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Selon vous, l'illusion créée par le théâtre éloigne-t-elle le spectateur de la vérité ou lui permet-elle de s'en rapprocher ?

Publié le 09/11/2018

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illusion

Les monologues délibératifs, s'ils sont artificiels et parfois même en vers, n'en traduisent pas moins clairement et profondément la vérité humaine des sentiments contradictoires, comme dans les stances de Rodrigue (Le Cid de Corneille). Les mots sont dits, mots qui dans la vie réelle ne seraient sûrement pas prononcés, et c'est ce qui rend le monde plus clair pour le spectateur.

 

C'est en ce sens que les Anciens, et les classiques après eux, considéraient que le théâtre avait une vertu cathartique, c'est-à-dire de purgation des passions, que ressent confusément le spectateur à travers la représentation stylisée de ce qu'il éprouve. Cette purgation n'est possible que parce que le théâtre atteint une vérité humaine profonde, authentique, sans quoi le processus d'identification ne serait pas possible : le spectateur se reconnaît dans cette femme qui brûle d'amour et qui sait dire ce que lui-même ne saurait exprimer.

 

En mettant à nu la vérité humaine, en agissant comme un révélateur, le théâtre éclaire les relations entre les hommes, leurs conflits, leurs vices et leurs abus, leurs rêves aussi.

 

c. Le comble de l'artifice comme meilleur éclairage de l'être humain

 

Cette vertu du théâtre qui, en montrant le faux, atteint à la vérité est encore plus étrangement mise en évidence par les pièces où les personnages, déjà factices, jouent (à l'intérieur même de la pièce) la comédie pour faire surgir la vérité. Ainsi, dans les subtils jeux de changements d'identité auxquels se livrent les personnages du Jeu de l'amour et du hasard de Marivaux, Silvia et Dorante trahissent mieux leur cœur et la vérité de leurs sentiments que sous leur véritable identité. Dans On ne badine pas avec l'amour de Musset, la « comédie » que joue Perdican en faisant mine de séduire la paysanne Rosette alors que Camille, cachée, assiste à cette petite « pièce de théâtre », révèle la vérité du cœur de Camille - elle est jalouse et aime toujours Perdican - mais aussi celle du cœur de Perdican : il aime toujours Camille. Le théâtre joue ainsi un rôle de révélateur.

 

d. La vérité en condensé

 

Enfin, le théâtre permet au spectateur d'assister à une existence en accéléré. En condensant la vraie vie, « trop languissante », en la faisant se dérouler à un rythme qui suit la passion humaine, en la dépouillant de tout ce qui l'encombre, le dramaturge permet au spectateur d'assister à une vie terminée, lui en donne une vision plus claire et met en relief l'essentiel que la vraie vie ne permet pas d'appréhender. Claudel, par la voix de Lechy Elbernon, explique que « ne sachant en rien comment cela commence ou finit, c'est pour cela qu[e le public] va au théâtre » : pour savoir la fin, pour connaître la vérité de l'existence. Le spectateur a alors un instant la position privilégiée de Dieu. L'acteur et metteur en scène Louis Jouvet explique ainsi la naissance du théâtre : « Condamnés à expliquer le mystère de la vie, les hommes ont inventé le théâtre. »

 

Du théâtre, on peut dire ce que l'on dit d'un tableau, pourtant illusion en deux dimensions : « C'est plus vrai que nature. »Le théâtre serait, plus qu'un genre conventionnel, un genre paradoxal : c'est par le détour même de l'artifice qu'il crée du vrai, de l'authentique. Comme d'une photo ou un tableau le théâtre représente un condensé d'émotions vraies, suscite des réactions bien réelles. C'est sans doute ce qui explique que le public se presse encore aux portes des théâtres malgré la forte -concurrence que lui fait le cinéma, art conventionnel lui aussi, mais dont les conventions sont de nature différente.

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« est vêtu de noir et porte un large chapeau qui lui couvre le visage pour mieux montrer sa vilenie (on peut penser au manteau noir de Don Salluste de Hugo et à la livrée qui trahit en Ruy Blas le valet).

