Le style dans Jacques le fataliste de Diderot
Publié le 08/01/2020
Extrait du document
payeras ce maudit portrait\", ajouta : Vous avez été fou de cette femme-là?» (p. 298). On retrouve ici le même procédé que dans un texte de théâtre1.
La pantomime
Il arrive enfin que l’écriture donne à voir une véritable scène muette. La conversation cesse, les personnages prennent des poses, sont des acteurs qui miment :
Après ce mot [le marquis des Arcis] se mit à se promener en long et en large sans mot dire ; il allait aux fenêtres, il regardait le ciel, il s’arrêtait devant Mmc de La Pommeraye [...], qui travaillait sans l’apercevoir; il voulait parler, il n’osait1 2.
Ce jeu de scène qui traduit le désespoir du marquis, Diderot se contente de l’indiquer. Il n’analyse pas le sentiment lui-même, mais ses manifestations extérieures.
UNE LANGUE EXPRESSIVE
Quand il ne recourt pas à des procédés propres au théâtre, Diderot use d’une langue expressive par la précision de son vocabulaire, par le rythme et la construction de ses phrases, par la rapidité de ses narrations.
Un vocabulaire concret
Diderot a le sens du mot précis. Il dit les choses simplement, comme elles sont. Quelques mots ordinaires lui suffisent pour planter un décor :
C’était l’après-dîner : il faisait un temps lourd; son maître s’endormit. La nuit les surprit au milieu des champs ; les voilà fourvoyés (p. 36).
Diderot nomme un chat un chat et un cheval pie un cheval pie3. Les personnages s’expriment selon leur niveau de culture et, parfois,
1. Voir, pour d’autres exemples, p. 131, 298 et 299 du roman.
2. Page 177 du roman; voir aussi, pour d’autres exemples, p. 169,192,193 et 243.
3. Page 75 du roman. Un cheval pie a une robe noire et blanche.
«
systématise.
Jacques le Fataliste transforme l'écrit en un gigan
tesque oral.
L'avantage le plus immédiat est de conférer au roman la vivacité et
la spontanéité de la parole.
Comme dans toute conversation, le pré
sent domine : dans les échanges de Jacques et de son maître, c'est
un présent d'énonciation, contemporain de l'action elle-même;
quand Jacques évoque sa jeunesse ou lorsque l'hôtesse raconte
l'histoire de Mme de La Pommeraye, c'est un présent de narration qui
actualise le passé.
Dans les deux cas, le présent rend la lecture plus
vivante, comme si le lecteur devenait l'invisible compagnon de
Jacques et de son maître.
Parfois, le dialogue atteint une certaine complexité technique.
Le
croisement des répliques, dans la scène où Jacques et son maître
écoutent l'hôtesse leur raconter l'histoire de Mme de La Pommeraye,
donne au récit un accompagnement sonore qui traduit toute la vie de
l'auberge.
Voici un exemple de ce dialogue dans le dialogue :
Mais cette femme avait été si malheureuse avec un premier mari, qu'elle ...
(Madame? -Qi,t'est-ce? -La clef du coffre à l'avoine? - Voyez au clou, et si elle r/.y est pas, voyez au coffre) qu'elle aurait mieux aimé s'exposer à toutes sortes de malheurs qu'au danger d'un second mariage 1•
1 Les didascalies
Si Jacques le Fataliste donne à entendre, il donne aussi à voir.
Les
gestes et mimiques qui accompagnent les paroles sont indiqués en
italique, comme le fait un dramaturge qui veut renseigner les acteurs
(et les lecteurs) sur la manière dont telle scène doit être jouée :
l:EXE.'1PT.
Où est votre mari? LA PATISSIÈRE.
Il n'y est pas.
I.:EXEMPT, écartant le rideau.
Qui est-ce qui est donc là? (p.
131).
Ailleurs, Diderot précise entre parenthèses : «Ici Jacques se met à
rire et à siffler» (p.
289).
La didascalie peut encore souligner un
aparté rapide : "JAcouEs, après avoir dit entre ses dents : "Tu me le
1.
Pages 144·145 du roman; voir aussi p.
145-146.
100 PROBLÉMATIQUES ESSENTIELLES.
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