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SCÈVE Maurice: critique et analyse de l'oeuve

Publié le 13/10/2018

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SCÈVE Maurice (vers 15007-1560?). Le représentant le plus considérable de ce que l’on a appelé l'« École lyonnaise » [voir École lyonnaise] connut, de son vivant déjà, une réputation d’hermétisme, qui, après l’avoir fait dédaigner, l’a paradoxalement servi. Replacé aujourd’hui à mi-chemin entre Lycophron et Mallarmé, ce poète de l’obscurité apparaît comme le chantre de la « poésie pure », anticipant de plus de trois siècles les voies ouvertes par le symbolisme. C’est à son extrême concision et à la densité de son verbe que Scève doit cette singulière résurrection qui a permis à nombre d’auteurs contemporains de se reconnaître en lui — non sans graves malentendus parfois. Un tel raccourci chronologique va en effet de pair avec une certaine méconnaissance de l’œuvre, l’une des plus complexes que la Renaissance ait produites. La célèbre Délie en représente sans doute la pièce maîtresse, mais l’églogue de la Saulsaye et le poème scientifique du Microcosme ne sont guère moins novateurs dans cet intervalle ouvert entre la Grande Rhétorique [voir Rhétoriqueurs (grands)] et l’école de la Pléiade [voir Pléiade], que l’« Apollon lyonnais » suffit à remplir.

Épris de solitude et préférant à la vie active la vie contemplative, comme il le proclamera plus tard dans la Saulsaye, Scève ne s’est mêlé que par intermittence à ses contemporains. D’où l’ombre qui entoure par exemple la date de sa naissance et celle de sa mort. Né sans doute avec le siècle, il est issu d’une riche famille de notables cultivés, lyonnaise de vieille souche. Pourvu d’une solide éducation, où la scolastique s’allie au néoplatonisme venu d’Italie, il sait le grec, le latin, l’italien et l’espagnol. Le premier événement intellectuel de son existence est l’identification qu’il croit avoir faite en 1533 du tombeau de la Laure de Pétrarque, dans une chapelle de l’église des frères mineurs d’Avignon. Cette trouvaille des plus suspectes, qui, sur le moment, ne suffit pas à le faire reconnaître, vaut surtout comme le signe d’un engagement au service de la poésie nouvelle. Mais on observe bien des flottements dans les débuts de sa carrière d’écrivain. Œuvre de commande peut-être suscitée par un libraire-éditeur, la Deplourable Fin de Flamecte (1535) n’est qu’une traduction lourde et amphigourique du roman de Juan de Flores, lui-même inspiré de la célèbre Fiammetta de Boccace. Les Blasons de 1536 (« le Sourcil » et « la Larme ») et de 1539 (« le Front », « la Gorge », « le Soupir ») se rattachent à la tradition des Grands Rhétoriqueurs, et « le Sourcil » a même l’honneur d’être distingué par la duchesse Renée de Ferrare, alors la protectrice de Clément Marot. En 1536, sur l’invitation d’Étienne Dolet qui encourageait ses débuts littéraires, Scève prend une part importante au tombeau poétique que l’on dresse pour le dauphin François, et il compose à cette occasion plusieurs pièces latines et françaises, dont l’ample églogue d’« Arion ».

 

La Deplourable Fin de Flamecte. — Le Breve Tractâdo de Grimalte y Gradissa (vers 1497) de ('Espagnol Juan de Flores, dont Scève publie la traduction en 1535, n'est que l'une des nombreuses suites inspirées par la Fiammetta de Boccace. L'«élégie» romanesque de Fiammetta, femme mariée séduite et abandonnée, qui chante longuement un amour malheureux mais toujours vivace, laissait une conclusion ouverte. Juan de Flores, après bien d'autres, avait saisi cette occasion pour conter, en la compliquant de maintes péripéties, la mort de l'héroïne. La version que donne Scève de cette séquelle combine, comme son modèle, le roman par lettres au roman-confession. Grimalte a été chargé par sa dame Gradisse de ramener l'inconstant Pamphile auprès de Flamecte. Malgré son dévouement, la quête de Grimalte échoue, et Flamecte meurt de chagrin.

