Les Conquérants Les Conquérants, IIe partie, Le Livre de Poche (Grasset), pp. 212-215. Commentaire
Publié le 27/03/2015
Extrait du document
Placé à Canton à la direction de la Propagande, Carine, qui vient de lire un communiqué des terroristes dirigé contre les chrétiens des missions chinoises, reçoit dans son bureau leur chef Hong, qui expose sa conception de l'action révolutionnaire.
Il parle avec un accent très fort, d'une voix presque basse où l'on devine une rage mal dominée :
« Vous devez juger ce que j'écris. C'est bien. Mais non mes sentiments. La torture — moi je pense — est, là, une chose juste. Parce que la vie d'un homme
I() transforme en boue, et coule ; l'homme il vient me parler de résignation,
alors c'est bien. Mais cet homme-là, lui, il dit autre chose... «
Et il sourit en s'en allant, d'un sourire qui découvre ses dents et donne tout
à coup à son visage haineux une expression presque enfantine.
Garine, soucieux, réfléchit. Lorsqu'il relève la tête, son regard rencontre le
«J'ai fait prévenir l'évêque, dit-il, du danger que courent ses missionnaires.
Leur départ est devenu nécessaire, mais pas leur massacre.
— Et alors?
— Les précautions convenables seront prises, m'a-t-il fait répondre. Pour le
faite ! Quelques missionnaires sont partis... «
Pendant qu'il parle, son regard se porte sur le bureau, et s'arrête sur l'une
des notes blanches qui couvrent son buvard :
Ah ! Ah ! Tcheng-daï a quitté le photographe et s'est installé dans une villa
Nous, (suivent quatre noms), avons signé ceci de notre sang, après avoir tranché
« Jusqu'à la victoire complète, répète Garine. Le décret, le décret, le décret!
Tout est là. Si nous n'empêchons pas définitivement les bateaux de Hongkong de venir ici, nous finirons par nous faire casser les reins, malgré tout! Il faut que ce décret passe. Il le faut. Sinon, qu'est-ce que nous foutons ici?... «
45 Il prend, sur le bureau, une liasse de rapports de Hongkong. Ce ne sont que demandes d'argent.
«En attendant, il n'y a qu'une solution, reprend-il : l'abandon de la grève générale. Toute l'Asie suit enfin le combat que nous avons engagé : il suffit que Hongkong, aux yeux de tous, reste paralysé. La grève des gens de mer,
50 marins et coolies, complète, surveillée par les syndicats, suffira. Hongkong sans bras vaut Hongkong désert, et nous avons grand besoin, ici, de l'argent de l'Internationale, grand besoin !... «
«
40 «Jusqu'à la victoire complète, répète Carine.
Le décret, le décret, le décret!
Tout est
là.
Si nous n'empêchons pas définitivement les bateaux de Hongkong
de venir
ici, nous finirons par nous faire casser les reins, malgré tout! II faut
que
ce décret passe.
Il le faut.
Sinon, qu'est-ce que nous foutons ici? ...
»
45 Il prend, sur le bureau, une liasse de rapports de Hongkong.
Ce ne sont que
demandes d'argent.
«En attendant, il n'y a qu'une solution, reprend-il: l'abandon de la grève
générale.
Toute !'Asie suit enfin le combat que nous avons engagé:
il suffit
que Hongkong, aux yeux de tous, reste paralysé.
La grève des gens de mer,
50 marins et coolies, complète, surveillée par les syndicats, suffira.
Hongkong
sans bras vaut Hongkong désert,
et nous avons grand besoin, ici, de l'argent
de l'Internationale, grand besoin!...
»
(COMMENTAIRE)
~~_n_Ï!~~te~te: ~~~!_ait ~'!_action
Centré sur Carine, personnage principal des Conquérants, cet extrait
montre comment Malraux utilise la forme du reportage: le narrateur
personnage, qui joue le rôle d'un témoin, semble écrire sous la dictée des
événements.
De plus, le montage des discours des différents protagonistes
impliqués dans les événements de Canton permet, tout en reflétant la dis
parité des points de vue sur la stratégie révolutionnaire, de mettre en valeur
la personnalité de Carine en soulignant la complexité de son action.
D Un récit pressé
Pour donner au récit l'efficacité d'un compte rendu, Malraux utilise
toutes les techniques du reportage: importance du style direct, discrétion
du narrateur, découpage extrême du texte.
Un montage de discours.
Le texte se présente comme une juxtaposi
tion de discours rapportés* au style direct.
Le récit se réduit à identifier les
différents locuteurs, à caractériser leur énonciation («il par/,e avec un accent
très Jort»), leurs mimiques ou leurs gestes («Pendant qu'il par/,e, son regard se
porte sur /,e &ureau ») et se rapproche parfois de la didascalie, texte d'ac
compagnement du dialogue au théâtre: "(il souligne /,e mot d'un geste, comme
s'il frappait)
".
La scène en temps réel.
La discrétion des interventions du narrateur*,
le choix d'un récit au présent, enfin, l'importance du discours direct* don
nent au lecteur l'impression qu'il assiste sans médiation, et en «temps
réel», à la scène.
232.
»
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