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Le salut par l’écriture dans La Modification de Butor

Publié le 23/01/2020

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MODIFICATION. PRISE DE CONSCIENCE. REPENTIR

Maintenons-nous provisoirement à ce point de vue d’où La modification nous paraît comme un roman engagé. C’est l’histoire de la correction d’une erreur : l’amour de Léon Delmont pour Cécile ne peut lui donner ce qu’il en attendait, une mise en ordre de l’univers.

Il nous faut élargir, pour comprendre cette exigence, notre enquête sur la pensée de Butor. En consultant la liste de ses ouvrages, vous trouverez un livre, publié en 1958, qui s’appelle Le génie du lieu. Cette notion de génie des lieux est une des clefs de l’œuvre entière. La Terre n’est plus telle qu’elle était au premier jour : les hommes y ont vécu et y ont laissé leur trace, surtout dans les endroits où ils se sont concentrés pendant des siècles, voire des millénaires. Butor a passé huit mois en Égypte. En contraste avec le désert, figure du néant, la vallée du Nil est un « lieu » : un fleuve, une végétation, des cultures, des animaux, des édifices faits de main d’homme, des hommes. Notez que les limites de ce lieu sont très précisément marquées : c’est la crête des falaises de part et d’autre de la vallée. Le génie du lieu est d’abord comme un fonds religieux qui s’accumule et persiste d’âge en âge1; c’est pourquoi il y a pour Léon Delmont une sorte de continuité entre la Rome païenne et la Rome chrétienne; le Panthéon est le signe visible de cette synthèse religieuse. Le génie

1. Michel Butor. Le génie du lieu. Grasset. 1958, p. 150 sqq.

ÉCRIRE

Pour Butor l’homme est un animal qui écrit. Si l’on met bout à bout, sans trop se soucier de la chronologie, les Entretiens III et VI de Georges Charbonnier, et le dernier essai de Répertoire III, on obtient grosso modo la théorie suivante : les animaux émettent des sons significatifs qui leur permettent de communiquer entre eux, mais on n’a pas encore constaté qu’aucun d’eux ait jamais exécuté un dessin porteur d’un message; seul l’homme le fait. C’est toujours le vieux rêve humaniste qui veut trouver une différence radicale entre l’homme et les autres êtres animés. Cependant, dessiner, c’est introduire dans le monde que nous voyons des structures voulues par l’homme : un jardinier qui dessine un jardin, un

« du lieu peut être seulement une sorte d'influx spirituel né de la présence des hommes : dans notre roman, il n'est pas de site traversé par le chemin de fer où ne surgissent des souvenirs, celui de Lamartine devant le lac du Bourget (p.

70), celui d'un autre voyage en passant, par exemple, à la gare de Sennecey (p.

III).

Dès L'emploi du temps, la notion de génie du lieu avait pris toute sa force.

Il est évident qu'à part la vallée du Nil c'est dans les villes que se ressent surtout l'influence de ceux qui ont habité là autrefois.

Signalons au passage que L'emploi du temps et, plus encore, La modifica­ tion font apparaître une antithèse entre deux lieux de génie opposés.

Les grandes villes industrielles de l'Europe du Nord, les villes où l'on travaille dans l'aliénation vont être hantées par un génie sombre, feu noir pour Bleston, la cité imaginaire de L'emploi du temps, pluie et brume pour Paris dans La modification.

Il est bien naturel dès lors que l'on y rêve de contrées lumineuses, ensoleillées, pays de loisirs et de liberté, pays vers lesquels on se tourne pour avoir une raison de vivre : la Crète et toute la Méditerranée dans le premier roman, Rome dans le nôtre.

Butor avoue d'ailleurs que dans son imagination il se fait une sorte de transfert de l'Égypte à Rome 1• La modification est un essai pour super­ poser deux villes, celle où l'on travaille, Paris, et celle dont on rêve, Rome.

En tout cas, le génie du lieu ne sera ressenti qu'à l'arri­ vée d'un étranger.

Il n'est pas perçu normalement par les autochtones pour qui il est une seconde nature; il ne sera perceptible que si un nouveau venu décèle en lui une vertu qui le distingue de tous les autres lieux de la terre, si le nouveau venu perçoit une étrangeté et un mystère dont il voudra per­ cer le secret.

Le mythe de Thésée et du Labyrinthe est sûre­ ment fondamental dans l'esprit de Butor; vous le trouverez explicitement évoqué dans L'emploi du temps.

Mais ce mythe est complété par celui d'Ariane, la jeune fille qui guidera le héros dans les galeries ténébreuses du palais inconnu.

Et cela aussi est .très clairement dit dans L'emploi du temps.

Vous comprenez alors ce qu'est l'amour de Léon pour Cécile: « Elle est pour vous le visage de Rome, sa voix et son invita­ tion, [ ...

} elle y est toujours votre introductrice, la porte cle 1.

Ibid., p.

199-200.

- 44 -. »

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