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LE SENS PHILOSOPHIQUE DU THÈME FANTASTIQUE CHEZ BALZAC

Publié le 29/06/2011

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Au cours des années 1830-1831, la production de Balzac est abondante, tumultueuse : la rose des vents peut en être un symbole. Son activité s'élance vers les quatre points cardinaux ; elle se dirige entre temps vers les points collatéraux. Si vous imaginez de varier l'orientation de quelques degrés, soit à droite soit à gauche, ces genres divers pourraient, à cause de leur facture composite, être poussés sur l'une ou l'autre ligne, en se superposant à l'une ou l'autre des œuvres précédentes, passer des Scènes de la Vie Privée aux Scènes de la Vie Militaire, etc... Leur position dépend de l'impression qui prédomine dans l'esprit du lecteur. Cette image m'est suggérée par l'expression, de « girouette littéraire «, dont se sert le romancier dans un article du 29 mai 1830, De la Mode en Littérature, pour annoncer « la mode qui viendra l'année prochaine «. « Vous pourrez choisir entre la couleur et le drame, entre le fantastique et le réel «. Il faisait paraître La Peau de Chagrin en août 1831. Celle-ci avait une seconde édition, accompagnée de douze contes, sous le titre général, Romans et Contes Philosophiques. En 1832, la série s'augmentait de Nouveaux Contes Philosophiques.

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« celle de Jean-Jacques : « L'homme qui pense est un animal dépravé ».

Balzac la répète : « Il faut considérer lapensée comme la cause la plus vive de la désorganisation de l'homme ».

A mesure qu'il se civilise, l'homme sesuicide, car « la vie décroît en raison directe de la puissance de ses désirs ».

La sagesse épicurienne pourrait nousprocurer un antidote efficace dans cette autre formule : voir et savoir ; découvrir par l'intelligence la substancemême du fait, en jouir intuitivement sans les souillures qu'apporte la possession physique.

Celle-ci une fois assouviese résout en idées.

Extrayez-les sans fatiguer vos organes.

Ces « voluptés idéales vous fourniront même desthèmes d'exécution si vous êtes artiste ».

Belle jurisprudence que prônent toujours sans succès aux jeunes gens lesvieilles ganaches septuagénaires.

L'une d'elles, après avoir exposé ces théories à Raphaël,héros du roman, leur donne un démenti comique.

« Une heure d'amour » avec « une jeune goule » lui paraît plussubstantielle que ces « idées fantômes » et ces songes creux : la pensée a tué le penseur.

L'immobilité dans la vie,la modération, le renoncement, enseignés jadis par le père Balzac ne valent pas pour le fils.

Tous les personnages deLa Peau de Chagrin, Raphaël, Foedora, le vieil antiquaire, la courtisane Aquilina, celle-ci quitte à mourir jeune etpourrie à l'hôpital, préfèrent ne rien perdre de la béatitude préalable au martyre des passions : le trépas est un troc.Nous examinerons la valeur scientifique de ces théories philosophiques.

Nous n'en discuterons pas la portée moralerevendiquée par son inventeur, mais décriée par H.

de Latouche, Sainte-Beuve, Montalembert.

Le principal mérite dece « poème » — Balzac s'irritait qu'on l'appelât « un roman » — consiste dans la peinture des milieux les plusdisparates où nous promène cette « féerie orientale ».Cette « frénésie d'invention », cette satire implacable, « cette poésie des sens colorée » donne, par ses rutilances,la sensation des réalités les plus dramatiques, rumeurs des orgies, douceurs des fraîches idylles.

C'est un tourbillondont le mouvement s'accélère dans le clinquant et le cliquetis et les claquements du fouet ; le dompteur harcèle sescréatures, vrais fauves rugissants de plaisir, jamais rassasiés, jamais lassés dans leurs ivresses.

L'enthousiasmepresse l'artiste, le pousse dans la danse des couleurs, des rythmes, des images, des sons.

Son style serpente, saprose ondule, se plie aux changements de scènes avec une virtuosité inégalable.

Il reste cependant « l'historien »véridique du XIXe siècle tué par un poison : l'excès de civilisation.D'après leur auteur, les Contes Philosophiques découlaient de l'axiome qui soutenait La Peau de Chagrin.

L'intensitéd'une idée ou d'un sentiment, joie ou douleurmorale, désorganise les forces vitales ; elle foudroie le corps.

En voici la preuve dans Adieu.

Au passage de laBérésina, la Comtesse de Vandières est violemment séparée de son ami.

Sombrant dans la folie, elle ne répète plusqu'un mot depuis lors : « Adieu ».

C'est la dernière parole qu'elle avait fait entendre à Philippe de Sucy, l'officierqu'elle chérissait.

Celui-ci rentre de captivité : la douce démente ne reconnaît pas celui qui n'a cessé de l'aimer.

