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MONTESQUIEU (Charles Louis de Secondât, baron de)

Publié le 27/01/2019

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MONTESQUIEU (Charles Louis de Secondât, baron de), écrivain et philosophe français (La Brède 1689 - Paris 1755). Issu d'un milieu aristocratique, il en défendit les valeurs avec la conviction de celui qui les vit. Mais, fier de sa généalogie, il n'en conçut pas de vanité ; c'est que, mieux que quiconque, il mesurait sa place « naturelle » dans la hiérarchie sociale. Noble de robe, il fit ses études chez les oratoriens, puis acquit une bonne formation de juriste à Bordeaux et à Paris ; mais, attaché à sa terre, il sut la mettre en valeur (« Ce qui fait que j'aime être à La Brède, c'est qu'à La Brède il me semble que mon argent est sous mes pieds »). S'il fut parisien et cosmopolite, il ne laissa pas de revenir

 

très régulièrement dans ses terres et son château. C'est là qu'il travailla, médita et trouva la sérénité et le détachement qui caractérisent son œuvre. Il mena une vie calme et équilibrée et se savait heureux.

 

Conseiller au parlement de Bordeaux, il reçoit de son oncle, en 1716, le nom de Montesquieu et une charge de président à mortier. Il conserve cette charge jusqu'en 1725. En fait, il n'aime pas la procédure dont le détail l'embarrasse. Son expérience de juriste s'ajoutera cependant à une maîtrise des réalités économiques concrètes. De 1717 à 1721, il consacre son temps à l'étude des sciences et compose divers mémoires de physique (l'Écho, 1718; le Flux et le Reflux, 1718) et de médecine (les Maladies rénales, 1718). Il écrit deux essais en 1716, la Politique des Romains dans la religion et un Système des idées. La publication, en 1721, des Lettres persanes lui apporte un succès immédiat. Il vient alors à Paris de l722 à l725 et y fera par la suite de nombreux séjours. Il fréquente la bonne société parisienne, les salons de Mme de Tencin, de Mme Geoffrin et de Mme du Deffand. Toute une partie de son œuvre porte la marque mondaine de ces salons et a, comme le dit Sainte-Beuve, « le cachet Régence » : le Temple de Gnide (1725), l'Histoire véritable et Arsace et Isménie, qui furent composées vers 1730 mais ne parurent qu'après la mort de leur auteur ; elles témoignent à la fois d'une aisance sociale et d'une finesse remarquable dans l'analyse des sentiments et, déjà, des mœurs.

 

L'autre face des activités mondaines de Montesquieu est plus grave. Il fréquente le club de l'Entresol, où il lit le Dialogue de Sylla et d'Eucrate, un texte de forme académique mais qui révèle l'intérêt du philosophe pour l'histoire et la politique. Ses amitiés dans l'entourage du Premier ministre, le duc de Bourbon, orientent sa réflexion sur la gestion des affaires publiques. Il compose des Considérations sur les richesses de l'Espagne dans lesquelles il s'essaie à l'histoire économique. En 1727, il entre à l'Acadé-mie française ; le cardinal de Fleury, jusqu'alors inquiet des audaces des Lettres persanes, avait en effet cessé de s'opposer à cette élection.

 

Montesquieu entreprend alors une série de voyages, en Allemagne, en Autriche-Hongrie, dans les États italiens, en Suisse et en Hollande (1728-29). Puis il passe en Angleterre à la suite de lord Chesterfield. Il y séjourne de 1729 à 1731. Ces années sont décisives dans la formation intellectuelle de l'auteur de l'Esprit des lois. Ses journaux de voyage révèlent un esprit d'une immense curiosité. Il s'intéresse à tout, géographie, économie, mœurs, usages politiques, richesses artistiques. Cette observation fait de lui le plus réellement cosmopolite des philosophes de son temps. De 1731 à 1748, il travaille à l'Esprit des lois (1748), qui sera l'œuvre de sa vie. Il en publie séparément un chapitre, digression devenue un livre autonome, les Considérations sur les causes de la grandeur des Romains et de leur décadence (1734). L 'Esprit des lois rencontre un succès immense, mais est attaqué à la fois par les jésuites et par les jansénistes : Montesquieu leur répond avec vigueur dans la Défense de 1'Esprit des lois (1750). Il compose encore deux ouvrages, Lysimaque (1754) et, pour l'Encyclopédie, à laquelle il apporte ainsi son soutien, l'Essai sur le goût, qui ne paraîtra qu'en 1756, après sa mort.

 

Malgré l'ampleur et la qualité de son expérience, Montesquieu ne participa jamais directement à la gestion des affaires. Il avait pensé demander un poste dans la diplomatie mais ne s'y décida pas. Il s'en repentit lorsqu'il vit Belle-Isle engager la France dans la guerre de la Succession d'Autriche. Il jugea avec perspicacité la politique de son temps : l'absolutisme et le faste de Louis XIV, le système de Law, la politique du cardinal Dubois trouvèrent en lui un censeur sévère. Mais son génie exigeant avait besoin du calme de La Brède et des ressources de sa bibliothèque ; c'est à la retraite et à l'étude que l'on doit l'Esprit des lois.

