Madame de Sévigné à l'Hôtel de Rambouillet (Lettre à Pauline de Grignan)
Publié le 15/02/2012
Extrait du document
Ma chère Petite-Enfant,
Je me frotte les yeux et me répète avec un étonnement chaque fois accru :
« Est-ce possible? « Pour moi, vous êtes toujours celle qui vient de naître,
par un jour brumeux de février. Est-ce bien la même qui, naguère, a fait
ses débuts dans le monde, et qui, dans la splendeur de ses seize ans, a été
proclamée, par tout ce qui compte en Provence, la « reine du bal « ? Permettez-
moi de redire encore : « Est-ce possible? «
Il me faut pourtant rendre les armes à la vérité : ...
«
un pareil spectacle.
M.
de Gondi se chargea des presentations, ce
dont mon
oncle et ma cousine le remercierent d'un meme cceur.
La-dessus, it disparut
avec son mysterieux socius, non sans nous avoir lance un :
« A bientat! »
chargé de sous-entendus.
En cette minute solennelle, j'eus la repartie heureuse; et it n'en pouvait
etre nutriment : Mme de Rambouillet donnait de l'esprit a ses interlocuteurs.
Apres un assaut d'amabilites, nous cedames la place a de nouveaux arrivants
et nous melames a la societe, tout en parcourant la longue enfilade de pieces
et en admirant ce sejour enchante.
Encore que l'oubli s'empare des plus grander choses, la reputation de ce
salon a du venir jusqu'a vous.
Vous ne sauriez neanmoins vous en faire
une juste idee.
C'etait, je le crois, le nee plus ultra en l'espece.
Ensemble et details concouraient a en faire un lieu ideal pour la vie mondaine.
Des
tapisseries fiamandes, offertes par le roi Louis XIII au Marquis de Ram-
bouillet, en couvraient les mars.
On y voyait des personnages princiers s'y
promener sous de bleuatres ombrages.
Des tentures de velours bleu, rehaus-
sees d'or et d'argent, s'harmonisaient avec ces chefs-d'oeuvre.
Les chaises
et les fauteuils - reserves aux dames -, et les tabourets - destines aux
messieurs - etaient, eux aussi, reconverts en bleu.
Quant a la reine de cet
empire de l'esprit, elle reposait sous un pavilion de gaze, orne de satins de
Bruges, broches d'or et passementes d'argent.
Get appartement magnifique a nui aux autres.
La « grande salle » le sur-
passait, je pense, en richesse et en beaute.
Tendue de cuir dore, sur fond
rouge et vest, elle tranchait, elle aussi, sur les couleurs alors admises, trop
uniformement rouges ou tanin.
Elle ouvrait sur de calmes et beaux jardins.
Ses fenetres, qui s'enlevaient d'une seule venue, du plancher au plafond,
etaient separees par des tableaux pieux, des portraits royaux.
En face de la
cheminee monumentale, on fiambait une bathe enorme, une chapelle se
parait de dentelles d'or.
On pouvait passer d'une piece a l'autre, se grouper
selon les affinites d'age, de relations ou de gout : impossible d'aller plus
loin dans le souci de plaire a des hates.
J'arrete la ma description.
Que si
votre appetit West point satisfait, consultez les ecrits des Tallemant, des
Segrais, des Voiture, qui ont Mare en prose et en vers ce decor incom-
parable.
Les gens qui s'y mouvaient en etaient dignes.
C'est d'eux surtout que
je vous entretiendrai.
Je parlai aux uns, je me contental de devisager dis- cretement les autres, comme it convenait a une taws jeune fine; mais tons
revivent intensement en ma memoire a l'heure ou je trace ces lignes.
Je revois Julie d'Angennes, fille ainee de- la Marquise, et sa principale
auxiliaire, escort& de l'honnete Montausier son soupirant et chevalier ser-
vant, franc jusqu'it in rudesse, loyal comme son epee.
Elle abordait la qua-
rantaine, et devait, tine min& encore, tenir en suspens son amant plus que
mar.
Vous qui avez lu Moliere, imaginez-le-vous, melant a doses a peu pres
egales les personnages d'Alceste et d'Oronte.
Its eurent la bonte de montrer
a la novice que j'etais la Mare « Guirlande a Julie ».
Je les en remerciai,
ne menageant pas les Ah! et les Oh! admiratifs, qui allaient plutot aux fieurs,
admirablement peintes, qu'aux compliments, trop manieres selon mon goat.
Dans leur sillage s'empressaient, entre autres, Mm' de Sable, qui restera
toujours pour moi le type de la bonne preciosite, exempte de toute affec-
tation; M.
Godeau, le « nail de Julie », trop spirituel, trop assidu aupres
des dames...
mais, Dieu ait son ame! qui devint dans la suite le plus devot
et le plus zele des eveques.
'Quelques pas plus loin, centre d'un autre cercle,
ou mieux « chef de bande », comme it disait, le vainqueur de Rocroi! Vous
devinez mon envoi quand je reconnus son nez d'aigle, saillant entre deux
yeux qui lancaient des eclairs! J'aurais voulu fuir, ou rentrer sous terre...
Mais, M.
de Gondi vint a moi, et me conduisit vers M.
le Due et vers sa
sceur, Presque aussi celebre qui, duchesse de Bouillon, allait devenir du-
chesse de Longueville.
II n'avait rien qui rappelat le Jupiter olympien et
elle rien qui fit pressentir, ce soir-la, l'heroine de la Fronde.
C'etaient deux
jeunes gens turbulents, toujours en quete d'un nouveau plaisir, et pleins d'enjouement.
