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Les personnages dans Jacques le fataliste de Diderot

Publié le 08/01/2020

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milieu géographique, social, professionnel, et même intellectuel, particulier. Comme le picaro enfin, il se pose des questions philosophiques : l’homme est-il libre? Que fait-il sur la terre? Quelle morale convient-il d’adopter? (On examinera dans les chapitres 4 et 5, consacrés au fatalisme et à la pensée de Diderot, la manière dont Jacques répond à ces questions.)

Mais, à la différence du picaro, Jacques n’est pas un parasite, il n’est victime ni de la faim ni de la dureté du monde. Il n’accorde pas une grande importance à l’argent et il n’est pas d’une moralité douteuse. C’est un «bon homme, franc, honnête, brave» (p. 218), toutes qualités qui ne sont pas les vertus traditionnelles du picaro.

, Un valet philosophe

Jacques acquiert progressivement la stature d’un philosophe. Son maître le qualifie d’ailleurs d’«espèce de philosophe», puis de «philosophe» (p. 164) tout court; et Diderot, intervenant en personne, dit que Jacques «se pique de philosophie» (p. 260). Ce valet disserte en effet sur la liberté, sur les notions de bien et de mal, sur la vertu et le vice, sur la destinée humaine. C’est un adepte de la doctrine fataliste, analysée dans le chapitre 4 (p. 68).

La présentation de Jacques comme philosophe s’effectue de trois façons : directement, dans l’action même du roman ; indirectement, par l’exposé de sa doctrine; et gaiement, par un jeu d’allusions littéraires.

1. Jacques est un philosophe en action. Chez lui, le raisonnement ne se dissocie pas de l’expérience. Tout ce qui lui arrive d’heureux ou de moins heureux devient matière à réflexion. Tantôt il voit dans sa propre vie le bien-fondé de ses convictions philosophiques : « Dieu sait les bonnes et mauvaises aventures amenées par ce coup de feu. Elles se tiennent ni plus ni moins que les chaînons d’une gourmette» (p. 36). Tantôt il déduit d’observations banales des leçons générales. Jacques remarque ainsi que les «petites gens» qui n’ont pas de « pain pour eux», entretiennent tout de même un chien. « D’où il conclut que tout homme voulant] commander à un autre [...]

Ensuite, à deux reprises, le maître apparaît comme la dupe des événements ou de sa naïveté. Pour n'avoir pas cru qu’une blessure au genou fût une des «plus cruelles» (p. 37), il tombera de cheval (p. 50), se froissera le genou et devra reconnaître son erreur (p. 51). Pour avoir trop cru en la vertu d’Agathe et dans l’amitié du chevalier de Saint-Ouîn, il se trouve dans l'obligation peu honorable d’endosser la paternité d’un enfant qui n’est pas de lui’. Ce maître, enfin, s'ennuie dès qu'il est privé de son valet : il ne sait « que devenir sans sa montre, sans sa tabatière et sans Jacques : c’étaient les trois grandes ressources de sa vie» (p. 59-60). S’il conserve en apparence son autorité, dans la réalité il perd son autonomie et toute initiative : c'est toujours Jacques qui agit, qui commande les menus, qui choisit la chambre d’auberge; c’est encore lui qui, le plus souvent, parle. Parfois, le maître paraît même perdre son sens critique : ainsi, quand il condamne le comportement vengeur de Mme de La Pommeraye, Diderot intervient directement pour le contredire1 2.

Une satire de l’autorité

Chemin faisant, le lecteur se demande qui, en définitive, est le maître de qui. Bien qu’un valet doive en principe obéir à son maître, Jacques n'hésite pas à tenir tête au sien et même à affirmer sa supériorité3. Le contrat de réconciliation établi à la fin de la querelle4 est beaucoup plus favorable au valet qu'au maître. Aux termes de ce contrat, en effet, Jacques a le droit de tout dire et de tout faire, cependant que le maître n'a que celui de tout supporter. Comme celui-ci s’en indigne, il s’entend répondre : «Jacques mène son maître. Nous serons tes premiers dont on l’aura dit; mais on le répétera de mille autres qui valent mieux que vous et mol» (p. 212). Enfin,

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« relations sont tous des gentilshommes: le" chevalier» de Saint-Ouin; Desglands, "seigneur de Miremont ..

, I'« intendant» (le gouverneur) de la province.

Son refus de se mésallier 1 avec la jeune Agathe s'ex­ plique par une conception hautaine de l'honneur, qui oblige tout gen­ tilhomme à maintenir la réputation de sa race.

Sa vanité éclate quand il s'indigne que Denise lui ait préféré Jacques (p.

207) : à ses yeux, sa qualité de noble aurait dû lui faciliter tous les succès.

Vis-à-vis de Jacques, l'attitude du maître est empreinte de contra­ dictions.

Tantôt, usant de son autorité, il entre dans de terribles colères, le bastonne (p.

36), l'injurie, le traite de" maroufle 2>>, et lui fait durement sentir qu'un valet est un subalterne, congédiable à tout moment (p.

207-208).

Ce maître-là oublie rarement qu'il est le maître.

Tantôt, au contraire, il manifeste une grande bienveillance envers son domestique.

li le console quand la mort (supposée) de son capitaine l'afflige (p.

106), ou bien lorsque Jacques est blessé à la tête après être tombé de cheval.

Enfin, il lui a promis de subvenir aux besoins de ses vieux jours (p.

205).

Ce maître sait être humain et, comme le remarque Jacques, «ce n'est pas trop la qualité des maîtres envers leurs valets» (p.

106).

1 Un noble au prestige diminué Cet homme qui a pour lui son rang social, sa bonne éducation et qui sait écouter (vertu non négligeable avec un valet aussi bavard que Jacques), voit pourtant son prestige décroître à mesure que se déroule le roman.

Il attend en "tremblant» que Jacques neutralise les brigands de l'auberge 3 et éprouve une peur indigne d'un noble.

Dans le théâtre de Molière 4, les maîtres sont toujours courageux et les valets toujours des poltrons (voir Sganarelle dans Dom Juan).

Dans Jacques le Fataliste, tout se passe comme si le maîtrè et le valet avaient échangé leurs qualités traditionnelles.

1.

Se mésallier: épouser une personne socialement inférieure à sol.

2.

Maroufle (p.

208) : terme injurieux, synonyme de coquin, bandit, vaurien.

3.

Voir ci-dessus le résumé de la 2• journée, p.

14-15, et p.

42 du roman.

4.

Le théâtre de Molière n'est pas sur ce point une exception; il en allait de même dans les romans des xvu• et xvm• siècles.

52 PROBLËMATIQUES ESSENTIELLES l. »

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