Le désir de peindre
Publié le 24/04/2011
Extrait du document
Malheureux peut-être l'homme, mais heureux l'artiste que le désir déchire! Je brûle de peindre celle qui m'est apparue si rarement et qui a fui si vite, comme une belle chose regrettable derrière le voyageur emporté dans la nuit. Comme il y a longtemps déjà qu'elle a disparu! Elle est belle, et plus que belle ; elle est surprenante. En elle le noir abonde : et tout ce qu'elle inspire est nocturne et profond. Ses yeux sont deux antres où scintille vaguement le mystère, et son regard illumine comme l'éclair : c'est une explosion dans les ténèbres. Je la comparerais à un soleil noir, si l'on pouvait concevoir un astre noir versant la lumière et le bonheur. Mais elle fait plus volontiers penser à la lune, qui sans doute l'a marquée de sa redoutable influence ; non pas la lune blanche des idylles, qui ressemble à une froide mariée, mais la lune sinistre et enivrante, suspendue au fond d'une nuit orageuse et bousculée par les nuées qui courent ; non pas la lune paisible et discrète visitant le sommeil des hommes purs, mais la lune arrachée du ciel, vaincue et révoltée, que les Sorcières thessaliennes contraignent durement à danser sur l'herbe terrifiée! Dans son petit front habitent la volonté tenace et l'amour de la proie. Cependant, au bas de ce visage inquiétant, où des narines mobiles aspirent l'inconnu et l'impossible, éclate, avec une grâce inexprimable, le rire d'une grande bouche, rouge et blanche, et délicieuse, qui fait rêver au miracle d'une superbe fleur éclose dans un terrain volcanique. Il y a des femmes qui inspirent l'envie de les vaincre et de jouir d'elles ; mais celle-ci donne le désir de mourir lentement sous son regard. Baudelaire, Petits Poèmes en prose.
• Vous ferez de ce poème en prose un commentaire composé qui caractérisera et appréciera l'impérieux « désir de peindre « qui obsède Baudelaire.
«
comme l’éclair » .
La forte lueur et la comparaison avec l’éclair insistent sur la luminosité mais le mot «
éclair » montre aussi la brièveté de cet éclat lumineux.l.8.
Enfin, dans scintille vaguement», l’adverbe en
atténue la lueur.
T : Cette distinction entre le clair et l'obscur permet au poète de proposer une représentation
esthétique de la femme.
3) Une représentation esthétique de la femme
Dans ce texte, le poète fait l'éloge d'une femme inconnue en recourant au registre épidictique.
En effet,
la triple répétition de l'adjectif mélioratif « belle » insiste sur la beauté de la femme décrite.
Le comparatif
de supériorité « elle est belle, et plus que belle, elle est surprenante » souligne le fait que la beauté de cette
femme intrigue et fascine.
Par ailleurs, les seuls éléments de portrait que l'on ait la valorisent également :
l'adjectif « petit » associé à son front, son expression qualifiée par le substantif « grâce », quant à la
caractérisation de sa « grande bouche », elle s'exprime par « le rire » mais également par une suite de trois
adjectifs coordonnés « rouge et blanche, et délicieuse ».
De plus, la métaphore qui la complète « une
superbe fleur éclose » accentue son caractère attirant par l’emploi de l'adjectif mélioratif « superbe », et le
fait qu'elle s'inscrive « dans un terrain volcanique » le conforte.
Cette représentation esthétique est d'autant
plus élogieuse qu’ elle semble quasiment irréelle, comme le montre la relative « qui fait rêver au miracle ».
Enfin, toutes ces considérations mélioratives sont nuancées par la double comparaison à la lune construite
sur des parallélismes pas « la lune blanche des idylles », mais « la lune sinistre et enivrante », non pas « la
lune paisible et discrète », mais « la lune arrachée du ciel ».
CP : La femme décrite par le poète est donc présentée, en général, de manière méliorative, mais
également comme un personnage inquiétant.
Mais là est une des spécialités de Baudelaire : trouver du bon
dans le mauvais, du beau dans le laid.
C'est tout ce qui semble faire de la création artistique une difficulté.
II – La difficulté de la création artistique
PA : P ar sa beauté et son mystère, la description de la femme rêvée par Baudelaire amène à son éloge,
mais il faut souligner que cette mise en valeur est due aux sentiments et aux impressions du poète.
Le
portrait qu'il en fait met en évidence l'impossibilité de la peindre.
1 .
Une peinture impossible
Le poète fait ressentir sa présence à travers le « je » lyrique, il est placé en tête de deux paragraphes
« Je brûle de peindre » ( §2 ) ; « Je la comparerais » ( §4 ), et c'est lui qui insuffle la suite : l'évocation de la
femme.
Par ailleurs, on trouve de nombreux verbes et expressions qui suggèrent la subjectivité « je brûle » ( l3
) ; « tout ce qu'elle inspire » ( l9 ) ; « Je la comparerais » ( l13 ) ; « au bas de ce visage inquiétant » ( l28 ) ;
« qui fait rêver au miracle » ( l31 ) ; « l'envie de les vaincre et de jouir d'elles » ( l34 ).
Il exprime ce qu'elle
lui inspire mais n'arrive pas à la rendre réaliste,
De plus, ce poème évoque pour le poète un sentiment de perte de soi, ce dernier apparaît comme
incapable de dominer le temps comme le suggère l'utilisation d'une formule évoquant la passivité :
« voyageur emporté » ( l5 ).
L'adjectif hyperbolique « inexprimable » ( l29 ) insiste également sur la.
»
↓↓↓ APERÇU DU DOCUMENT ↓↓↓
Liens utiles
- Commentaire comparé - « A une passante », Charles Baudelaire, Les Fleurs du Mal, « Tableaux Parisiens » et « Le désir de peindre », Charles Baudelaire, Le Spleen de Paris
- LA – Baudelaire, Le désir de peindre
- La science ne vise-t-elle que la satisfaction de notre désir de savoir ?
- Désir et désarroi
- LA NOTION DU DÉSIR TRIANGULAIRE DANS FERMINA MARQUEZ DE VALERY LARBAUD