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" La Nouvelle Héloïse" - Histoire de la littérature

Publié le 25/01/2018

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histoire

La Nouvelle Héloïse est le rôle qu'y joue le temps, substance des âmes toujours en mouvement. Quant aux crises, elles sont pour Rousseau les épreuves sans lesquelles la vérité et l'être d'un individu, d'un sentiment, d'une pensée ne sauraient être authentiques dans un monde falsifié; ou elles naissent spontanément d'un premier conflit entre notre aspiration à la permanence et notre fatale mobilité, d'un autre conflit entre notre vérité et le mensonge de nos rap­ports avec autrui, ou elles sont provoquées par ceux qui ont le droit de savoir qui nous sommes; l'histoire d'Émile ne s'arrête pas à son mariage avec Sophie, elle se complète par un authentique roman, Émile et Sophie ou les Solitaires, qui est la contrepartie de l'Émile et sa mise à l'épreuve ' : trahi par Sophie, désespéré, Émile voyage au loin comme un autre Cleveland; il n'aurait été vraiment lui­même, libre, sage et maître de son destin, qu'après avoir traversé et surmonté le malheur. Les aventures de ces << années de voyage >> qui auraient succédé aux << années d'apprentissage >> auraient été empruntées par Rousseau à la tradition romanesque déjà utilisée par Prévost : naufrage, île déserte, pirates barbaresques ... Le romanesque extérieur est au contraire totalement éliminé de La Nouvelle Héloïse, les crises y sont amenées par l'évolution des caractères et leurs relations entre eux. Rousseau abandonna le roman d'Émile et Sophie après en avoir écrit deux lettres, comme il abandonna Les Amours de Claire et de Marcellin, et Le petit Savoyard ou la vie de Claude Noyer : ces romans qu'il esquissait auraient fort bien pu donner de sa pensée une image fidèle, mais il leur manquait à l'origine le pouvoir d'enchantement que Rousseau trouvait dans les rêveries dont est sortie La Nouvelle Héloïse.

vertu chimérique, le moraliste a pourtant aperçu une troisième catégorie possible de romanciers, « qui ne fussent pas au-dessus des foiblesses de l'humanité, qui ne montrassent pas tout d'un coup la vertu dans le Ciel, hors de la portée des hommes, mais qui la leur fissent aimer en la peignant d'abord moins austere, et puis du sein du vice les y sussent conduire insensiblement 1 ». Mais, même ainsi entendu, le roman n'est encore qu'un pis-aller, « la dernière instruction qu'il reste à donner à un peuple assés corrompu pour que toute autre lui soit inutile 2 >>. L'Entretien sur les Romans, préface développée de La Nouvelle Héloïse, ajoute encore une double restriction : d'une part, ce roman ne saurait instruire les gens du monde, trop << liés aux vices de la société, par des chaînes qu'ils ne peuvent rompre >>; seuls les provinciaux, gentilshommes fermiers, ménagères de la cam­pagne, solitaires, pourront s'y reconnaître et par lui mieux goûter le bonheur de leur condition; d'autre part, si moral qu'il soit, ce roman ne peut être mis entre toutes les mains : << Une honnête fille ne lit point dé livres d'amour 3 >>. Rousseau dissimule sa gêne en prenant le ton de l'ironie et veut sortir d'une situation fausse en affectant de croire que la situation fausse est celle de ses lecteurs. Non seule­ment il écrit un roman, mais ce roman réunit la peinture flatteuse des passions, défaut des romans mondains, et l'idéalisme hors-nature, défaut des romans roma­nesques. Il n'est pas vraisemblable qu'il ait cherché une espèce de consécration publique, qu'il ait voulu entrer dans << la haute littérature >> par un roman '· Prévost lui-même déclarait n'écrire de romans que parce que << l'état de (sa) fortune » ne lui permettait pas de se livrer à des travaux plus relevés, demandant « du temps et de la tranquillité B >>; le succès dans ce domaine n'impliquait pas l'estime. Ce qui est vrai, au contraire, c'est que Rousseau avait besoin de la fiction pour arriver à l'expression la moins inexacte de sa pensée; que son âme était profondé­ment romanesque; que l'artiste qu'il était se servait du roman pour créer de la beauté mieux qu'il ne se servait de la musique 6 : mais par là il élevait le roman à un niveau qu'il n'avait jamais atteint et il le métamorphosait.

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« vertu chimérique, le moraliste a pourtant aperçu une troisième catégorie possible de romanciers, « qui ne fussent pas au-dessus des foiblesses de l'humanité, qui ne montrassent pas tout d'un coup la vertu dans le Ciel, hors de la portée des hommes, mais qui la leur fissent aimer en la peignant d'abord moins austere, et puis du sein du vice les y sussent conduire insensiblement 1 ».

Mais, même ainsi entendu, le roman n'est encore qu'un pis-aller, « la dernière instruction qu'il reste à donner à un peuple assés corrompu pour que toute autre lui soit inutile 2 >>.

L'Entretien sur les Romans, préface développée de La Nouvelle Héloïse, ajoute encore une double restriction : d'une part, ce roman ne saurait instruire les gens du monde, trop >; le succès dans ce domaine n'impliquait pas l'estime.

Ce qui est vrai, au contraire, c'est que Rousseau avait besoin de la fiction pour arriver à l'expression la moins inexacte de sa pensée ; que son âme était profondé­ ment romanesque ; que l'artiste qu'il était se servait du roman pour créer de la beauté mieux qu'il ne se servait de la musique 6 : mais par là il élevait le roman à un niveau qu'il n'avait jamais atteint et il le métamorph osait.

Le seul livre qu'Émile aura lu avant quinze ans est un roman : Robinson Crusoé, qui a le mérite de > et de fournir un premier exercice à l'imagination de l'enf ant, quand son cœur est encore ignorant de la vie et son esprit incapable d'abstraction ; mais les vérités morales que Rousseau propose aux adultes ne sauraient, elles non plus, être enfer­ mées dans des traités théoriques, elles intéressent plus le cœur que la raison : 1.

NOU'Velle Héloïse, II, 21, (O.C .

de J.-J.

RousSEAu, tome II, Paris, 1961, p.

277).

2.

Ibid.

; cf.

Préface, ibid., p.

5 : « Il faut des spectacles dans les grandes villes, et des Romans aux peuples corrompu s.

» 3· Ibid., p.

23; cf.

Préface, ibid., p.

6 : « Jamais fille chaste n'a lu de Romans .

» 4· Hypothèse avancée par M.

Raymond (O.C.

de Rousseau, édit.

cit., I, p.

XV) et B.

Guyon (ibid., p.

XX III).

5· Préf ace du Doyen de Killerin e.

6.

Sur tous ces points, voir la préf ace et les annotations de B.

Guyon à La NOU'V elle Héloïs e, O.C .

de Rousseau, éd.

cit.

tome II.

· 7· Emile, nouvelle édition[ ...

] par François et Pierre Richard, Paris, s.d., livre troisième, p.

210.. »

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