La commedia dell'arte abondait en codes simples qui permettaient au spectateur de se repérer et de comprendre les enjeux de l'intrigue. Ainsi, dans La Comédie du langage, de Jean Tardieu, une branche d'arbre en fleur donne l'illusion d'un « beau soir de printemps ».

Les épées ne tuent pas, le sang n'est que de la peinture rouge et le poison ne tue pas vraiment Hernani, Doña Sol et le vieux Ruy Gomes… Comble de l'illusion : dans certaines pièces l'illusion spatiale se complique ; par un effet de mise en abyme, la pièce représente une pièce dans la pièce.

Dans L'Illusion comique, de Corneille, les personnages jouent le rôle d'acteurs jouant une pièce : le lieu est doublement factice… (Vous pouvez aussi utiliser les exemples du corpus.) Le lever et de le baisser de rideau, les jeux d'éclairage – l'alternance lumière et noir – sont autant de signes conventionnels qui marquent les limites du spectacle et coupent le théâtre du réel. Le temps lui aussi est illusion : le spectateur admet que deux heures de spectacle équivalent à une journée réelle, voire à plus de dix ans dans Cyrano de Bergerac… Le temps du spectacle raccourcit étrangement le temps de la fiction et l'auteur, pour faire admettre cette étrange égalité (24 heures ou 10 ans = 2 heures) et créer l'illusion, recourt à des moyens artificiels. En recomposant le temps, en laissant des trous temporels dans le texte théâtral, en admettant des vides ou des ruptures, l'auteur résume des pans de temps en quelques répliques.

Les entractes compactent le temps, le font défiler plus vite ; il se passe des mois entre le premier et le deuxième acte de Ruy Blas : le valet a eu le temps de devenir Premier ministre… L'action elle-même présente souvent de multiples invraisemblances.

Les rebondissements se multiplient : Beaumarchais donne un sous-titre significatif à son Mariage de Figaro, comme pour faire un clin d'œil au spectateur : « La folle journée »… La limitation de l'action de la tragédie (24 heures dans la tragédie classique) amène à une concentration de rebondissements bien rare dans la réalité : Phèdre avoue son amour à son beau-fils Hippolyte, Thésée – son mari parti qu'elle croyait mort – revient inopinément, elle calomnie Hippolyte auprès de Thésée, celui-ci maudit son fils, que Poséidon, pour réaliser cette malédiction, fait mourir, et Phèdre, rongée de remords et d'amour, se suicide.

Diderot fait dire à l'un de ses personnages, au sujet de la tragédie : « En admirez-vous la conduite ? Elle est ordinairement si compliquée, que ce serait un miracle qu'il se fût passé tant de choses en si peu de temps.

La ruine ou la conservation d'un empire, le mariage d'une princesse, la perte d'un prince, tout cela s'exécute en un tour de main.

» Ce sont des hasards arrivés bien à point qui apportent, par une scène de reconnaissance improbable dans la vraie vie, le dénouement de nombreuses comédies de Molière : Anselme, qu'Harpagon destinait comme mari à sa fille Élise, n'est autre que le père du jeune Valère qu'aime la jeune fille et que son père croyait mort lors d'un naufrage ; voilà qui tombe à pic et résout tous les problèmes : Élise épousera Valère… À la fin des Fourberies de Scapin, le vieil Argante reconnaît en Zerbinette, une Égyptienne inconnue, sa propre fille qu'il avait perdue ; voilà qui tombe à point nommé : c'est justement la fille du seigneur Argante que le vieux Géronte destine à son fils, qui refusait catégoriquement ce mariage, ne sachant pas… qu'il s'agissait précisément de Zerbinette ! Quand bien même ce n'est pas un hasard bien improbable qui vient tout dénouer comme par miracle, il faut avouer que certaines situations tiennent de l'invraisemblable : peut -on sérieusement croire que, comme Dom Juan, un homme puisse simultanément faire la cour à deux jeunes paysannes et leur promettre, alors qu'elles sont côte à côte, le mariage à toutes deux et qu'elles ne s'aperçoivent pas de la supercherie ? Cela ne fait pas vrai !. »

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