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Livre I (Préambule, p. 43) - Confessions - Rousseau

Publié le 17/01/2022

Extrait du document

« 1. Je forme une entreprise qui n'eut jamais d'exemple et dont l'exécution n'aura point d'imitateur. Je veux montrer à mes semblables un homme dans toute la vérité de la nature ; et cet homme ce sera moi.

  1. Moi seul. Je sens mon coeur et je connais les hommes. Je ne suis fait comme aucun de ceux que j'ai vus ; j'ose croire n'être fait comme aucun de ceux qui existent. Si je ne vaux pas mieux, au moins je suis autre. Si la nature a bien ou mal fait de briser le moule dans lequel elle m' a jeté, c'est ce dont on ne peut juger qu'après m'avoir lu.

  2. Que la trompette du Jugement dernier sonne quand elle voudra ; je viendrai, ce livre à la main, me présenter devant le souverain juge. Je dirai hautement : voilà ce que j'ai fait, ce que j'ai pensé, ce que je fus. J'ai dit le bien et le mal avec la même franchise. Je n'ai rien tu de mauvais, rien ajouté de bon, et s'il m'est arrivé d'employer quelque ornement indifférent, ce n'a jamais été que pour remplir un vide occasionné par mon défaut de mémoire ; j'ai pu supposer vrai ce que je savais avoir pu l'être, jamais ce que je savais être faux. Je me suis montré tel que je fus, méprisable et vil quand je l'ai été, bon, généreux, sublime quand je l'ai été : j'ai dévoilé mon intérieur tel que tu l'as vu toi-même. Être éternel, rassemble autour de moi l'innombrable foule de mes semblables ; qu'ils écoutent mes confessions, qu'ils gémissent de mes indignités, qu'ils rougissent de mes misères. Que chacun d'eux découvre à son tour son coeur aux pieds de ton trône avec la même sincérité ; et puis qu'un seul te dise, s'il l'ose : Je fus meilleur que cet homme-là. «

Quand Rousseau, réfugié dans la principauté de Neufchâtel, commence à rédiger ses Confessions destinées à permettre au lecteur de le juger, un véritable élan le pousse vers une oeuvre de vérité. Sa ferveur exclut les longues considérations psychologiques et un court Préambule, version concentrée et agressive du Préambule du manuscrit de Neufchâtel, répond à l'exigence d'un engagement pathétique dans l'oeuvre. L'histoire d'une âme dans sa provocante singularité est proposée au lecteur.

« L'avènement de la vérité Proclamé sur un ton emphatique (« trompette du Jugement dernier », « souverain juge »), l'avènement de la véritérepose sur une présentation (« voilà ce que [...] ce que [...] ce que ») marquée par le champ lexical de latransparence (« montrer [...] dévoilé ») : l'auteur recherche une parfaite coïncidence entre l'être et le paraître : « j'ai dévoilé mon intérieur ». La revendication d'une franchise totale Contrairement aux autres hommes, Rousseau, qui n'a jamais caché ses « indignités », ignore le mensonge délibéré.Son souci de sincérité lui impose d'accorder la même importance au bien et au mal, ce que confirment de rigoureuses mises en parallèle stylistiques.

Grâce à la confession publique et générale née de cette lucidité supérieure, les hommes se découvriront eux-mêmes. Un plaidoyer Mais ce qui n'était au départ qu'une confession devient progressivement un plaidoyer.

Face à des ennemis qui sont proches et supposés bien réels, et à l'idée d'un complot* sous-jacent (« mes misères »), le texte devient unvéritable discours direct : il ne s'agit plus, pour les autres hommes, de faire une lecture qui leur permettrait deporter un jugement serein, l'oeuvre devient la pièce à conviction qui permettra de couper court à tout jugement. III - L'AMBIGUÏTÉ DE L'INTENTION Un désir de justification paradoxal Rousseau érige sa singularité en principe méthodologique.

Pourtant le besoin et le refus simultanés du jugement chezun homme certain de son innocence et hanté par le sentiment de sa culpabilité le conduisent à faire appel à sessemblables. Les autres sont d'abord invités à juger d'après l'oeuvre, puis ils sont priés de s'impliquer dans les malheurs deRousseau.

Chacun, appelé à une même transparence, s'interdira de le juger sous peine de se juger soi-même.

Lemodèle biblique du Jugement dernier est enfin invoqué, dans un défi menaçant (« Qu'un seul te dise, s'il l'ose ...

»)pour annihiler tout contradicteur.

Le transfert de la faute s'est opéré : Rousseau s'exclut d'une humanité accusée etinculpée. Une représentation fantasmatique de la confession Dans la scène finale se profile l'image d'un Rousseau provocateur et martyr, qui, avec une certaine grandiloquence,espère que le plaidoyer provoquera une salutaire contagion de sincérité chez autrui.

Mais sous couvert d'arbitragedivin, la confession devient défi et la différence s'érige en orgueilleuse supériorité.

Cependant, le mystique qu'il estprésente son ouvrage à Dieu, recours naturel, unique garant dont il n'hésite pas à faire un interlocuteur privilégié. Conclusion : L'orgueil frémissant du « Moi seul » suggère, selon Robert Osmont, « l'image du créateur qui s'isole dansson propre destin pour écrire l'histoire de son âme ».

La conscience d'une destinée exceptionnelle va de pair aveccelle de la création d'une oeuvre unique dont les mérites viennent compenser les fautes de l'homme.L'autobiographie apparaît alors comme un moyen d'autodéfense et de survie.. »

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