RABELAIS ARTISTE

« LA LIGNÉE DE RABELAIS Rabelais illustre une tradition gauloise qui, néeau Moyen Age avec les fabliaux, se prolongera au XVIIe siècle dans l'oeuvre de Molière.

Plusieurs écrivains de sontemps ont subi profondément son influence : parmi eux, Noël du Fail (1520-1591), auteur de contes savoureux parleur pittoresque; et Béroalde de Verville (1558-après 1623), qui, dans l'étrange fatras intitulé Le Moyen de parvenir,témoigne parfois d'une verve digne de son modèle. RABELAIS PHILOSOPHE ou LA PHILOSOPHIE DE RABELAIS Rabelais se complaît souvent sans arrière-pensée dans la mystification; et il aime conter pour le seul plaisir deconter.

Pourtant, sous un déguisement burlesque, il a voulu exprimer des idées : lui-même a comparé son Gargantuaà un os qu'il faut rompre pour y trouver la moelle.

RABELAIS ET LES ANCIENS La foi superstitieuse dans les textes anciens est le caractère le plus frappant de la pensée rabelaisienne.Comme tous les adeptes de l'esprit nouveau, Rabelais a dit aux éducateurs : laissez les commentaires, les extraits,les grammaires, revenez aux textes; il a dit aux gens de lois : laissez les glossateurs du Moyen Age, revenez aux loisromaines ; il a dit aux chrétiens : passez-vous des dogmes impérieux, des cérémonies vaines, lisez l'Évangile.

Lui-même est avant tout un curieux et un érudit; comme tous ceux qu'enflamme une conviction, il voudrait fairepartager à tous les voluptés qu'il a connues en étudiant : c'est pourquoi l'éducation intellectuelle de Gargantuaconsiste à plonger le jeune géant dans l'étude des textes anciens; et Pantagruel doit devenir « un abîme de science». RABELAIS ET LA NATURE Si Rabelais admire la science antique, c'est parce que les savants grecs et latins ont observé la nature.

Le MoyenAge s'était épuisé dans un grand effort métaphysique.

Rabelais, lui, condamne les constructions ambitieuses etredoute les formules creuses : passionné de médecine et de botanique, il a aimé, il a admiré les choses.

Son oeuvrefourmille de remarques sur des phénomènes multiples du monde matériel et du monde vivant.De "même, si Rabelais admire la sagesse antique, c'est parce qu'elle est demeurée à l'école de la nature.

Il estchrétien, sans doute : comme ses héros, il lisait l'Évangile et, à l'occasion, chantait des psaumes.

Mais il n'a pasl'âme religieuse, et il condamne l'ascétisme, qui, en brimant la nature, mutile la vie.

Les moines de l'abbaye deThélème développent librement en eux toutes les énergies : ils sont guidés par leur instinct et par leur raison.

Cettemorale n'est pas exempte de discipline, et le« Fais ce que voudras» des Thélémites s'adresse à des esprits déjàformés; mais c'est la discipline que le jardinier impose à l'arbre quand il l'émonde pour le faire mieux épanouir :Gargantua se lève à quatre heures du matin, déjeune légèrement, exerce son corps et son esprit, afin de jouir aumaximum des biens terrestres.

Parti comme Calvin de l'étude des textes originaux, Rabelais se retrouve auxantipodes du grand réformateur : l'un est tout au mépris de la terre, l'autre tout à l'amour de la terre.Nous trouvons donc l'unité de la pensée rabelaisienne, à travers tant de fictions et de plaisanteries éparses, dansune disposition profonde à se contenter de la nature sensible et à l'aimer.. »