 

Le coupable doit être puni selon la volonté de Gradisse, qui lance à nouveau Grimalte jusqu'aux extrémités de la terre. Grimalte finit par rejoindre Pamphile, qui est devenu entretemps un « homme sauvage », nu, hirsute et pleurant de douleur au milieu des bois. Grimalte, assiégé par les mêmes funèbres visions que Pamphile, décide de partager

« le purgatoire de celui -cl et renonce à venir rend re compt e de sa mission .

Ce roman embrouille e t fert ile en incohé rences n' est pourtant pas sans Intérêt.

D'abord parce qu'il esquisse .

à l'opposé de l'amour courtois.

un no uvel art d'aimer.

exal­ tan t la vengeance et le don juanisme (Pamphile): ensu ite parce qu'on y trouve déjà, épars e et surpre nante.

la frappe scévienne de quelques vers de Délie.

Mais c'est e n marge de ces œuvres de circo nstanc e q ue se développe son véritable itinéraire de créate ur.

Vers 1536, il s'est épris de Pernett e du Guille t, qui sera à La fois sa Délie, « objet de plus haute vertu », el « Bel ­ tine la fière», c ru elle amante q ui se dérobe à ses avances .

Mariée en 1537, elle inspire à Scève ce grand poème de l'absence que composent les 449 dizain s de la Délie (1544).

La mort de Pern e tte l'année suivante entraîne, semble -t-il, une retraite prolongée de Scève à l'Ile­ Barbe, au confluent de la Saône et du Rhône, d'où il rapporte en 1547 un éloge limpide de la vie con templa­ tive , la Saulsa ye (ou « Saulaie >> ).

Retourné temporaire­ men t à la ville et à la vie active, il organise en 1548 l'entrée solennelle du roi Henri ll à Lyon.

A partir de cette date, il se co nsacre en solitaire à la rédaction des trois livres de Microcosme, qui paraîtra en 1562, alors q ue la discrèt e présence du poète s'est peut ~être déjà reti rée.

Les gamme s : le Petit Œuvre , les Bl asons Tout comme J'assez pâle traduction de Flamecce, le Petit Œuvre d'amour et gaige d'amytié, p u bl ié anonyme­ ment en 1538, ne laisse guère présager les réussites futu­ res de Scève, si toutefois ce recuei l hétéroclite , où sévis ­ sent dans leur plus folle ardeur les « Cupido ns et Vénus» , est bien de lui.

Il est probable que les « éco liè ­ res » du poète , Françoise Péchaud, la compagne char­ nelle, et Pernette du Guillet, l a sœur d'él ect ion, ont co lla ­ boré à cette suite d'épigrammes, d'épîtres et d'élégies qu i son t parfois le simple décalque de pièces empruntées à J'Anthologie g recque.

La gauche âp reté avec laquelle est ren du e la grâce un peu mièv re de 1' orig in al annonce pourtant la contentio n des dizains de la Délie.

Cet «œu vre » initial- au sens alèhimique du terme - aura du moins permis à Scève de pétrir une mati èr e, moi n s pétrarquiste que classique , dont il tirera 1' or de ses pro­ ductions futur es.

D 'une plus grande perfection formelle, mais relevant d'u n genre plus évidemment «méd iéval», les Blason s de Maurice Scève réalisent la paradoxale prouesse d'in­ troduire la sentimentalité pré cieuse dans une veine ordi­ nairement illustrée par des évocations an atomiques pré­ cises et triviales.

L'in ven taire du cor ps féminin s'édulcore ici jusqu'à l'abstraction.

Non seulement Scève a choisi ses suje ts parmi les moins physiques - mi s à part la gorge, encore qu'elle évoque à ses yeux plut ôt un bouclier ou un reliquaire que des appas très co ncrets -, mais il tisse sans cesse ce lien symbolique par lequel le «petit monde» du corps féminin est tout à la fois 1' image et la condensation de 1 'unjver s créé.

« Expliquer» la bien-aimée en en épelant une à une les grâces, c'es t déjà, comme dans la Délie, décri r e les cer ­ cles concentriqu e s qui fon t coï ncider, par élargissements successifs, la célébration de l'amo ur profane et la com­ préhension du grand Tout.

Par là même, ces blasons de factu re discrètement archâique peuvent apparaître, à l'instar du «Fro nt », comme la «tabl e d'attente» où vo nt s'écrire de plus hauts desse ins.

Dans le détail du ve rs , Scève a opéré une sorte de déca ntation des procédés de la Grande Rhétorique .

