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La Modification de Butor: Un roman de formule traditionnelle

Publié le 23/01/2020

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En tout cas, comme on se lave fréquemment, on boit beaucoup au fil des pages, si l’on y mange assez peu; à mon compte, on boit 7 fois du café, 6 fois du café au lait, 8 fois du thé, 7 fois du vin, 3 fois de l’alcool et 3 fois des boissons « rafraîchissantes » diverses; si Léon Delmont rêvasse sur les réclames contenues dans l’indicateur des chemins de fer, c’est la Verveine du Velay qui attire son attention au point qu’il se promet d’en faire l’essai (p. 29). Ce qui frappe surtout, c’est que jamais Butor n’indique les effets de la nourriture sur le corps, alors qu’à plusieurs reprises est décrit le bien-être causé par la boisson (par exemple, p. 189 ou 195); autrement dit, se nourrir est un acte indifférent mais boire fait pénétrer en nous une substance agissante. Tout naturellement donc l’angoisse qui étreint Léon Delmont dans ses songes se traduira par la vieille métaphore de la soif (p. 236237). Car l’eau et tout le vocabulaire qui se rattache à cette notion vont fournir d’innombrables métaphores dans La modification. Je ne saurais en dresser ici la liste complète. Voici quelques exemples. Notons tout d’abord, sans qu’on puisse parler de métaphore proprement dite, que les rêves de Léon Delmont sont pleins de l’image d’un fleuve (p. 206, 211, 219). Au fil des pages, nous rencontrons « une lente houle de coteaux » (p. 63), un fleuve de voitures place du Théâtre-Français (p. 65), ou l’idée qu’en 1955 s’achève « une des grandes vagues de l’histoire » (p. 277). Il n’est pas jusqu’aux losanges de la grille chauffante qui ne deviennent des « vagues » (p. 96), et les draps du lit qui ne deviennent » une infranchissable rivière de lin » (p. 43). La fraîcheur, si elle n’est pas excessive, est une vertu, d’ailleurs imprécise, pour une chambre (p. 123), pour une lumière (p. 131). La voix de Virgile « baigne » de fastueuses demeures (p. 72), tandis que ta présence de Cécile « baignait » les souffrances physiques de Léon Delmont et les apaisait (p. 257). Et ce même Léon Delmont ne se lave pas seulement le corps, .mais l’âme, encrassée par toute sorte de cauchemars (p. 250). Enfin, comme nous pouvions nous y attendre, bain et fontaine se rencontrent dans le mythe de la fontaine de Jouvence, esquissé page 109, explicite page 98, par exemple, d’autant plus que les amants ont rendez-vous non loin du palais Farnèse, près d’une fontaine « en forme de baignoire » (ibid.).

pertinent : dans Mon plus secret conseil, un homme entre son amour d’hier et son amour de demain s’enfuit par le premier train en partance et cherche en chemin la meilleure manière de consommer une rupture pénible, cependant que l’envie de dormir vient tout brouiller; le monologue intérieur se déroule donc dans un compartiment de chemin de fer entre Naples et Tarente, la progression du roman se faisant par un contrepoint entre le déplacement du wagon le long de la ligné et la songerie du voyageur. Même la mise en cause de l’emploi des pronoms personnels se trouve dans le roman de Valéry Larbaud, mais d’une autre manière. Butor a reconnu qu’il avait lu Mon plus secret conseil, mais en ajoutant qu’il n’y avait pas pensé en écrivant La modification ; voilà bien le gibier des chercheurs de sources littéraires, une influence inconsciente. - A mon avis, il y a mieux, comme l’a montré Jean Roudaut dans Répétition et modification dans deux romans de Michel Butorx. Butor a sans doute poursuivi dans son roman la méditation suscitée en lui par La répétition de Kierkegaard. Pourtant à la simple lecture on ne mettrait guère les deux textes en rapport si Butor n’avait écrit en 1950 un essai sur cette œuvre obscure de l’écrivain danois2. L’interprétation qu’il en donne attire l’attention. Tout d’abord Léon Delmont et le jeune homme de La répétition se posent le même problème : comment rompre sans faire souffrir la femme que l’on délaisse? Il faut donc lui persuader que les motifs de la rupture ne sont pas généreux, pour éviter qu’elle s’attache davantage; on trouvera les réflexions de Léon Delmont à ce sujet pages 241244 de La modification. On peut noter aussi que la jeune fille de La répétition n’est pas elle-même pour son amoureux, mais une sorte d’idée platonicienne, tout comme Cécile sera plus une prêtresse du génie de Rome que véritablement Cécile. Vient ensuite le thème de la répétition proprement dit : d’un certain point de vue, tout l’effort de Léon Delmont consiste à recommencer le premier voyage à Rome qu’il avait fait avec Henriette en 1936 3; la répétition est un élé-