Iltente un moyen désespéré pour lui rendre la raison.

Il reconstitue dans un décor aussi fidèle que possible la scèneatroce de leur séparation.

Un choc mental se produit chez la malheureuse : la pensée renaît soudain.

« La volontéhumaine vient avec ses torrents électriques » vivifier ce corps hébété.

La femme fond en larmes en reconnaissantson ami ; elle l'étreint.

Mais tout à coup « ses pleurs se séchèrent, elle se cadavérisa comme si la foudre l'eûttouchée ».

Dans Le Réquisitionnaire, le même effet est décrit chez une mère, tuée par la douleur en retrouvant sonfils.

Dans Un Drame au bord de la Mer, un pêcheur breton, tue son fils parce qu'il craint de le voir souiller son nom :l'idée de l'honneur familial tue celle de la paternité.

Dans L'Auberge Rouge, un ami tue son ami parce que l'idée ducrime engendre le crime : idée de l'auto-suggestion.

Dans El Verdugo, un fils aîné est condamné à tuer son père etses frères pour avoir la vie sauve.

Il obéit à l'ordre du père qui veut que survivent le nom et le titre nobiliaire de safamille : l'idée de dynastie anéantit celle de l'amour paternel.

Dans l'Elixir de Longue Vie un fils tue son père pourposséder plus tôt son héritage : idée d'hérédité.

Malmoth réconcilié (1835) viendra se joindre au groupe des Etudesphilosophiques.

Un homme vend son âme au démon pour vivre sans fin et dans les plaisirs : idée de longévité : forcediableries et fantasmagories sévissent dans l'un et l'autre conte.Restent Le Chef-d'œuvre inconnu (1831), La Recherche xe l'Absolu (1834).

Le premier préludait à la tragédie deLouis Lambert.

C'est l'histoire d'un peintre du dvii0 siècle, Frenhofer, dont l'intense imagination à la recherche del'idéal tue la puissance artistique.

Pendant dix ans, il travaille secrètement à un portrait de femme qu'il retouchesans cesse dans le délire de l'enthousiasme.

Il y a eu rupture d'équilibre entre sa vie intérieure et le bon sens.Quand il montre sa toile à deux amis, ceux-ci n'y voient qu'un chaos de couleur, un barbouillage informe, des lignesconfuses, mais lui contemple extasié ce qu'il croit être une surhumaine beauté.

Les autres ne peuvent le détromper,et il meurt dans la nuit.

Balthazar Claës, le chercheur de l'absolu, s'épuise dans un drame semblable.

Celui-ci, c'estla décomposition de l'azote qu'il veut découvrir.

C'est son idée fixe : désir démesuré que Balzac ne croit pasinaccessible par la chimie moderne.

Cette passion, par les énormes dépenses que nécessitent les expériences, ruinela famille de Claës.

Claës meurt dans le désespoir croyant au dernier moment découvrir réellement le secret tantconvoité.

Bien plus tard, Gambara (1837) et Massimilla Doni (1839), deux œuvres consacrées à la musique,s'adjoindront aux Etudes Philosophiques ; la musique apparaît sous la double forme de l'exécution et de lacomposition, soumises à la même épreuve que la pensée dans Louis Lambert, c'est-à-dire l'œuvre et l'exécutiontuées par la trop grande abondance du principe créateur.

Massimilla, une belle et malheureuse patricienne deVenise, est dédaignée par son infâme mari, Cataneo, vieux duc débauché, vicieux.

Ce haut maniaque sacrifie tout,sa fortune comprise, à un imaginaire plaisir, à la recherche d'un effet musical : un accord parfait entre l'unisson de lachanterelle et de la voix humaine.

C'est le point sensible du roman : la pensée tue l'art.

De même chez le princeEmilio Memmi, amant de Massimilla, l'amour idéal anéantit la puissance virile.Balzac imprime à ces aventures une allure qui tient le lecteur hors d'haleine.

Il connaît l'art des raccourcis ; ilcomplique à plaisir l'étrangeté de l'atmosphère.

Une poésie faite de coups, surprises, férocités dramatiques,diableries, se déchaîne autour de figures burinées d'un trait, tantôt délicat, tantôt et plus volontiers énergique,coloriées comme des flamboiements de vitrail.

Voilà surtout les mérites du conteur.Balzac était plus poète que philosophe.

Il se prenait très au sérieux néanmoins, quand il exposait ses théoriesphilosophiques.

La poésie servait de véhicule à sa pensée nourrie d'une « science cachée » dont « il portait lasynthèse à lui-même ».

Il comptait « en mettre au jour les formules physiologiques », nous confie le complaisantFélix Davin : nous les avons indiquées.

Du texte de ces récits émergent déjà des réflexions savantes et des vues. »

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