Devoir de Philosophie

LA ONZIÈME (11e) SATIRE DE JUVENAL : LES JOIES DE LA FRUGALITÉ.

Publié le 02/05/2011

Extrait du document

I La Satire XI n'est, à tout prendre, qu'une invitation à dîner, que Juvénal adresse à son ami Persicus pour le 10 avril, dernier jour des jeux Mégalésiens, célébrés chaque année en l'honneur de la Magna Mater. Elle s'ouvre par une digression qui égare un instant le lecteur, et ce n'est qu'un peu plus tard que celui-ci se rend compte du véritable sujet. Juvénal y remarque combien est fréquent, à Rome, le type du prodigue qui, pour satisfaire sa gourmandise, dépense sans compter, quelque limités que soient ses moyens. Si chacun avait seulement le bon sens de mesurer ses fantaisies sur le contenu de sa bourse ! Mais ils préfèrent les suivre aveuglément, quitte à faire banqueroute, au mépris de toute honnêteté, ou à accepter les servitudes d'un engagement dans une école de gladiateurs, quand ils ne se résignent pas à une honteuse mendicité.

« Aujourd'hui, les riches veulent du luxe dans tous les détails de leurs festins, et, sans meubles précieux, la chère laplus fine leur paraît fade.

Persicus ne trouvera rien chez Juvénal qui rappelle tout cet apparat.

Point de maître d'hôtel prestigieux, pointd'esclaves de prix : ce sont des fils de pâtres et de bouviers qui le serviront ; pas de chansons lascives ni dedanses plus qu'osées, exécutées par des filles d'Andalousie.

Les divertissements seront d'une autre qualité : ils lirontensemble de l'Homère et du Virgile ! IIICe morceau est si caractéristique du traditionalisme latin qu'il appelle quelques brèves observations.Même à l'époque où Rome jouissait des conditions économiques les plus favorables et pouvait s'épanouir dans unevie brillante et confortable, bien rares étaient parmi les littérateurs ceux qui osaient entreprendre sans réservesl'apologie du temps présent.

Ovide s'y est risqué une fois dans son Art d'Aimer.

Il esquisse d'abord undéveloppement (inspiré de Properce) sur la simplicité de la Rome antique, puis il se ressaisit brusquement, et sedécide à être sincère :« Que d'autres donnent leurs sympathies au passé Moi, je me félicite de n'être venu au monde que maintenant.

Cesiècle convient à mes goûts...

Nous sommes en pleine civilisation et notre temps ne connaît plus cette rusticité quisurvécut 'a nos premiers aïeux.

» La plupart (et Ovide lui-même, en d'autres passages) se laissaient dominer par un cliché, où s'enveloppait d'ailleursune vérité morale peu discutable.

Ils croyaient, ou feignaient de croire, que l'abus du luxe s'accompagne presquefatalement d'un fléchissement de l'énergie et en est la cause directe.

Quand des moralistes comme Varron, Plinel'Ancien, Sénèque (tous trois de vie austère et de régime frugal) décrivaient les dispendieuses recherches de leurscontemporains, c'était pour s'en indigner.

A dire vrai, certaines de leurs critiques nous paraissent un peu naïves :Sénèque, par exemple, dénonce les raffinés qui se servent de réchauds de bronze pour conserver aux aliments leurchaleur, ou qui rafraîchissent leurs boissons avec de la neige ; Pline l'Ancien parle sévèrement de la pratique quiconsiste à engraisser les volailles.

Ces recherches purent paraître scandaleuses en leur nouveauté.

Quoi qu'il ensoit, un idéal de vie simple, sobre, conforme à la « nature » leur fournit la règle de leurs jugements.

— De là unetendance toute facile (et que favorisait la rhétorique d'école) à vanter la Rome antique, sa pauvreté vertueuse, sondédain du superflu, la robustesse inentamée de ses moeurs.

Pour un peu, Sénèque remonterait plus haut encore etinviterait son époque à restaurer les vertus des « primitifs ».Remarquons en passant que cette conception du rôle délétère du luxe a sensiblement évolué au cours des temps.Nos moralistes français classiques devaient se l'approprier.

La Bruyère déplore, au chapitre De la Ville, les goûtsdispendieux qui se répandaient de plus en plus dans la bourgeoisie française vers la fin du XVIIe siècle.

Fénelonexclut de sa cité idéale, de la Salente qu'il imagine, les étoffes façonnées des pays éloignés, les broderies d'un prixexcessif, les vases d'or et d'argent, les liqueurs et les parfums, et il en interdit l'entrée aux marchands qui vendentces superfluités dangereuses.

— Au XVIIIe siècle, ce point de vue tendit à se modifier.

Montesquieu vante lebienfait des arts qui servent, comme il dit, à la volupté ou à la fantaisie, et il accepte sans se scandaliser qu'unhomme « vive délicieusement », puisqu'en vivant ainsi, il alimente le travail de cent artisans.

Voltaire entreprendrésolument l'apologie du luxe et déclare que la frugalité n'est que de la grossièreté ignorante, transformée plus tarden vertu « par des pauvres de mauvaise humeur ».

L'idée, reprise plus d'une fois au XIXe siècle par les économistes,d'après laquelle le luxe serait le ferment de la prospérité artistique, industrielle et commerciale, a rencontré au XVIIIesiècle une grande faveur ; et, pour en enrayer partiellement le succès, il ne fallut rien de moins que la ripostevigoureuse de Jean-Jacques Rousseau, ennemi de toute civilisation, et hostile, dès lors, au luxe qui en est l'indice leplus sûr et la parure la plus délicate.Juvénal reste donc fidèle à la tradition qui voyait dans le luxe un danger social et une cause d'amoindrissement pourl'individu.

Son goût pour la rhétorique trouvait là un thème à rendement facile ; et un amour sincère de la vie sansapprêts, sans besoins factices, y inclinait également ses complaisances.

Car cette âme ardente a ses apaisements,ses détentes, ses sourires, et c'est alors que « Juvénal transparent laisse entrevoir Virgile ». IVLa fin de la pièce respire la plus amicale bonhomie.

Juvénal invite son ami à faire trêve à ses soucis et à lui réservertoute une paisible journée de loisir.

S'il a des doutes sur la conduite de sa femme (l'hypothèse n'est pas d'un tacttrès délicat) ; si ses esclaves l'exaspèrent par ce qu'ils cassent et par ce qu'ils gâchent, ce sont là des tracas qu'ilfaut momentanément oublier.

Rome tout entière est au cirque en ce dernier jour des fêtes.

Libre à la jeunesse d'yprendre son plaisir ! Les clameurs, les paris hasardeux, l'agrément d'être assis à côté d'une jeune fille en toilette,voilà où elle croit le trouver.

Loin de cette cohue, Juvénal et son ami mettront toge bas, avant d'aller aux bains, et,profitant de leur bienfaisante liberté, ils laisseront leur peau ridée absorber les rayons du soleil de printemps.... »

↓↓↓ APERÇU DU DOCUMENT ↓↓↓

Liens utiles