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Madame de Sévigné, Lettre du 3 février 1695 à Emmanuel de Coulanges.

Publié le 17/01/2022

Extrait du document

Mme de Chaulnes me mande que je suis trop heureuse d'être ici avec un beau soleil ; elle croit que tous nos jours sont filés d'or et de soie. Hélàs ! mon cousin, nous avons cent fois plus de froid ici qu'à Paris ; nous sommes exposés à tous les vents ; c'est le vent du midi, c'est la bise, c'est le diable, c'est à qui nous insultera ; ils se battent entre eux pour avoir l'honneur de nous renfermer dans nos chambres ; toutes nos rivières sont prises ; le Rhône, ce Rhône si furieux, n'y résiste pas ; nos écritoires sont gelés ; nos plumes ne sont plus conduites par nos doigts qui sont transis ; nous ne respirons que de la neige ; nos montagnes sont charmantes dans leur excès d'horreur ; je souhaite tous les jours un peintre pour bien représenter l'étendue de toutes ces épouvantables beautés : voilà où nous en sommes. Contez un peu cela à notre duchesse de Chaulnes, qui nous croit dans des prairies, avec des parasols, nous promenant à l'ombre des orangers. Madame de Sévigné, Lettre du 3 février 1695 à Emmanuel de Coulanges.

1. Présentation de l'extrait

  • Mme de Sévigné se trouve à Grignan, dans le sud de la France, chez sa fille, la femme du Conte de Grignan, lieutenant général de Provence. — Elle écrit à son cousin germain à propos d'une lettre qu'a envoyée Mme de Chaulnes, une amie (il s'agit de l'épouse du gouverneur de Bretagne).
  • Esquisse d'une petite société d'aristocrates, un cercle au centre duquel brille la marquise.

Elle y brille à distance par sa verve d'épistolière.

2. Annonce du plan

Rappel de la définition du mot verve : une bien curieuse étymologie ! Le mot vient du latin vervex, signifiant : tête de bélier !

La verve, c'est d'abord la fantaisie, le caprice (copra : chèvre !), et puis ajoute le dictionnaire littré : Une chaleur d'imagination qui anime le poète, l'orateur, l'artiste, dans sa composition.

Cet extrait nous donne l'illustration des deux sens du mot verve : une extrême fantaisie qui se manifeste à chaque ligne, une forte imagination qui enfièvre littéralement la marquise.

 

« II.

LA CHALEUR DE L'IMAGINATION 1.

Des images La marquise esquisse de rapides tableaux pour illustrer la situation, la rendre présente à Coulanges, mais lesmots ne sont pas assez évocateurs, il manque un peintre : « Je souhaite tous les jours un peintre pour bien représenter l'étendue de toutes ces épouvantables beautés.

» Il faut quelqu'un qui puisse rectifier par une image l'imagination de Mme de Chaulnes. 2.

L'imagination débridée Il s'agit pour la marquise de prendre le rebours de l'imagination de Mme de Chaulnes : « elle croit que tous nos jours sont filés d'or et de soie ». Elle mobilise donc toutes les ressources de son imagination pour modifier cette fausse image. Une phrase est à cet égard très significative : « Nous sommes exposés à tous les vents ; c'est le vent de midi ; c'est la bise ; c'est le diable.

» L'évocation du Mistral ne suffit pas, il faut lui adjoindre cet improbable vent du Nord, la bise, mais qui a unevaleur métonymique et représente l'hiver, enfin le vent associé à l'image du démon suscite le « c'est le diable » qui termine la série. On conçoit comment l'imagination de la marquise glisse d'un mot à l'autre, d'une évocation, d'une image à l'autrepour saisir enfin la plus intense, la plus expressive. III ELEMENTS POUR UNE CONCLUSION Donc brillante démonstration de la verve de la marquise.Toutefois, cette démonstration n'est pas au seul usage de son destinataire d'origine.

Mme de Sévignés'adresse à M.

de Coulanges, à travers lui à Mme de Chaulnes, et on l'imagine au cercle de ses amies.

De cefait, à lire une telle lettre, on a le sentiment d'assister toujours à la mise en oeuvre d'un « morceau debravoure » par lequel la marquise aime à réfléchir d'elle-même cette image de brillante femme d'esprit, àl'imagination vive. Quel que soit l'incident narré, l'objet de la lettre restera son écriture même et à travers elle la marquise en personne. Pour parodier une formule célèbre .

l'art épistolaire n'est pas autre chose que la continuation de la mondanité,mais avec d'autres moyens.. »

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