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L'Espoir, IIe partie,«Le Manzanarès», I, «Être et faire», vil, Folio (Gallimard), pp. 375-377

Publié le 27/03/2015

Extrait du document

Jaime Alvear a demandé à Scali, historien d'art qui combat auprès de lui dans l'escadrille dirigée par Magnin, de convaincre son père de quitter Madrid, menacée par l'armée maure. Scali rencontre Alvear, qui a lui-même été historien d'art. Le vieillard refuse de le suivre, et lui lit des vers du poète espagnol Quevedo.

«Bien entendu, je puis être tué par les Arabes. Et je puis être tué aussi par les vôtres, plus tard. C'est sans importance. Est-ce une chose si difficile, mon­sieur Scali, que d'attendre la mort (qui ne viendra peut-être pas!) en buvant tranquillement et en lisant des vers admirables ? Il y a un sentiment très pro‑

5        fond à l'égard de la mort, que nul n'a plus exprimé depuis la Renaissance... «Et pourtant j'avais peur de la mort quand j'étais jeune «, dit-il un peu plus bas, comme une parenthèse.

«Quel sentiment ?

     La curiosité...«

Il posa Quevedo sur un rayon. Scali n'avait pas envie de s'en aller.

«Vous n'avez pas de curiosité à l'égard de la mort? demanda le vieillard.

Toute opinion décisive sur la mort est si bête...

J'ai beaucoup pensé à la mort «, dit Scali, la main dans ses cheveux frisés ; «depuis que je me bats, je n'y pense plus jamais. Elle a perdu pour moi

15      toute... réalité métaphysique, si vous voulez. Voyez-vous, mon avion est tombé une fois. Entre l'instant où l'avant a touché je sol et l'instant où j'ai été blessé, très légèrement, - pendant le craquement, je ne pensais à rien, j'étais frénéti­quement à l'affût, un affût vivant : comment sauter, où sauter? Je pense main­tenant que c'est toujours comme ça; un duel: la mort gagne ou perd. Bien.

20 Le reste, ce sont des rapports entre les idées. La mort n'est pas une chose si sérieuse : la douleur, oui. L'art est peu de chose en face de la douleur, et, mal­heureusement, aucun tableau ne tient en face de taches de sang.

     Ne vous y fiez pas, ne vous y fiez pas ! Au siège de Saragosse par les Français, les grenadiers avaient fait leurs tentes avec les toiles de maître des couvents.

25 Après une sortie, les lanciers polonais, à genoux, récitèrent leurs prières parmi les blessés, devant les vierges de Murillo qui fermaient les tentes tri­angulaires. C'était la religion, mais aussi l'art, car ils ne priaient pas devant les vierges populaires. Ah ! monsieur Scali, vous avez une grande habitude de l'art, et pas encore une assez grande habitude de la douleur... Et vous verrez

30      plus tard, car vous êtes encore jeune : la douleur devient moins émouvante,

quand on est assuré qu'on ne la changera plus...«

Une mitrailleuse se mit à tirer par courtes rafales, rageuse et seule dans le

silence plein de grattements.

«Vous entendez ? demanda distraitement Alvear. Mais la part de lui-même

 

35    qu'engage l'homme qui tire en ce moment n'est pas la part importante... Le gain que vous apporterait la libération économique, qui me dit qu'il sera

Le dialogue est engagé entre deux historiens d'art, qui se différencient cependant par leur âge (Alvear est un «vieillard«/ Scali est «encore jeune«, inexpérimenté selon Alvear) et par leur rapport à la guerre contre le fas­cisme (Alvear est resté à distance des combats / Scali s'est engagé dans l'es­cadrille de Magnin, expérience à laquelle il se réfère directement).

Le temps de parole d'Alvear (trois longues répliques) est infiniment plus important que celui de Scali (une seule longue réplique).

Les thèmes de discours

— Les thèmes abordés dans ce dialogue sont d'une extrême généralité : la

mort, la douleur, l'art, la «part« que l'homme engage dans l'action.

 

L'événement (l'accident de Scali), la circonstance (un homme tire avec une mitrailleuse) ne sont que des prétextes à la réflexion commune.

plus grand que les pertes apportées par la société nouvelle, menacée de toutes parts, obligée par son angoisse à la contrainte, à la violence, peut-être à la délation ? La servitude économique est lourde ; mais si, pour la détruire,

 

40 on est obligé de renforcer la servitude politique, ou militaire, ou religieuse, ou policière, alors que m'importe ? «

« LES ROMANS DE MALRAUX plus grand que les pertes apportées par la société nouvelle, menacée de toutes parts, obligée par son angoisse à la contrainte, à la violence, peut-être à la délation? La servitude économique est lourde; mais si, pour la détruire, 40 on est obligé de renforcer la servitude politique, ou militaire, ou religieuse, ou policière, alors que m'importe?» (PLAN DÉTAILLÉ) L'enjeu du texte: une 111_éditation dialoguée Ce dialogue entre deux historiens d'art oppose deux conceptions diffé­ rentes des pouvoirs de l'art face à la mort et à la douleur.

Une Pél:renthèse méditative Le décor -Les personnages se trouvent dans un intérieur, distants de l'action, ne percevant de l'extérieur que les rafales d'une mitrailleuse.

- les éléments du décor dénotent que !'on se trouve chez un intellectuel: le livre de Quevedo, la bibliothèque.

Les partenaires de l'échange -Le dialogue est engagé entre deux historiens d'art, qui se différencient cependant par leur âge (Alvear est un avieillard» / Scali est aencorejeune", inexpérimenté selon Alvear) et par leur rapport à la guerre contre le fas­ cisme (Alvear est resté à distance des combats / Scali s'est engagé dans!' es­ cadrille de Magnin, expérience à laquelle il se réfère directement).

-Le temps de parole d'Alvear (trois longues répliques) est infiniment plus important que celui de Scali (une seule longue réplique).

Les thèmes de discours - Les thèmes abordés dans ce dialogue sont d'une extrême généralité: la mort, la douleur, l'art, la «part» que l'homme engage dans l'action.

-L'événement (l'accident de Scali), la circonstance (un homme tire avec une mitrailleuse) ne sont que des prétextes à la réflexion commune.

Un débat sur l~s p_()UVoirs de l'art Une approche différente de l'art -L'art est mis au premier plan par Alvear: à la fois objet d'étude (voir l'al­ lusion à l'art de la Renaissance, à la fonction de la peinture de Murillo pendant le siège de Saragosse, au cours de la guerre d'indépendance 259. »

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