Faseinee par le prestige de sa jeune gloire, je ne vis bientot plus que le
due.
Le bruyant Georges de Seuderi - frere de Sapho - detourna Went&
mon attention a son profit.
Moi aussi, semblait-il dire, je suis un heros.
Et
je me rappelai le distique place par ce Gascon du Havre en tete de ses
ceuvres :
un pareil spectacle.
M.
de Gon.~i se c~argea.
des présent~tions, ce.
do~t mon oncle et ma cousine le remerc1erent d un meme cœur.
La-dessus, Il disparut avec son mystérieux socius, non sans nous avoir lancé un : « A bientôt! » chargé de sous-entendus.
En cette minute solennelle, j'eus la répartie heureuse; et il n'en pouvait être autrement : Mm• de Rambouillet donnait de l'esprit à ses interlocuteurs.
Après un assaut d'amabilités, nous cédâmes la place à de nouveaux arrivants et nous mêlâmes à la société, tout en parcourant la longue enfilade de pièces et en admirant ce séjour enchanté.
Encore que l'oubli s'empare des plus grandes choses, la réputation de ce salon a dû venir jusqu'à vous.
Vous ne sauriez néanmoins vous en faire une juste idée.
·C'était, je le crois, le nec plus ultra en l'espèce.
Ensemble et détails concouraient à en faire un lieu idéal pour la vie mondaine.
Des tapisseries flaman~es, offertes par le roi I:ouis XIII au Marqui~ d~ Rai? bouillet, en couvraient les murs.
On y voya1t des personnages prmciers s y promener sous de bleuâtres ombrages.
Des tentures de velours bleu, rehaus sées d'or et d'argent, s'harmonisaient avec ces chefs-d'œuvre.
Les chaises et les fauteuils - réservés aux dames -, et les tabourets - destinés aux messieurs - étaient, eux aussi, recouverts en bleu.
Quant à la reine de cet empire de l'esprit, elle reposait sous un pavillon de gaze, orné de satins de Bruges, brochés d'or et passementés d'argent.
Cet appartement magnifique a nui aux autres.
La « grande salle » le sur passait, je pense, en richesse et en beauté.
Tendue de cuir doré, sur fond rouge et vert, elle tranchait, elle aussi, sur les couleurs alors admises, trop uniformément rouges ou tanin.
Elle ouvrait sur de calmes et beaux jardins.
Ses fenêtres, qui s'enlevaient d'une seule venue, du plancher au plafond, étaient séparées par des tableaux pieux, des portraits royaux.
En face de la cheminée monumentale, où flambait une bûche .
énorme, une chapelle se parait de dent~l~es d'?r.
On pouva.it passer d'une.
piè?e à l'~utre, se grouper selon les affimtes d'age, de relations ou de gout: 1mposs1ble d'aller plus loin dans le souci de plaire à des hôtes.
J'arrête là ma description" Que si votre appétit n'est point satisfait, consultez les écrits des Tallemant, des Segrais, des Voiture, qui ont célébré en prose et en vers ce décor incom parable.
Les gens qui s'y mouvaient en étaient dignes.
C'est d'eux surtout que je vous entretiendrai.
Je parlai aux uns, je me contentai de dévisager dis crètement les autres, comme il convenait à une très jeune fille; mais tous revivent intensément en ma mémoire à l'heure où je trace ces lignes.
Je revois Julie d'Angennes.
fille aînée de la Marquise, et sa principale auxiliaire, escortée de l'honnête Montàusier son soupirant et chevalier ser vant, franc jusqu'à la rudesse, loyal comme son épée.
Elle abordait la qua rantaine, et devait, une année encore, ten.ir en suspens son amant pius que mûr.
Vous qui avez lu Molière, imaginez-le-vous, mêlant à doses à peu près égales les personnages d'Alceste et d'Oronte.
Ils eurent la bonté de montrer à la novice que j'étais la célèbre « Guirlande à Julie ».Je les en remerciai, ne ménageant pas les Ah! et les Oh! admiratifs, qui allaient plutôt aux fleurs, admirablement peintes, qu'aux compliments, trop maniérés selon mon goût.
Dans leur sillage s'empressaient, entre autres, Mm• de Sablé, qui restera toujours pour moi le type de la bonne préciosité, exempte de toute affec~ tation; M.
Godeau, le « nain de Julie >~, trop spirituel, trop assidu auprès des dames ...
mais, Dieu ait son âme! qui devint dans la suite le plus dévot et le plus zélé des évêques.
Quelques pas plus loin, centre d'un autre cerde, ou mieux «chef de bande», comme il disait, le vainqueur de Rocroi! Vous devinez mon émoi quand je reconnus son nez d'aigle, saillant entre deux yeux qui lançaient des éclairs! J'aurais voulu fuir, ou rentrer sous terre ...
Mais, M.
de Gondi vint à moi, et me conduisit vers M.
le Duc et vers sa sœur, presque aussi célèbre qui, duchesse de Bouillon, allait devenir du chesse.
de Longueville.
Il n'avait rien qui rappelât le Jupiter olympien et elle rien qui fît pressentir, ce soir-là, l'héroïne de la Fronde.
C'étaient deux jeunes gens turbulents, toujours en quête d'un nouveau plaisir, et pleins d'enjouement.
Fascinée par le prestige de sa jeune gloire, je ne vis bientôt plus que le duc.
Le bruyant Georges de Scudéri - frère de Sapho - détourna bientôt ~on attention .à son.
p~ofit.
Moi aussi, semblait-il dire, je suis un héros.
Et Je me rappelai le distique placé par ce Gascon du Havre en tête de ses œuvres:.
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