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LE SCEPTICISME DE MOLIÈRE

Publié le 26/06/2011

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Grâce aux patientes recherches des érudits, nous connaissons avec précision un certain nombre de faits de la vie di Molière. Et certains de ces faits imposent des conclusions qui sont certaines. Mais ces conclusions sont fort incomplètes et ne nous permettent pas de comprendre exactement son caractère et sa pensée. Pour les compléter, en dehors de son oeuvre, nous n'avons à peu près rien. Pas une lettre, pas une ligne de lui, pas une confidence directe. A peu près aucune confidence de ceux qui l'ont personnellement connu. Des calomnies, des médisances, des ragots d'ennemis que l'on dirait sans scrupules si la plupart des ennemis littéraires du xviie siècle n'étaient pas sans scrupules. Après sa mort, l'éclosion, le foisonnement, l'envahissement de légendes dont aucune, pour ainsi dire, ne résiste à l'examen et qui, très vite, ont étouffé toute vérité. Reste son oeuvre. Et cette oeuvre nous permet, assurément, de dessiner avec précision certains traits de sa physionomie intellectuelle et morale. Mais ces traits, eux aussi, sont incomplets sur des points essentiels ou importants. Si l'on veut achever le dessin on se heurte à des contradictions, au moins apparentes, et il faut faire appel aux hypothèses. On n'y a pas manqué et l'on a échafaudé, étayé, consolidé, rapetassé tout un chantier d'hypothèses. Peu importerait, peut-être, si les ouvriers et les maîtres d'oeuvre de ces chantiers s'étaient mis d'accord entre eux. Mais leurs constructions, quand on les compare, sont proprement incohérentes et nous avons aussi peu l'impression d'être chez le même Molière que si l'on nous promenait d'une exposition coloniale à une exposition d'architecture futuriste, d'un village suisse à une cité de gratte-ciel.

« l'entourent et qui font la grandeur de son siècle, — image qui d'ailleurs est en partie fausse et conventionnelle.Assurément on a raison de tracer de Racine, ou de Bossuet, ou de Mme de La Fayette ou de La Bruyère un portraitqui nous les montre, à travers leurs évolutions mêmes, plus ou moins d'accord avec eux-mêmes.

Cet accord seraitdéjà moins rigoureux s'il s'agit du Boileau des Satires ou de La Fontaine.

Et il n'y a pas de raison pour que Molière nese soit pas résigné, ou même n'ait pas pris plaisir à résoudre beaucoup de problèmes tantôt dans un sens, tantôtdans un autre ou bien à penser qu'il n'était pas possible de les résoudre.Songeons d'abord que la seule certitude solide que nous ayons sur les amitiés de Molière est celle qui le lie à l'abbéLe Vayer, fils chéri de La Mothe le Vayer.

Ce La Mothe le Vayer enseigna, pendant quelque soixante ans, unephilosophie résolument sceptique (le Banquet sceptique, dans le deuxième Dialogue d'Orasius Tubero ; les Problèmessceptiques, 1666 ; les Soliloques sceptiques, 167o, etc.).

Molière la connaissait ; il avait — avec les Essais deMontaigne — ses œuvres dans sa bibliothèque.

La conclusion était que « toute notre vie n'est, à le bien prendre,qu'une fable, notre connaissance qu'une ânerie, nos certitudes que des contes ; bref, tout ce monde qu'une farceet perpétuelle comédie ».

La seule sagesse était « cette belle suspension d'esprit de la sceptique...

qui est le but del'auteur et le point de la félicité tout ensemble ».

Sans doute le scepticisme de La Mothe le Vayer s'exprime avecune abondance pédante ; il raisonne avec une subtilité doctorale pour démontrer qu'il est inutile de raisonner ; oubien son ironie est lourde et laborieuse.

Mais le fils, l'abbé Le Vayer avait plus de bonne humeur et de fantaisie.

Sonscepticisme se moque du scepticisme et de celui même de son père.

Il a écrit le Parasite Mormon, histoire comique(165o), qui est une facétie un peu grosse, une de ces « débauches d'esprit » que l'on élaborait de compagnie, entreamis, dans les beuveries de quelque Pomme de pin ou de quelque Mouton blanc, comme Boileau et ses amis rimèrentle Chapelain décoiffé.

Le parasite Mormon, entre deux galimafrées, se propose de répondre à toute une série deproblèmes burlesques et il résout chacun d'eux, successivement, comme le Marphurius du Mariage forcé, parl'affirmative et par la négative : "S'il faut curer ses dents ou non ? Oui, pour les empêcher de pourrir.

— Non, pource que c'est s'ôter quelque chose de la bouche".

Mais ces joyeusetés n'empêchent pas l'abbé d'être le discipleattentif de son père ; c'est lui qui prend soin de faire publier en 1654 et en 1662 ses oeuvres complètes.

Sans doutele Parasite Mormon manque singulièrement de finesse et le burlesque y traîne l'ennui après lui.

Mais Chapelle était unautre ami de La Mothe le Vayer, de l'abbé et de Molière, et le libertinage ironique avait, chez lui, l'aisance et lamesure qui manquent au Parasite.

