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SCIENCE-FICTION ou S.F.

Publié le 13/10/2018

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SCIENCE-FICTION ou S.F. Définir la science-fiction, c’est un peu se définir soi-même, montrer qu’on a l’imagination large ou modeste, raisonnable ou provocatrice. Il y a là un exercice de style qui se pratique beaucoup, le plus souvent sur un mode polémique : la S.F. est-elle un genre à part ou simplement un décor? Est-elle une attitude d’esprit ou bien carrément une « littérature différente » (Jacques Bergier), une antilittérature comme il existe une antimatière? Science-Fiction : le terme lui-même vient des États-Unis, où Hugo Gernsback l’a inventé à la fin des années 20. Gernsback a beau être un « fan » de Jules Verne, la S.F., c’est donc d’abord cette production américaine qui débarque en France avec les G.I.s, le jazz et le Coca-Cola. On l’accueille alors comme une littérature un peu exotique, comme l’expression naturelle d’une civilisation « machinomaniaque ». Implicitement, le raisonnement est en effet le suivant : 1) puisque l’appellation est américaine, le produit Fest aussi; 2) puisque la S.F. ne peut être qu’américaine, elle est évidemment naïve, spectaculaire et « puérile », c’est-à-dire conforme à nos préjugés sur les États-Unis.

 

En fait, cette « définition » de la S.F. est confortée par l’idée qu’on se fait en France du grand auteur français d’anticipation : Jules Verne. Or celui-ci a écrit des livres « pour enfants »; la science-fiction est par conséquent de F infra-littérature, ou, en tout cas, une littérature marginale et dont il y a lieu de sourire.

 

Tout se passe donc comme si l’existence de la S.F. constituait pour les Français, raisonnables et raisonneurs, une sorte de problème métaphysique : chacun y répond à sa manière en choisissant parmi les trois réactions possibles que signale G. Klein {Europe, n° 580-581) : 1) la S.F. n’existe pas, ou alors elle va disparaître (discours paléocritique); 2) la S.F. existe, mais son statut est inférieur, elle ne peut accéder à la pleine dignité littéraire (discours universitaire); 3) la S.F. n’existe pas pour la bonne raison que la « bonne » S.F. fait partie de la « bonne » et « vraie » littérature (discours néo-critique).

 

Inclusion ou exclusion, égalité ou hiérarchie, une bonne part de la critique sur la S.F. se débat dans cette scolastique. La S.F. retrouve en définitive, dans ses rapports avec « la » littérature, l’un des éléments essentiels de sa thématique : l’altérité — avec cette différence que, cette fois, c’est elle l’extraterrestre.

 

La fiction

 

On peut cependant poser la question autrement : parmi toutes les fictions, pourquoi ne pas considérer comme

« « S.F.

» celles qui posséderont ce côté «conjectural» cher à P.

Versins? On retrouverait ainsi le« roman d'hy­ pothèse» de Maurice Renard (cf.

Van Herp, Panorama de la S.F.) ou cette «spéculative-fiction» qui, avec les mêmes initiales, a l'avantage d'élargir le genre, le domaine.

Tout lecteur de S.F.

accepte en effet un contrat : celui de croire- et sans l'hésitation, peut-être, qu'on trouve dans le fantastique [voir FANTASTIQUE]- à ce qui n'existe pas, à une fiction.

Le mot, d'ailleurs, semble assez riche pour se suffire à lui-même (et consti­ tue le titre de la revue de S.F.

française la plus célèbre).

Ne peut-on voir alors dans la S.F.

la fiction littéraire la plus franche, la plus «pure », celle qui manifeste le mieux que la littérature n'est pas la réalité (même si elle en parle)? Il y a bien des exemples de cette fonction qui fait de tout auteur S.F.

un avant-gardiste sans le savoir et inversement : Rabelais, Cyrano de Bergerac, Fourier, Raymond Roussel ou les écrivains du« nouveau roman» (cf.

la Vie sur Epsilon de Claude Ollier) inventent des sociétés et des mondes, ils inventent en même temps de nouvelles façons de penser et d'écrire.

Si l'on accepte une telle définition de la S.F., on peut alors lui construire une riche et belle histoire, qui se confond presque avec celle des livres d'imagination : après tout, l'utopie et le voyage imaginaire sont aussi anciens que la littérature elle-même [voir UTOPIE, VOYAGE IMAGINAIRE].

La voca­ tion première de la S.F.

semble en effet de nous faire découvrir les doux pays de la Différence.

Sur ce point, la «francité» bien douteuse de la S.F.

française consis­ terait peut-être dans ses ambitions idéologico­ pédagogiques.

Apparemment, il y a toujours une leçon à tirer de ces périples initiatiques : une critique, un modèle, un secret, une philosophie trop intelligente pour être confiée à des livres de philosophie.

Cette S.F.

ne se prend pas toujours au sérieux; elle ne s'abstient ni de la machinerie pseudo­ scientifique (l'icosaèdre de Cyrano) ni du délire (voir certains textes de Restif de La Bretonne ou de Fourier), mais ce délire a une logique et des objectifs «politiques ».

Aimez-vous l'utopie? On en a mis partout, dans toutes ces sociétés idéales, terres australes et îles fortunées qui prolifèrent dès le XVIe siècle.

Culminant avec la première collection de « S.F.