1. Voir bibliographie, p. 78.

2. Essai reproduit dans Répertoire t p. 94 à 109.

3. Et non en 1938, comme le dit Mme Van Rossum-Guyon (cf. par exemple le tableau de la p. 295 de son ouvrage). Léon et Henriette vivent ensemble « depuis près de vingt ans » (p. 38); d’ailleurs la fille aînée du couple a dix-sept ans (p. 53), elle est donc née en 1938. Au plus tard le voyage de noces a eu lieu au printemps 1937.

« pertinent : dans Mon plus secret consei"l, un homme entre son amour d'hier et son amour de demain s'enfuit par le premier train en partance et cherche en chemin la meilleure manière de consommer une rupture pénible, cependant que l'envie de dormir vient tout brouiller; le monologue intérieur se déroule donc dans un compartiment de chemin de fer entre Naples et Tarente, la progression du roman se faisant par un contrepoint entre le déplacement du wagon le long de la ligne' et la songerie du voyageur.

Même la mise en cause de l'emploi des pronoms personnels se trouve dans le roman de Valéry Larbaud, mais d'une autre manière.

Butor a reconnu qu'il avait lu Mon plus secret consei"l, mais en ajoutant qu'il n'y avait pas pensé en écrivant La modification : voilà bien le gibier des chercheurs de sources littéraires, une influence inconsciente.

-A mon avis, il y a mieux, comme l'a montré Jean Roudaut dans Répétition et modification dans deux romans de Michel Butor 1• Butor a sans doute poursuivi dans son roman la méditation suscitée en lui par La répétition de Kierkegaard.

Pourtant à la simple lecture on ne mettrait guère les deux textes en rapport si Butor n'avait écrit en 1950 un essai sur cette œuvre obscure de !'écrivain danois 2• L'interprétation qu'il en donne attire l'attention.

Tout d'abord Léon Delmont et le jeune homme de La répétition se posent le même problème : comment rompre sans faire souffrir la femme que l'on délaisse? Il faut donc lui persuader que les motifs de la rupture ne sont pas généreux, pour éviter qu'elle s'attache davantage; on trouvera les réflexions de Léon Delmont à ce sujet pages 241- 244 de La modification.

On peut noter aussi que la jeune fille de La répétition n'est pas elle-même pour son amoureux, mais une sorte d'idée platonicienne, tout comme Cécile sera plus une prêtresse du génie de Rome que véritablement Cécile.

Vient ensuite le thème de la répétition proprement dit: d'un certain point de vue, tout l'effort de Léon Delmont consiste à recommencer le premier voyage à Rome qu'il avait fait avec Henriette en 1936 3; la répétition est un élé- 1.

Voir bibliographie, p.

78.

2.

Essai reproduit dans Répertoire, p.

94 à 109.

3.

Et non en 1938, comme le dit Mm• Van Rossum-Guyon (cf.

par exemple le tableau de la p.

295 de son ouvrage).

Léon et Henriette vivent ensemble « depuis près de vingt ans » (p.

38); d'ailleurs la fille aînée du couple a dix-sept ans (p.

53), elle est donc née en 1938.

Au plus tard le voyage de noces a eu lieu au printemps 1937.

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