fut aussi la dernière, car Mlle Lambercier, s'étant sans doute aperçue à quelque signe que ce châtiment n'allait pas à son but, déclara qu'elle y renonçait et qu'il la fatiguait trop. Nous avions jusque-là couché dans sa chambre, et même en hiver quelquefois dans son lit. Deux jours après on nous fit coucher dans une autre chambre, et j'eus désormais l'hon 

25 rieur, dont je me serais bien passé, d'être traité par elle en grand garçon.

Qui croirait que ce châtiment d'enfant, reçu à huit ans par la main d'une fille de trente, a décidé de nies goûts, de mes désirs, de mes passions, de moi pour le reste de ma vie, et cela précisément dans le sens contraire à ce qui devait s'en¬suivre naturellement? En même temps que mes sens furent allumés, mes désirs

30 prirent si hien le change, que, bornés à ce que j'avais éprouvé, ils ne s'avisèrent point de chercher autre chose. Avec un sang brûlant de sensualité presque dès ma naissance, je me conservai pur de toute souillure jusqu'à l'âge où les tem¬péraments les plus froids et les plus tardifs se développent. Tourmenté long¬temps sans savoir de quoi, je dévorais d'un oeil ardent les belles personnes; mon

S5 imagination me les rappelait sans cesse, uniquement pour les mettre en oeuvre à ma mode, et en faire autant de demoiselles Lambercier.

(Voir commentaire page suivante)

 

CCOMMENTAIRE)

Enjeu: l'éveil d'une sexualité singulière

Les deux premiers paragraphes sont narratifs. Le premier raconte la découverte du plaisir lors d'une fessée ; le deuxième, la « récidive « (seconde fessée) et ses conséquences: Mlle Lambercier ne traite plus Jean Jacquesen enfant mais en «grand garçon «. Le troisième paragraphe est explicatif: le narrateur, anticipant sur l'avenir, souligne combien cet épisode fixe son comportement sexuel d'adulte.

Un moment important des Confessions: c'est le premier aveu difficile, et l'occasion pour Rousseau de jeter un éclairage sur son être profond. Une forme singulière de sexualité, où prédominent humiliation et frustration s'éveille en lui, et marque l'irruption troublante de l'érotisme dans l'uni¬vers de l'enfance.

rousseau

« (COMMENTAIRE) Enjeu: l'éveil d'une sexualité singulière Les deux premiers paragraphes sont narratifs.

Le pren1ier raconte la découverte du plaisir lors d'une fessée; le deuxième, la «récidive» (seconde fessée) et ses conséquences: Mlle Lambercier ne traite plus Jean:Jacqucs en enfant mais en "grand garçon,,.

Le troisième paragraphe est explicatif: le narrateur, anticipant sur l'avenir, souligne combien cet épisode fixe son comportement sexuel d'adulte.

Ln moment important des C'onfessions: c'est le premier aveu difficile, et l'occasion pour Rousseau de jeter un éclairage sur son être profond.

Une forme singulière de sexualité, où prédominent humiliation et frustration s'éveille en lui, et 1narquc l'irruption troublante de l'érotisme dans l'uni­ vers de 1' enfance.

Un aveu difficile Rousseau fait un aveu qui lui coùte, il l'énonce avec précaution et retenue, accumulant les explications, gominant les réalités physiques.

I!impudcur de l'aveu est donc tempérée par la pudeur du langage.

Périphrases 1 et ellipses2.

Plusieurs fois, Rousseau recourt à des péri­ phrases.

La plus visible concerne la fessée: "punition d1!s Prljunts '" Le mot «fessée», qui existe à l'époque, n'estjamais employé; le texte s'appuie sur des termes de substitution qui gomment ce que le mot juste et précis pour­ rait avoir de trop cru: «châtiment», "rnêute traitement'" "correction"· La seconde fessée est indiquée de façon allusive: "cette seconde fois,,/ (,(,'ette réci­ dive».

Pour parler de sa virginité prolongée, Rousseau utilise aussi une double périphrase: «je me conservai jJur de toute souillure/l'âge où les temf1éra­ mr:nts ...

" (l.

22-23).

Et le passage se clôt sur une périphrase décrivant le désir in1aginaire de Jean-Jacques ("en Jaire autant de demoisPlles f,a1nbercier»): recevoir la fessée des femtnes qui l'attirent.

À cet emploi d'un vocabulaire allusif, s'ajoute le recours à l'ellipse dans la conduite du récit: les n1otifs des punitions restent inconnus et surtout, les circons­ tances de la pre1nière fessée sont complètement dissimulées: on passe, dans la tnême phrase, du n1ornent qui précède la punition ( ((cette menace ...

effra.'vante») au mon1ent qui la suit («mais après l'exécution ...

»).

l.

La périphrase utilise, à la place d'un seul rnot (le mot qui conviendrait), plusieurs n1ots qui forment comme une définition de cc mot absent.

2.

L'ellipse consiste à faire l'éconon1ie d'un élén1cnt ou de plusieurs éléments dans une phrase sans que le sens soit obscurci.

42. »

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