 

Le détachement est chez lui une ascèse ; c'est le fondement même de sa méthode. Dès les Lettres persanes, un

 

procédé littéraire lui assure le recul du regard. Dans ce roman par lettres, l'extériorité du narrateur persan et la naïveté feinte donnent à l'image de la société française le statut d'objet sociologique. Le Persan découvre Paris comme un sociologue ou un ethnologue modernes une société amérindienne. Certes, l'ouvrage est une satire comme beaucoup d'autres en cette première moitié du siècle. Montesquieu se situe dans la tradition de La Bruyère. Mais cette ironie et cette mise à distance (qui seront plus tard chez Voltaire des armes si redoutables) ont valeur de révolution copemicienne. « C'est, note Roger Cail-lois, vraiment enseigner à se désolidariser d'une société que de provoquer l'intelligence à se surprendre de toutes choses discrètes qui en maintiennent la cohésion et qui, de cette tâche, s'acquittent d'autant mieux qu'on les connaît moins. » Le procédé sent le fagot ; aussi Montesquieu ne se contente-t-il pas de montrer les ridicules de la mode, des discussions littéraires, de la vie mondaine. La chaîne est continue, qui de ces usages rejoint ceux de la politique et de la religion. Le roi et le pape ne pouvaient être épargnés. Ces solidarités secrètes perçues par un esprit ironique sont encore analysées à travers un autre recul, celui de l'utopie. Ce « genre » fort répandu depuis Thomas More permet à Montesquieu dans son histoire du peuple troglodyte (lettres XI à XIV) d'analyser déjà les relations qui unissent les mœurs d'un État à son régime politique. Dès les Lettres persanes, Montesquieu a découvert la valeur heuristique de cet excen-trement du regard qui fonde la valeur scientifique de l'Esprit des lois.

 

Il y a, dans ce livre, une réelle rupture avec la réflexion de ses prédécesseurs, Hobbes, Spinoza ou Grotius. S'il a en commun avec eux, note Althusser, le projet d'édifier la science politique, cette science ne cherche pas à définir la société en général, mais les sociétés concrètes de l'histoire. Aussi n'a-t-il pas pour but de « saisir des essences, mais découvrir des lois ». Écartant toute référence à la notion de « contrat social », Montesquieu, dans le même temps qu'il se débarrasse de la problématique des origines, se trouve libre de s'occuper des faits. Certes, son information historique, si vaste qu'elle fût, laisse à désirer. Elle est surtout livresque et souvent peu critique. Mais une méthode est née qui n'abandonne l'histoire ni au hasard ni à la Providence. Loin de fonder le droit d'une société future, il ne s'intéresse qu'aux lois (scientifiques) qui expliquent les lois (celles du droit). Il rapporte les trois types de gouvernement qu'il aperçoit (républicain, monarchique, despotique) à leur « principe » respectif (la vertu, l'honneur, la crainte). C'est dire qu'il lie la forme du gouvernement au fonctionnement de la société civile. Il ne néglige pas les autres instances déterminantes concrètes, conditions géographiques ou climatiques : les minuscules Etats antiques sont plus facilement républicains ; le despotisme sévit dans les immenses empires orientaux.

 

L'objectivité ne met pas à l'abri du « parti pris », et celui de Montesquieu est fort lisible. Ce gentilhomme est favorable à la monarchie ; du moins à une monarchie qui laisse un pouvoir à la noblesse. Voilà pourquoi il condamne la dérive absolutiste du pouvoir royal français et prend parti pour les « germanistes » (Saint-Simon, Boulainvillers) dans la querelle qui les oppose aux « romanistes » (Du Bos) à propos des origines de la royauté en France. Voilà pourquoi il est attaché à des « pouvoirs intermédiaires » qui protègent les nobles du roi et du peuple tout à la fois. Mais cette « position », réactionnaire au sens premier du terme, n'emporte pas tout. Montesquieu plaide pour une « société douce », maintenue en équilibre par la combinaison des pouvoirs. La contestation doit être constitutionnelle. Le meilleur garant de « la liberté », ce sont les libertés, les droits des individus et des groupes (« Il faut que par la disposition des choses, le pouvoir arrête le pouvoir »). Montesquieu condamne l'inquisition, l'esclavage, mais il reste étranger au pathétique de l'Histoire, il maintient la passion à l'extérieur de son être (il sera ainsi un romancier inabouti) et ne comprend la « vertu générale » et

 

l'« amour de tous » que dans l'effort pour « instruire les hommes ». Cette lucidité et cette exigence, exemptes de la sentimentalité qui allait triompher à la fin du siècle, font ainsi de sa réflexion politique une œuvre « non seulement libérale, mais libératrice ».

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