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L'euphorie de la liberté Livre II, Folio (Gallimard), pp. 79-80 - Rousseau

Publié le 02/08/2014

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Autant le moment où l'effroi me suggéra le projet de fuir m'avait paru triste, autant celui où je l'exécutai me parut charmant. Encore enfant, quitter mort pays, mes parents, mes appuis, mes ressources; laisser un apprentissage à moi¬tié fait, sans savoir mon métier assez pour en vivre ; me livrer aux horreurs de la misère sans voir aucun moyen d'en sortir ; dans l'âge de la faiblesse et de l'innocence, m'exposer à toutes les tentations du vice et du désespoir ; cher¬cher au loin les maux, les erreurs, les pièges, l'esclavage et la mort, sous un joug bien plus inflexible que celui que je n'avais pu souffrir: c'était là ce que j'allais faire ; c'était la perspective que j'aurais dû envisager. Que celle que je

10 me peignais était différente ! L'indépendance que je croyais avoir acquise était le seul sentiment qui m'affectait. Libre et maître de moi-même, je croyais pouvoir tout faire, atteindre â tout: je n'avais qu'à m'élancer pour m'élever et voler dans les airs. j'entrais avec sécurité dans le vaste espace du monde ; mon mérite allait le remplir; à chaque pas j'allais trouver des festins, des trésors,

15 des aventures, des amis prêts à me servir, des maîtresses empressées à me plaire : en me montrant j'allais occuper de moi l'univers, non pas pourtant l'univers tout entier, je l'en dispensais en quelque sorte, il ne m'en fallait pas tant. Une société charmante me suffisait sans m'embarrasser du reste. Ma modération m'inscrivait dans une sphère étroite, mais délicieusement choi 

20 sie, où j'étais assuré de régner. Un seul château bornait mon ambition. Favori du seigneur et de la dame, amant de la demoiselle, ami du frère et protecteur des voisins, j'étais content ; il ne m'en fallait pas davantage.

En attendant ce modeste avenir, j'errai quelques jours autour de la ville, logeant chez des paysans de ma connaissance, qui tous me reçurent avec plus

25 de bonté que n'auraient fait des urbains. Ils m'accueillaient, me logeaient, me nourrissaient trop bonnement pour en avoir le mérite. Cela ne pouvait pas s'appeler faire l'aumône ; ils n'y mettaient pas assez l'air de la supériorité. À force de voyager et de parcourir le monde, j'allai jusqu'à Confignon, terres de Savoie à deux lieues de Genève.

(COMMENTAIRE)

Enjeu : un début dans la vie, qui est aussi le début du livre Il

Face à une réalité qui pourrait être angoissante, Jean-Jacques répond par une envolée euphorique : il s'imagine conquérir un monde qu'il invente pour sa jouissance et sa plus grande gloire. Ainsi commence, par une ouverture joyeuse, le récit du livre II.

 

Les perspectives temporelles

L'examen des temps verbaux fait apparaître que l'adolescent oublie la réa¬lité objective, et qu'à l'inverse, le sentiment nouveau de la liberté conquise le projette dans un avenir aussi radieux qu'imaginaire.

rousseau

« Les perspectives temporelles L'examen des temps verbaux f3.it apparaître que l'adolescent oublie la réa­ lité objective, et qu'à l'inverse, le sentiment nouveau de la liberté conquise le projette dans un avenir aussi radieux qu'imaginaire.

L'oubli du réel.

Pour peindre sa situation réelle, Rousseau accumule en une seule et longue phrase (1.

2-9) une série d'infinitifs décrivant des actions récemrnent accotnplies ou sur le point de l'être.

I.'infinitif, forme verbale atemporelle, colore les verbes d'une sorte d'irréalité, d'autant plus que le sujet des actions («je») est effacé.

La réalité objective, avenir inquié­ tant, est résun1ée par la proposition "c'était là ce que j'aUaisfain! », 1nais aus­ sitôt renvoyée dans le do1naine de l'hypothétique ("ce que j'aurais dû envi­ sager» -n1ais qui n'a pas été envisagé ...

).

La projection dans l'imaginaire.

La reprise de la périphrase verbale exprimant le futur proche («allait lR remplir"; «j'allais trouver»; «j'allais orrupPr») souligne, par contraste, l'imminence de l'avenir glorieux; les indices qui, au début de la rêverie, en signalent le caractère subjectif («je croyais avoir», "je croyais pouvoir») s'effacent.

La force d'attraction de la perspective in1aginaire est si puissante que le jeune hornme voit les choses déjà acquises: d'où un en1ploi de l'iinparfait qui actualise les événements conune s'ils s'étaient réellement produits par le passé (. »

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