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Les Confessions de Rousseau - Le peigne cassé (commentaire)

Publié le 05/02/2012

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J'étudiais un jour seul ma leçon dans la chambre contiguë à la cuisine. La servante avait mis sécher à la plaque les peignes de mademoiselle Lambercier. Quand elle revint les prendre, il s'en trouva un dont tout un côté de dents était brisé. A qui s'en prendre de ce dégât? personne autre que moi n'était entré dans la chambre. On m'interroge: je nie d'avoir touché le peigne. M. et mademoiselle Lambercier se réunissent, m'exhortent, me pressent, me menacent: je persiste avec opiniâtreté; mais la conviction était trop forte, elle l'emporta sur toutes mes protestations, quoique ce fût la première fois qu'on m'eût trouvé tant d'audace à mentir. La chose fut prise au sérieux; elle méritait de l'être. La méchanceté, le mensonge, l'obstination, parurent également dignes de punition; mais pour le coup ce ne fut pas par mademoiselle Lambercier qu'elle me fut infligée. On écrivit à mon oncle Bernard: il vint. Mon pauvre cousin était chargé d'un autre délit non moins grave; nous fûmes enveloppés dans la même exécution. Elle fut terrible. Quand, cherchant le remède dans le mal même, on eut voulu pour jamais amortir mes sens dépravés, on n'aurait pu mieux s'y prendre. Aussi me laissèrent-ils en repos pour longtemps. On ne put m'arracher l'aveu qu'on exigeait. Repris à plusieurs fois et mis dans l'état le plus affreux, je fus inébranlable. J'aurais souffert la mort, et j'y étais résolu. Il fallut que la force même cédât au diabolique entêtement d'un enfant; car on n'appela pas autrement ma constance. Enfin je sortis de cette cruelle épreuve en pièces, mais triomphant. Il y a maintenant près de cinquante ans de cette aventure, et je n'ai pas peur d'être puni derechef pour le même fait; hé bien! je déclare à la face du ciel que j'en étais innocent, que je n'avais ni cassé ni touché le peigne, que je n'avais pas approché de la plaque, et que je n'y avais pas même songé. Qu'on ne me demande pas comment le dégât se fit, je l'ignore et ne le puis comprendre; ce que je sais très certainement, c'est que j'en étais innocent. Qu'on se figure un caractère timide et docile dans la vie ordinaire, mais ardent, fier, indomptable dans les passions; un enfant toujours gouverné par la voix de la raison, toujours traité avec douceur, équité, complaisance, qui n'avait pas même l'idée de l'injustice, et qui pour la première fois en éprouve une si terrible de la part précisément des gens qu'il chérit et qu'il respecte le plus: quel renversement d'idées! quel désordre de sentiments! quel bouleversement dans son coeur, dans sa cervelle, dans tout son petit être intelligent et moral! Je dis qu'on s'imagine tout cela, s'il est possible; car pour moi je ne me sens pas capable de démêler, de suivre la moindre trace de ce qui se passait alors en moi. Je n'avais pas encore assez de raison pour sentir combien les apparences me condamnaient, et pour me mettre à la place des autres. Je me tenais à la mienne, et tout ce que je sentais, c'était la rigueur d'un châtiment effroyable pour un crime que je n'avais pas commis. La douleur du corps, quoique vive, m'était peu sensible; je ne sentais que l'indignation, la rage, le désespoir. Mon cousin, dans un cas à peu près semblable, et qu'on avait puni d'une faute involontaire comme d'un acte prémédité, se mettait en fureur à mon exemple, et se montait, pour ainsi dire, à mon unisson. Tous deux dans le même lit, nous nous embrassions avec des transports convulsifs, nous étouffions; et quand nos jeunes coeurs un peu soulagés pouvaient exhaler leur colère, nous nous levions sur notre séant, et nous nous mettions tous deux à crier cent fois de toute notre force: Carnifex! carnifex! carnifex! Je sens en écrivant ceci que mon pouls s'élève encore; ces moments me seront toujours présents, quand je vivrais cent mille ans. Ce premier sentiment de la violence et de l'injustice est resté si profondément gravé dans mon âme, que toutes les idées qui s'y rapportent me rendent ma première émotion; et ce sentiment, relatif à moi dans son origine, a pris une telle consistance en lui-même, et s'est tellement détaché de tout intérêt personnel, que mon coeur s'enflamme au spectacle ou au récit de toute action injuste, quel qu'en soit l'objet et en quelque lieu qu'elle se commette, comme si l'effet en retombait sur moi. Quand je lis les cruautés d'un tyran féroce, les subtiles noirceurs d'un fourbe de prêtre, je partirais volontiers pour aller poignarder ces misérables, dussé-je cent fois y périr. Je me suis souvent mis en nage à poursuivre à la course ou à coups de pierre un coq, une vache, un chien, un animal que je voyais en tourmenter un autre, uniquement parce qu'il se sentait le plus fort. Ce mouvement peut m'être naturel, et je crois qu'il l'est; mais le souvenir profond de la première injustice que j'ai soufferte y fut trop longtemps et trop fortement lié pour ne l'avoir pas beaucoup renforcé.