Sans dout e les équivoq ues et les ~~a llusions » verbales lui res­ tent -elles chères :le sourcil est un «sous-ciel»; les seins où tombe la > qu'est co nstruite l'églogue mari n e d'« Arion» (1536), tandis que, par un e allu s ion parallèle, Je nom de Montecuculli,l'assassin présumé du fils aîné de Franç ois 1"', donne naissance a u « croco­ dile», enn emi mortel, comme l'on sait, du cétacé.

Cette attention portée au matériau verbal éloigne pourtant Scève des Rhétoriqueurs, dans la mesure où le jeu perd de sa gratuité, pour épouser, à force d 'exactitude et de concision, le mouve ment même de la pensée, ce « curieux.

désir» de la connaissance h umaine.

L'évidence de la D élie La Délie, qui inaugure en France la mode des Canzo­ nieri pétrarquistes et prépare son apogée avec la Pléiade , a va lu à Scève une réputation d'he rmétisme fort exagé~ rée.

On est allé jusqu'à voir dans le chiffre 449, qui est Je nombre total des dizains, u ne formule cabalistique.

La présence d'emblèmes figurés à l'ouvertur e de chaque «neuva ine» de dizains dans l'édition originale de 1 544 a suscité égalem ent les hypothèses les p lus extravagan­ tes.

Cette disposition, au dem eura nt, n'est pas fortuite: chaq ue série de neuf piè ces développe un th ème et ses variantes secondair es, et le médaillon qui 1' introduit fournit une sentence, dont le dizain qui suit constitue la glose, filée dans le sen s de l'ér otiq ue pétrarqu iste.

L 'inclusion de ces emblème s que Scève a trouvés ail­ leurs, en particulier dans le recu eil de Gilles Corrozet , indique la persistance de l'allégorisme des rhétoriqueurs.

Dans un livre qui fait alterner la g ravure et le texte, les emblèmes remplissent à proprement parl er la fonction de lieux communs : images connu es, sentences figées, que la trajectoire solitaire du chantre de Délie réinvestit d'un sen s personnel.

C'est peut-être ici le point par lequel ce canzoniere se rattac he le plus à l a tradition antique et médiévale des Arts de mémoire , listes de concepts mis en peinture ou en théâtre , à une double fin pédagogique et poétique.

Mais un tel catalogue d'emb lèmes demeure en quelque sorte extérieur au dess in propre du poème.

Ponctuée de ces cinquante image s emb lématiques, la chaîne de dizains ne compose pas véritablement une suite de chapitres .

Elle n'obéit pas non plus à une pro ­ gression linéaire, même si la naissa n ce de l'a mour , son déve loppement contrasté de lie sse et de lannes, sa conc lusion da ns la mort et l'espoir d'immortalité repré ~ sentent les trois moments d'une aventure tout autant spi­ rituelle qu'amoure use.

Délie n'est donc ni le roman d'une passion malheureuse et sublimée, ni même la mon ­ tée vers la lum ière d'une âme peu à peu dégagée des erreurs d'un dés ir trop mortel.

Le s Cupidons et Vénus, bruta lement co ngédiés dès la dédicace, reviennent à la charge et menacent jusque dan s la derniè re ne uv aine l'accompl issement d u Grand Œuv re.

La signif ication globale du poème est à rechercher, en fait, dans chacune des 449 unités qui le composent.

Les dix vers décasylla­ biques y tracent J 'exac te mesur e d'un carré où s'inscrit, sous la forme d'un trajet circulaire , la totali té contradic­ toire d 'une expérience.

Etc' est cette répétition inlassable de l'unité d u dizain qui fonde la seule véritable structure de la Délie.

Pétra rque , Platon et Sannazar Mis à part l'imitation bien marquée de l'Anthologie grecque, Délie est née de la cont1uence contradictoire du pétrarquisme èt du néo-pla tonisme.

Art de cour et technique amoureuse, le pétrarquisme enveloppç d'une galanterie décente les combars doux -amers d'Eros.

n s'accompagne de conflits toujours r e n ouvelés et se nour­ rit volontiers d'une piqua nte jalousie.

A J'inverse, le platonisme, qui pose la soumission de l'amant à l'a im ée en tant qu'image de l'idée de beauté, implique une corn-. »

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