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L'UTOPIE EN LITTÉRATURE

Publié le 08/11/2018

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UTOPIE. Si la date de naissance du terme est précise, les étapes de son extension — qui le conduit au statut de catégorie littéraire — sont plus floues. Le mot est créé par l’Anglais Thomas More qui en fait en 1516 le titre (Utopia) de son récit d’un voyage imaginaire jusqu’à une île idéalement gouvernée. C’est en ce sens que Rabelais l’emploie dans Gargantua en 1532. Mais il faut attendre l’édition du dictionnaire de Trévoux de 1752 pour le voir lexicalisé : « Région qui n'a point de lieu, un pays imaginaire ». Peu de temps après, le Dictionnaire de l’Académie française, dans sa quatrième édition de 1762, enregistre la catégorie littéraire : « Titre d'un ouvrage. On le dit quelquefois figurément du plan d’un gouvernement imaginaire, à l’exemple de la République de Platon ». La cinquième édition en 1798 marque le succès du terme, en transformant le « quelquefois » par un « en général » : « Se dit en général d'un plan de gouvernement imaginaire, où tout est parfaitement réglé, pour le bonheur commun ». Le terme est dès lors fortement investi polémiquement et, de révolution en révolution, il se trouve lié à tous les débats idéologiques des xixc et xxe siècles. Enfin, le soulèvement de 1968 amènera le succès des études universitaires sur la littérature utopique.

 

Une définition difficile

 

Cet investissement polémique explique le nombre des interprétations contradictoires du phénomène. L'ambiguïté est initiale puisque l’étymologie grecque du titre adopté par Thomas More est Ou-topos (nulle part) ou bien Eu-topos (lieu du bonheur). L’accent est mis soit sur les valeurs, soit sur l’irréalité. L’utopie se situe sur le chemin qui mène de l’ici à Tailleurs, de la rêverie à l’action, de la littérature à la philosophie. Nombreux sont

 

les théoriciens de la vie sociale qui l’ont couplée avec une autre catégorie pour réduire son ambivalence, et la marquer d’un signe positif ou négatif. Le socialisme utopique, selon Marx et Engels qui désignent sous ce terme Fourier, Saint-Simon, Cabet..., s’oppose au socialisme scientifique, comme une pensée irréaliste et confuse s'oppose à une doctrine systématique et rigoureuse. Georges Sorel critique cette analyse, en maintenant un point de vue négatif sur l’utopie : le mythe aurait le foisonnement de l’espoir et l’utopie le fixerait, le figerait en un corps de doctrine. Karl Mannheim (Idéologie et utopie, 1930, trad. fr. 1956) et Ernst Bloch (l'Esprit de l'utopie, 1923, trad. fr. 1977) renversent la perspective : c’est l’utopie qui, chez eux, représente une vision du monde globale — par opposition à l’idéologie, réductrice — ou une charge d’espérance qui est le moteur de l’histoire. De telles hésitations terminologiques renvoient à la part respective de l’imaginaire et du réel dans la définition de l’utopie. L’attitude la plus féconde pour l'historien et le critique consiste à la penser, avec Bronislaw Baczko, comme une des formes de l’imaginaire social, une dynamique du changement social qui va de pair avec les mouvements réformateurs et révolutionnaires. Elle accompagne, plutôt qu’elle ne contredit, les efforts de connaissance positive et d’action politique efficace. La meilleure preuve s’en trouve dans les utopies réalisées, qu’il s’agisse des colonies protestantes du xvie siècle [voir Léry, Villegagnon] ou des communautés socialistes du xixe siècle, qui retournent à la littérature sous forme de mémoires, d’autobiographies des participants.

 

De l'espace à l'histoire

 

Toute utopie, comme le souligne Henri Desroche, fait appel à l’alternance (il existe un ailleurs), à l’altercation (cet ailleurs permet de critiquer l’ici) et à l’alternative (il peut devenir réalité à la place de celle que nous connaissons). Elle se caractérise donc par un Lieu et par une Loi, soit, en d’autres termes, une frontière et une règle. Le Lieu, fréquemment élu par les utopistes, est l'île, facilement circonscrite et protégée des influences délétères de l’extérieur. Peut en tenir lieu une région isolée du reste du monde par des montagnes (qu’on pense à T Eldorado de Candide) ou des déserts, quand ce n’est pas le centre de la terre ou une autre planète. Les terres australes, de Gabriel de Foigny à Rétif de La Bretonne, associent à l’insularité l'image frappante des antipodes. La Règle est le plus souvent édictée par un Père fondateur, un héros éponyme. Elle s’impose à tous sans exception et, quoique générale, elle gère la vie dans ses détails les plus quotidiens, ce qui distingue l’utopie des programmes constitutionnels et politiques. Elle ne dédaigne pas de légiférer jusqu’aux rythmes organiques et, parfois, jusqu'à la sexualité. Son mode favori est celui du cycle et de la répétition. Rares sont les utopies qui programment leur propre évolution, quantitative (par expansion ou colonisation) ou surtout qualitative (par possible transformation). Fourier s’y est essayé, mais ses disciples se sont bien gardés de le suivre sur cette voie.

 

Le genre utopique voisine donc en permanence avec les rêveries millénaristes et autres Arcadies ou Ages d’or (sans Loi précise), les voyages imaginaires (qui insistent sur l’errance plutôt que sur le Lieu), la robinsonnade (qui se limite à un seul homme ou à un groupe très restreint), le roman politique (qui, à l’exemple de Télémaque de Fénelon ou de Séthos de l’abbé Terrasson, juxtapose des formes diverses de gouvernement).

 

L’ailleurs peut être décrit dans sa différence, sans médiation, ou bien apparaître comme le terme d’un voyage ou d’une évolution. La transition est soit absente,

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