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LA TRAGEDIE APRÈS RACINE

Publié le 05/04/2011

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Par la qualité même de sa réussite, Racine a stérilisé la tragédie française pour plus d'un siècle; il n'y avait après lui que deux solutions possibles: ou bien le répéter, mais pour cela, il fallait avoir son génie, ou bien chercher du nouveau, mais son prestige même l'interdisait pour longtemps. Aussi voit-on, pendant tout le XVIIIe siècle, végéter une tragédie d'imitation qui conserve à peu près la lettre du théâtre racinien, mais qui en perd l'esprit. En dépouillant la tragédie de ses intérêts parasites, Racine avait réduit son sujet à ce minimum qu'est le jeu mortel de quelques passions. Incapables de remplir cinq actes avec une matière aussi ténue, ses successeurs en arrivent, sous couvert d'enrichir leur inspiration, à réintégrer furtivement tous ces intérêts secondaires que Racine avait écartés; ce mouvement commence au début du XVIIIe siècle, il culmine avec le drame romantique.   

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« combinée pour être aussi tragique que possible, une comédie pour être comique, une épopée pour être épique; maisil est impossible de définir le drame de cette manière, il est théoriquement n'importe quoi, pourvu qu'on le joue authéâtre. En fait, la mode de 1830 a donné au drame romantique une allure assez particulière : c'est un mélange d'épopée, deromanesque, d'éloquence, de lyrisme, avec une mise en scène envahissante, une action extérieure trépidante etbeaucoup de couleur locale.

Le drame tient à la fois du roman noir et de la revue à grand spectacle ; au total, il esttrès loin de la vie. Hugo croyait rapprocher son drame de la réalité en mêlant comique et tragique, parce que tout se mêle dansl'existence quotidienne.

Sans doute.

Mais, nous l'avons vu, si le mélange des genres est une loi des choses, ladistinction des genres est une exigence de la sensibilité : on est incapable de s'intéresser simultanément à unebouffonnerie et à un meurtre; autant que l'attention, la sensibilité est élective; elles ne peuvent enregistrer à la foisdeux sentiments contraires quand l'un et l'autre sont extrêmes.

Le mélange des genres n'est assimilable à l'hommeque si les sentiments sont assez légers pour constituer le badinage.

Mais, justement, Hugo mélange des élémentslittéraires qui sont déjà portés à leur paroxysme, et le résultat est très artificiel. Voilà pourquoi l'inspiration tragique est toujours limitée dans les drames de Hugo ; chaque pièce comporte sansdoute un schéma tragique, mais perpétuellement étouffé par le lyrisme, l'épopée, l'éloquence, et surtout par leromanesque qui est probablement l'élément essentiel de ce théâtre (influence du mélodrame).

Ajoutons le désir dedonner un enseignement moral, de ressusciter le passé, de faire un tableau complet de la vie, le rejet des unités,une psychologie sommaire, le goût des personnages symboliques, autant d'éléments qui font du drame le contrairemême de la tragédie classique. Mais si le drame accueille au théâtre d'autres inspirations que le tragique, ce dernier, en revanche, pénètre toute lalittérature : poèmes et romans.

Non pas qu'il y soit pur; le Romantisme est une période de renouvellement où toutesles inspirations se mêlent.

Mais dans cette sorte de chassé croisé, et c'est ce qui en fait l'intérêt, l'inspirationtragique s'est profondément renouvelée. Dans le courant du XIXe siècle, et à partir de la matière littéraire apportée par le Romantisme, s'est élaboré untragique nouveau qui, à travers bien des hésitations, a fini par reconquérir le théâtre moderne sous les espècesd'une tragédie nouvelle.

Pour saisir l'originalité de cette tragédie par rapport à celle du xvii6 siècle, il est doncindispensable de savoir d'abord quel nouveau domaine du tragique, c'est-à-dire du malheur, s'est ouvert avec leRomantisme.

En simplifiant beaucoup dans une matière très confuse, on peut distinguer deux courants qui, dans lesœuvres, se confondent le plus souvent.

Nous étudierons successivement : 1° le malheur métaphysique : le mal du siècle; 2° le malheur politique et social : le tragique de la Révolution. Le Romantisme est d'abord le point final d'une réaction amorcée par Rousseau contre l'esprit positif et irréligieux desEncyclopédistes.

Les mouvements d'idées se succèdent en s'opposant : à la pensée de Voltaire a succédé leRomantisme que devait remplacer le Positivisme, qui est en somme un retour à Voltaire et aux Encyclopédistes. Le Mal du siècle exprime d'abord le vide et l'ennui laissés par une époque où l'on s'occupait surtout d'aménager cemonde-ci par la science, où l'on mettait toute sa confiance dans l'esprit positif et dans le rationalisme.

Le goût dusentiment, du rêve, de la mystique, de l'irrationnel s'est développé par réaction.

Il devait aboutir sinon à retrouver,du moins à regretter l'émotion sentimentale la plus riche qui soit : la foi religieuse.

Du même coup, la meilleureinitiative du Romantisme est probablement d'avoir utilisé le matériel chrétien, comme le conseillait Le Génie duChristianisme, et d'avoir retrouvé, sinon la foi, du moins le spiritualisme On devait aboutir surtout au goût de sesentir malheureux, comme si l'on découvrait l'insuffisance radicale de ce monde et comme pour réfuter l'optimisme,jugé terre à terre, des «Philosophes.

» Il est certain, d'ailleurs, que la Révolution s'était soldée dans l'immédiat pardes échecs et que l'enthousiasme du début avait fait place à beaucoup de déceptions.

Si l'Empire, enfin, avaitouvert à l'ambition une carrière immense, cette carrière est brutalement fermée après Waterloo, au moment mêmeoù les jeunes Romantiques entrent dans la vie1.

Quoi qu'il en soit de ces raisons confuses, le mal du siècle comporteune complaisance étrange pour les méditations désespérées et pour les impasses; c'est ainsi qu'on aime à regretterla croyance religieuse (influence de Rousseau) tout en déclarant impossible un retour à la foi (influence de Voltaire).Les poètes accordent à la douleur une valeur esthétique et morale : Les plus désespérés sont les chants les plus beaux. Rien ne nous rend si grands qu'une grande douleur. Loin de passer pour un accident regrettable, comme le pensaient les Philosophes, le malheur prend une valeurmétaphysique essentielle : tous les Romantiques ont plus ou moins repris le thème chrétien de la chute : L'homme est un dieu tombé qui se souvient des deux. (Lamartine). »

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