Rousseau est en pension à Bossey, en Suisse de 1722 à 1724 (entre 10 et 12 ans) chez le pasteur Lambercier. Rousseau vit deux années d'un bonheur serein. Mais un jour, il a la révélation traumatisante de l'injustice à laquelle le présent et le passé s'interpénètrent. Il est accusé d’avoir cassé un peigne alors qu’il est innocent. Cependant, les apparences sont contre lui. Le récit des confessions peint alors cet épisode comme un traumatisme, et comme une rupture dans la vie de l’enfant, la violence de l’injustice trouble l’univers paradisiaque de Bossey. La pureté, la confiance disparaissent, et les adultes perdent leur aura (confiance idéalisée, infaillibilité). L’expérience de cette innocence bafouée, déclenche tout, tout d’abord un sentiment de violence (carnifex), puis dans notre texte, Rousseau pratique un travail d’explication et d’analyse. Cette nouvelle anecdote de l’enfance de Jean-Jacques Rousseau l’a marqué moralement. C’était une punition avec une insistance signifiante sur cet acte. Cette anecdote est un support de réflexion que Rousseau utilise pour nous faire réfléchir. Il remontre jusqu’aux premières traces de l’être sensible. Il est alors chez le pasteur à Bossey. Il va être accusé injustement d’un acte. Il nous dit l’histoire personnelle d’un sentiment de révolte contre l’abus de la force, mais c’est aussi un travail rhétorique (art du discours) qui l’aidera à transmettre à son lecteur la vigueur de ce sentiment. 

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« Les confessions de Rousseau – Le Peigne Cassé 2 Les Confessions de Rousseau Le peigne cassé Rousseau est en pension à Bossey, en Suisse de 1722 à 1724 (entre 10 et 12 ans) chez le pasteur Lambercier. Rousseau vit deux années d'un bonheur serein.

Mais un jour, il a la révélation traumatisante de l'injustice à laquelle le présent et le passé s'interpénètrent.

Il est accusé d’avoir cassé un peigne alors qu’il est innocent. Cependant, les apparences sont contre lui.

Le récit des confessions peint alors cet épisode comme un traumatisme, et comme une rupture dans la vie de l’enfant, la violence de l’injustice trouble l’univers paradisiaque de Bossey.

La pureté, la confiance disparaissent, et les adultes perdent leur aura (confiance idéalisée, infaillibilité).

L’expérience de cette innocence bafouée, déclenche tout, tout d’abord un sentiment de violence (carnifex), puis dans notre texte, Rousseau pratique un travail d’explication et d’analyse.

Cette nouvelle anecdote de l’enfance de Jean-Jacques Rousseau l’a marqué moralement.

C’était une punition avec une insistance signifiante sur cet acte.

Cette anecdote est un support de réflexion que Rousseau utilise pour nous faire réfléchir.

Il remontre jusqu’aux premières traces de l’être sensible.

Il est alors chez le pasteur à Bossey.

Il va être accusé injustement d’un acte.

Il nous dit l’histoire personnelle d’un sentiment de révolte contre l’abus de la force, mais c’est aussi un travail rhétorique (art du discours) qui l’aidera à transmettre à son lecteur la vigueur de ce sentiment. I/ LA FIN DE L 'ENFANCE A- LA DOUCEUR D 'UNE ENFANCE HEUREUSE Rousseau a toujours été bien traité chez les Lambercier, il a vécu dans un climat affectif et moral, favorable à son bien-être comme le souligne le champ lexical des premières lignes : « douceur », « équité », « complaisance » Jusqu'à l'épisode du peigne cassé, cette douceur ne sera jamais perturbée : adverbe « toujours » répété 2 fois montre que cet état était stable et permanent et va contraster avec l'injustice d'autant plus saisissante. L’enfant a développé un bon caractère : nombreux adjectifs épithètes « timide et docile dans la vie ordinaire » ; Rousseau était un enfant de bonne composition, ni turbulent, ni problématique.

Ce caractère est mis en parallèle avec « mais (opposition) ardent, fier, indomptable dans les passions » : l’aspect fougueux de l'enfant qui apparait d'emblée avec un caractère entier ; l'adjectif « indomptable » montre bien qu'il ne fait pas de compromis.

Il n’est donc pas étonnant qu'il ne cède pas, même s'il est victime de violence physique : « on ne put m'arracher l'aveu qu'on exigeait » Beaucoup d'apostrophes : subjonctif a valeur exhortative (projeter à l'extérieur), quasiment injonctive (impérative) : Rousseau invite le lecteur à comprendre, à revivre la situation(« qu'on s'imagine », « qu'on se figure »). L’auteur parle de lui a la 3e personne du singulier (« son petit être intelligent et moral ») ou évoque son souvenir en parlant de lui comme « un enfant ») : Rousseau crée ainsi une forme de distanciation en utilisant des termes assez généraux pour que le lecteur puisse librement s'identifier à l'enfant qu'était l'auteur. B- LA CHUTE :LA DECOUVERTE DE LA VIOLENCE DONT IL EST VICTIME Rousseau a été puni pour le peigne cassé, un crime qu'il n'a pas commis Encore une fois, l’auteur utilise un phénomène de distanciation : « il y a maintenant 50 ans ».

L'adulte nie toujours les accusations dont il a été victime : « je n'avais ni cassé, ni touché le peigne / pas même approché la plaque / pas même pensé ».

Cette série de tournures négatives montre bien que même le narrateur adulte juge qu'il a été accusé injustement. L'adulte affirme que l'on ne l'a pas cru : « je déclare à la face du Ciel que j'en étais innocent » ê il prend Dieu à témoin comme garant de son innocence.. »

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