Pourquoi Molière, avec de tels amis, n'aurait-il pas pris pour devise allègre laphrase amère du philosophe sceptique : "Ce monde n'est qu'une farce et perpétuelle comédie ?" Sans doute, quandon ne se contente pas de regarder cette comédie, quand on la met en comédies, on ne peut pas s'en, tenir à la"suspension d'esprit".

Il faut que des pièces de théâtre, surtout au XVIIe siècle, répondent oui ou non à certainesquestions qu'elles posent ou suggèrent aux spectateurs.

Mais ces spectateurs n'ont guère de mémoire et sont peuenclins à des examens méthodiques.

Il n'y aura aucune difficulté à répondre, oui dans une pièce et non dans uneautre.

Et le oui ou le non dépendront, chez l'auteur, de l'humeur du moment, des circonstances, des réactions queprovoqueront tels ou tels épisodes de la farce ou de la comédie de la vie.

On peut se refuser à raisonner et àconclure méthodiquement ; on ne peut pas, quand on est directeur d'une troupe de théâtre, se refuser à vivre et àrépondre aux questions que pose la vie, sauf à changer le sens des réponses quand changent les aspects de cettevie.Surtout lorsque l'on songe à ce que fut la vie de Molière et à la façon dont il s'y conduisit.

Il est fils de bourgeoisbourgeoisants ; il est élevé et instruit bourgeoisement.

Il peut être maître tapissier et valet de chambre du roi ; oubien avocat, greffier, procureur ou bien même docteur en médecine ou .en théologie.

"Oui, dit la vie bourgeoise,c'est là qu'est la sagesse et la prudence." A quoi, brusquement, Molière répond par le plus insolent et le plusabsurde des non.

Car, au milieu du XVIIe siècle, nous le montrerons, il était aussi monstrueux pour un fils debourgeois, de se mettre comédien, que si une fille de bourgeoisie avait déclaré du temps de la Dame aux camélias :"Je ferai le métier de Marguerite Gautier".

Après quoi la vie répond non: "Non, tu as eu tort, car le métier decomédien t'a jeté dans les désastres, t'a mis entre les mains des huissiers, procureurs et geôliers, t'a réduit auxpires expédients et à la prison".

Molière ne s'en tire que par les hasards des plus incertaines aventures, des courseserrantes d'une troupe comique à travers les provinces.

A travers ces hasards tantôt la vie répond oui, "oui le métiern'est pas mauvais, car, ce soir, il y a de l'argent dans l'escarcelle, tu manges bien et tu bois bien".

Ou non ; "car labourse est vide ; le curé et le magistrat ne songent qu'à se débarrasser de toi ; il faut partir, on ne sait où, la faimau ventre, sur le dos de quelque chariot branlant".

Que valent les hommes que tu rencontres et que tu fais métierde divertir.

"Oui, répond la vie, ils sont bons ou ils ne sont pas mauvais ; tu as des compagnons d'aventure qui sontfidèles et courageux.

Tu rencontres, pour te protéger, un prince du sang, puis le plus puissant des rois dont lesfaveurs, qu'il te prodigue, sont la plus éclatante des gloires.

Oui, un public judicieux et enthousiaste se presse à tescomédies et t'enrichit ; et des juges éclairés célèbrent la nouveauté et la grandeur de tes oeuvres s.

Mais,pourtant, que de nons : le prince du sang devient dévot et méchant et ne songe plus qu'à te persécuter ;l'archevêque et le premier président se liguent pour que ton Tartuffe soit interdit ; d'excellentes comédies sontassez froidement accueillies ; des ennemis fielleux ne se contentent pas d'affirmer que tu n'entends rien au métierd'auteur et de comédien ; ils affirment ou ils insinuent que tu es un libertin sans moeurs et un impie, qui enseigne àn'avoir ni moeurs ni religion et qui mérite la prison ou la corde ; que tu es un mari berné et cocu et même que tu esle mari de ta propre fille.Parmi ces hommes comment se conduire ? Car ton métier t'interdit de chercher la retraite du sage et de trouver unhumble bonheur, sceptique ou non, in angello cum libello.

Le mieux sans doute serait de suivre des principes sûrs etdignes, de t'en tenir à ce qui te semble la justice, l'équité, la vérité.

Mais les hommes dont tu dépends, dontdépendent ceux de ta troupe que tu fais vivre, sont en général fort indifférents à la justice, à l'équité, à la vérité ;ou ils appellent de ces noms leur vérité, leur équité, leur justice et ils s'en servent pour masquer leurs passions etleurs intérêts.

Il n'y a qu'un moyen de se les concilier qui est de les flatter ; il n'y a qu'un moyen de bien vivre quiest de se plier aux exigences de la vie.

Tu désires bien vivre, avoir un beau logis, des meubles cossus, les habits etle train d'un "honnête homme".

Un seul moyen, au temps où tu vis, qui est de connaître et de pratiquer "l'art deplaire" beaucoup plus sûr que tout le savoir enrouillé des pédants et que les raides vertus des atrabilaires, des. »

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