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Lettre à Madame de Grignan de Madame de Sévigné

Publié le 17/01/2022

Extrait du document

Ah ! ma bonne, quelle lettre ! quelle peinture de l'état où vous avez été ! et que je vous aurais mal tenu ma parole, si je vous avais promis de n'être point effrayée d'un si grand péril ! Je sais bien qu'il est passé. Mais il est impossible de se représenter votre vie si proche de sa fin, sans frémir d'horreur. Et M. de Grignan vous laisse conduire la barque ; et quand vous êtes téméraire, il trouve plaisant de l'être encore plus que vous ; au lieu de vous faire attendre que l'orage fût passé, il veut bien vous exposer2, et vogue la galère ! Ah mon Dieu ! qu'il eût été bien mieux d'être timide, et de vous dire que si vous n'aviez point de peur, il en avait, lui, et ne souffrirait point que vous traversassiez le Rhône par un temps comme celui qu'il faisait ! Que j'ai de la peine à comprendre sa tendresse en cette occasion ! Ce Rhône qui fait peur à tout le monde ! Ce pont d'Avignon où l'on aurait tort de passer en prenant de loin toutes ses mesures ! Un tourbillon de vent vous jette violemment sous une arche ! Et quel miracle que vous n'ayez pas été brisée et noyée dans un moment ! Ma bonne, je ne soutiens pas cette pensée, j'en frissonne, et m'en suis réveillée avec des sursauts dont je ne suis pas la maîtresse. Trouvez-vous toujours que le Rhône ne soit que de l'eau ? De bonne foi, n'avez-vous point été effrayée d'une mort si proche et si inévitable ? avez-vous trouvé ce péril d'un bon goût ? une autre fois ne serez-vous point un peu moins hasardeuse, une aventure comme celle-là ne vous fera-t-elle point voir les dangers aussi terribles qu'ils sont ? Je vous prie de m'avouer ce qui vous en est resté ; je crois du moins que vous avez rendu grâce à Dieu de vous avoir sauvée. Pour moi, je suis persuadée que les messes que j'ai fait dire tous les jours pour vous ont fait ce miracle.

Analyse du sujet    À la lecture de la lettre de Madame de Sévigné, on note :  • la valeur émotive de la lettre : Madame de Sévigné laisse apparaître sa frayeur et son amour passionnel pour sa fille ;  • la maîtrise rhétorique dont fait preuve Madame de Sévigné. L'incident du Rhône accède au statut de drame. Il faut donc étudier par quels procédés l'auteur magnifie un événement finalement insignifiant.    Plan détaillé    Madame de Sévigné est restée célèbre pour sa correspondance, à la fois mémoire d'un temps – le Grand Siècle – et témoignage d'un amour maternel total pour sa fille, Madame de Grignan. De 1671, date du départ de son enfant chéri pour la Provence, à 1688, elle entretiendra une correspondance assidue avec cette fille absente. La lettre que nous étudions est datée du 4 mars 1671. Madame de Sévigné répond à Madame de Grignan, qui a failli mourir en traversant le Rhône. Cette lettre révèle l'angoisse, les terreurs d'une mère, qui tremble encore à l'idée d'avoir manqué de perdre son enfant. Tout d'abord, nous verrons que cette lettre du 4 mars révèle des rapports mère-fille, placés à la fois sous le signe de la passion et du conflit. Ensuite, nous montrerons que Madame de Sévigné maîtrise l'éloquence épistolaire. Simple événement sans conséquence, le fait divers devient, sous sa plume, un récit dramatique.           

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