Devoir de Philosophie

Racine écrit, en 1893, à un membre de l'Académie française pour lui recommander la candidature de La Bruyère.

Publié le 09/02/2012

Extrait du document

racine

 

Monsieur et cher Confrère,

Un commun ami vient de me faire une étrange confidence, Vous vous proposeriez, paraît-il, lors de la prochaine élection académique, de refuser votre voix à M. de La Bruyère? La nouvelle, je vous l'avoue, m'étonne et me contriste. Dès longtemps je connais votre goût sûr, votre humeur indépendante, aussi cette décision me paraît-elle inexplicable. Aurait-on surpris votre bonne foi ? Messieurs de la cabale vous auraient-ils circonvenu en votre lointaine retraite ? Auraient-ils abusé de l'heureuse ignorance en laquelle vous demeurez volontiers à l'égard des intrigues de la Capitale ?

racine

« du livre calomniateur.

Plusieurs fois il a été menacé de la bastonnade et c'est miracle qu'il y ait échappé.

Pour moi, je ne découvre aucune raison plausible de ne pas croire l'au­ teur.

Il affirme n'avoir point voulu représenter tel ou tel de ces contem­ porains en particulier, mais seulement des types généraux.

Je me range volontiers à cet avis, après une sérieuse confrontation des portraits et des originaux qu'ils seraient censés représenter.

S'il n'y avait nulle ressem­ blance, c'est que M.

de La Bruyère n'aurait pas emprunté ses observations à la vie réelle et n'aurait peint que des êtres imaginaires.

Il s'eu défend dès le début de sa préface : «Je rends, dit-il, au public ce qu'il m'a prêté.» Mais bien que ses caractères soient pris du vrai, aucun n'offre une ressem-· blance complète.

Il est aisé de découvrir la manière dont .ils sont com­ ~osés.

Ils sont faits - sauf quelques-uns qui ne renferment guère que des eloges - de traits, empruntés à de nombreux individus, patiemment collec­ tionnés, et réunis sur un même visage, afin que le vice, le travers, le ridi­ cule visés par le moraliste apparais&ent plus frappants.

Jusqu'à preuve du contraire, je me range à cette opinion raisonnable, qui est la justification de l'auteur.

Vous eu seriez-vous doue laissé imposer par les noms et par le nombre des ennemis du candidat? Je ne dis pas par les mérites de ses obscurs concurrents : ils sont inexistants.

Mais la notoriété d'un Ch.

Perrault, d'un Thomas Corneille, et même d'un Fontenelle, la foule des partisans des « modernes », · le clau considérable des «Normands », l'impressionnante clientèle du Mercure Galant, sont de nature à ébranler un provincial mal informé.

Deux fois déjà ils out fait échouer M.

de La Bruyere et actuelle­ meut ils exploitent maliguement les critiques auxquelles j'ai déjà répondu.

Croyez-m'eu, ces gens ne sont point désintéressés; les uns sont poussés par une basse jalousie, les autres par un esprit de.

vengeance qui ne les honore pas davantage.

Permettez-moi de leur opposer les amis de l'accusé.

Moins nombreux, ils sont de qualité, totalement désintéressés et pensent que, l'homme valant l'œuvre, M.

de La Bruyère remplacera avantageusement M.

Cure~u de la Chambre.

Vous les nommerai-je? Le nom seul de M.

de Meaux vous serait une garantie suffisante.

L'autorité de ce prélat, dont la science, la vertu, le talent, l'amour pour les belles-lettres sont .connus 'de tous, devrait lever les scrupules des hésitants.

M.

Despréaux, dont le goût si sûr, le jugement infaillible s'imposent de plus en plus, s'est rangé au côté de M.

Bossuet lors des précédentes élections.

Le comte de Bussy-Rabutiu, qui vient de mourir, et dont les avis étaient si appréciés, lui témoignait publiquement son admiration; il allait même jusqu'à lui écrire au lendemain de l'élec­ tion de l'obscur Pavillon : «Pour moi je vous trouve digue de l'estime de tout le monde », et il regrettait sincèrement cet échec immérité.

Ajouterai­ je que le grand Condé était plein d'estime pour le précepteur de sou petit­ fils et que les Pouchartrain -encore que le peintre des Caractères n'ait point flatté les geus de finance ....::....

vont pour lui jusqu'à la vénération? ...

Une J?réseutatiou du livre et de sou auteur, tels que je les ai pu voir et apprecier, corroborant ces illustres témoignages, achèvera, je pense, de vous convaincre et assurera votre voix à l'honorable candidat.

Le livre, il faut bien le reconnaître, n'est point « composé » ; il ne vous emporte pas d'un mouvement continu et régulier jusqu'à ses conclusions.

Aussi ne faut-il pas l'avaler tout d'un trait mais le digérer lentement et à petites doses.

J'eu ai fait un de mes livres de chevet.

Je l'ai là, sur ma table, et je l'ouvre de temps à autre.

Chaque fois c'est une découverte, un enchantement.

Combien grossier et imparfait nous apparaît Théophraste eu comparaison de sou trop modeste traducteur! Adversaire des « mo­ dernes », M.

de La Bruyère semble leur donner raison par la perfection de sou ouvrage; il se garde pourtant d'imiter « ces enfants drus et forts d'un bou lait qui battent leur nourrice »; il s'avoue l'élève et le débiteur de l'antiquité.

La solidité du fond n'a d'égale eu sou livre que l'élégance et la variété de la forme.

Ses peintures fidèles évoquent tour à tour à mes yeux la cour, la ville, la province.

Sous la conduite de ce guide avisé, je me rends d'un salon à l'église, du théâtre à la promenade; je parcours les rues et je pénètre dans les maisons.

Avec lui je détaille celui-ci des pieds. »

↓↓↓ APERÇU DU DOCUMENT ↓↓↓

Liens utiles