» (les Voyages imaginaires, songes, visions et romans cabalistiques parus très logiquement de 1787 à 1789!), il y a là un vrai travail d'innovation, une sorte de laboratoire où l'on fabrique les sociétés futures : la S.F.

comme littérature révolutionnaire? La science La S.F., cependant, n'est pas que fiction, elle est aussi science : quelle importance accorder à ce premier terme qui restreint la définition du genre, à la fois dans le temps et dans l'espace littéraire? Dans le temps d'abord, puisque l'apparition véritable et massive de la machine­ rie scientifique date en gros du XIXe siècle.

Ensuite dans l'espace, puisqu'un tel critère élimine de la S.F.

pure et dure toute une catégorie de livres aux procédés moins voyants, mais peut-être plus subtils.

Le statut de cette science semble d'ailleurs bien varia­ ble, puisqu'on passe, face à elle, de la foi la plus pro­ fonde (voir certains textes scientistes du XIXe siècle) à l'hostilité déclarée (par exemple, chez certains écrivains de l'ex-nouvelle S.F.

française, héritiers d~ mai 68 et situés dans la mouvance écologiste).

De quelle science, au fond, parle-t-on? De la science réelle ou, au moins, envisageable (en vrac, depuis un siècle, le sous-marin, l'avion, le radar, les fusées, les bombes nucléaires, le laser et les manipulations généti­ ques) - ou alors de la science plus ou moins rêvée et magique (les voyages dans le temps)? En fait, la science de la S.F.

n'est pas la science des savants, même s'il y a eu des savants qui ont écrit de la S.F.

: par la force des choses, c'est une science très littéraire et qui répond à des nécessités d'écriture.

Elle est à la fois le prétexte et la justification de la conjecture: le prétexte, parce que certaines de ses réalisations sont suffisamment merveilleuses pour nous permettre de rêver; la justification, parce qu'elle authentifie ce rêve, ou, du moins, lui donne de la crédibilité.

C'est bien ce qui se passe au XIXe siècle : l'écrivain de S.F., après avoir voyagé et refait le monde, invente des machines capables, éventuellement, de reprendre en compte les thèmes antérieurs, d'explorer le temps et l'es­ pace ou d'assumer l'histoire.

Voici venu en effet l'âge scientiste, avec les rêves de Camille Flammarion et le sérieux de Jules Verne.

Hugo lui-même est dans le ton et l'on découvre dans la Légende des siècles cet ...

inexprimable et surprenant vaisseau Globe comme le monde, et comme l'aigle oiseau; C'est un navire en marche.

Où? Dans l'éther sublime! La science ou la pseudo-science se constituent en métaphysique et le capitaine Némo, Robur le csmquérant (créations de Jules Verne) ou Edison (voir l'Eve future de Villiers de L'Isle-Adam) deviennent les mages de la nouvelle foi.

La science nous fournissait du merveilleux réel, nous lui en attribuons de l'irréel, avec enthousiasme.

L'anticipation D'où, évidemment, les débats assez pauvres sur la capacité de la S.F.

à deviner, à prédire l'avenir.

L' Améri­ cain qui a parlé de la bombe nucléaire un an avant Hiroshima ne l'a pas plus inventée que Jules Verne n'a inventé l'hélicoptère.

Ces coïncidences, ces prophéties scientifiques, spectaculaires mais isolées, sont peut-être moins intéressantes que certaines anticipations sur les modes de vie, les cultures ou les cadres politiques.

Plus que le terme de science-fiction, ou même d'anticipation, il faudrait alors employer celui de littérature prospective, établissant les scénarios du possible, de l'impossible, du prévisible et du probable; parlant au lecteur, implicite­ ment ou explicitement, de sa condition, de ses désirs et de ses craintes, de son présent ou de son avenir à lui.

L'important, ici, n'est pas de prophétiser juste (c'est rarement le cas, et les textes semblent, a posteriori, bien naïfs), mais d'inventer et de travailler notre réalité.

Cette ambition-là n'est pas nouvelle : c'est celle de l'utopie, modèle à imiter ou à fuir; c'est celle de Jules Verne dans les Cinq Cents Millions de la Bégum, oppo­ sant Stahlstadt, projection systématisée (et allemande) de la cité industrielle, à France- Ville, où règnent, bien sûr, l'hygiène et la santé! Plus près de nous, c'est enfin celle de la S.F.

française des années 70, dénonçant les pollutions qui nous empoisonnent et les dictatures qui nous guettent, sur terre.

La S.F.

n'est donc pas qu'une littérature d'évasion ou de rêve gratuit.

Métaphore de notre monde, elle permet de le voir de l'extérieur, de manière neuve, ludique et intelligente.

Elle s'y installe, d'ailleurs - et de plus en plus -, en pays conquis : la publicité, le cinéma et, bien sûr, la bande dessinée de S.F., tous les médias exploitent le filon, récupèrent la S.F.

(à moins qu'ils ne se fassent récupérer par elle).

Ce succès est indéniable : au-delà des collections qui disparaissent, des revues qui coulent et des écoles qui s'excommunient- voir par exemple les querelles virulentes entre « traditionnels » des années 50 et «gauchistes» de 1975, ceux-ci étant sup­ plantés par de jeunes «néo-formalistes» qui, eux­ mêmes ...

-, au-delà de tout cela, à cause de tout cela, le. »

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