Les Confessions, Livre I: En moins d'un an j'épuisai la mince boutique de la Tribu...
Publié le 17/01/2022
Extrait du document
«
1.
Coupé ainsi d'un monde qu'il cherche à fuir (« dont j'étais si mécontent », 1.
19), le jeune Rousseau s'abîmedans la solitude. 2.
Une « disposition misanthrope » s'imprime alors définitivement en lui.
Ce trait de caractère ne doit rien à laméchanceté mais tout à une sensibilité trois fois désignée comme excessive, « qui vient en effet [.
en réalité]d'un cœur trop affectueux, trop aimant, trop tendre » (I.
25).
3.
II.
Plaidoyer ou aveu ?
Un plaidoyer accusateur
Relisons la longue phrase formée de trois propositions subordonnées relatives, où Jean-Jacques se justifie : « [...]cette disposition si misanthrope [...] qui vient en effet d'un coeur trop affectueux [...], qui faute d'en trouverd'existants qui lui ressemblent, est forcé de s'alimenter de fictions », c'est-à-dire d'histoires imaginaires.
On voit bien comment le plaidoyer glisse vers le discours accusateur.
Jusque-là, le goût pour la lecture nous étaitprésenté comme la conséquence d'une décision de fuir la réalité (« prit un parti », I.
13 ; « oublier mon état réel »,I.
19).
Mais dans le dernier tiers du texte, ce sont les hommes qui sont désignés comme responsables : Jean-Jacques est « forc[é] » de s'alimenter de fictions », car il ne trouve autour de lui personne qui lui ressemble.
C'estmaintenant le réel qui oblige Jean-Jacques à se tourner vers la fiction romanesque ; l'imaginaire n'est plus un refuge: il est la référence unique grâce à laquelle Rousseau prétend juger l'insuffisance des hommes (« faute d'en trouverd'existants », I.
26).
La singularité de Jean-Jacques se trouve ainsi mise une fois de plus en évidence (« faute d'entrouver [...] qui lui ressemblent », I.
26).
La logique ne sort pas indemne de ce renversement : si Jean-Jacques, devenu « un des personnages qu'il imaginait», s'est habitué à vivre dans la fiction romanesque, comment peut-il encore espérer trouver dans la réalité deshommes « qui lui ressemblent » ?
Un aveu indirect?
L'épisode des lectures nous est clairement présenté comme ce qui a détourné Jean-Jacques d'une récente périodede dépravation, celle où il volait son maître.
Ses lectures le ramènent plusieurs années en arrière vers l'âge de sespremières émotions littéraires partagées avec son père (« mes lectures [...] ramenaient mon coeur à des sentimentsplus nobles que ceux que m'avait donné mon état » d'apprenti, I.
5).
La lecture est également interprétée comme ce qui « calma » la « naissante sensualité » (I.
14) de l'adolescent.Mais le passage ne dissimulerait-il pas un aveu ? Les « folies » dont il est question (I.
11), ce sont bien les rêveriesérotiques éveillées par la fessée de Mlle Lambercier (cf p.
45).
Il n'est pas interdit de penser que le travail de l'imagination du jeune Jean-Jacques sur « les situations qui [Pl avaient intéressé dans ses lectures », I.
14-15) necalme en rien le désir sexuel ravivé par la puberté (« déjà pubère et sensible »,1.
11).
Il est au contraire destiné àvarier le scénario érotique constitué par la fessée : Jean-Jacques « combine » ces différentes situations pour «varier » « les positions les plus agréables selon son goût »...
Le passage illustre la complexité de la perspective généalogique qui fait des Confessions la première autobiographie moderne : le récit autobiographique est l'occasion pour l'auteur de ressaisir toute son existence dans sonirréductible singularité, mais aussi de plaider sa cause auprès de la postérité.
1.
Dans un célèbre passage de la Lettre à d'Alembert (1758), Rousseau avait déjà sévèrement critiqué Le Misanthrope de Molière en prenant lyriquement la défense du personnage d'Alceste..
»
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