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Sens et composition : Paroles de Prévert

Publié le 23/01/2020

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pas que dans le dernier poème de Paroles il s’agit en principe de la « lanterne magique de Picasso », c’est-à-dire d’une vision subjective, avouée pour telle, fort différente donc de la tentative de description initiale et dont on peut toujours se demander dans quelle mesure Prévert l’assume.

DE LA GUERRE A L’AMOUR

Certes, il serait assez vain de vouloir classer systématiquement tous les poèmes mais, ayant caractérisé sommairement les trois textes piliers, essayons d’en distinguer, à l’aide de notre interprétation du sens du livre, plusieurs espèces.

L’une des plus riches paraît être celle des poèmes démystificateurs qui ont eux-mêmes divers points d’application :

a. la guerre présente dans le livre tout entier et en particulier dans des poèmes comme Histoire du cheval, Familiale, Le paysage changeur, Aux champs, Le bouquet, Barbara, et autour de laquelle paraissent se répartir

- des poèmes d’avant une guerre : les Souvenirs de famille qui viennent buter contre la guerre de 14, J’en ai vu plusieurs, Fête foraine, Le discours sur la paix, Le contrôleur, Le combat avec l’Ange1 2

- des poèmes de guerre : outre La crosse en l’air (Éthiopie-, Espagne), La batteuse (allégorique), peut-être Quartier libre, sans aucun doute L’ordre nouveau (39-45), La rue de Buci maintenant qui se réfère à un souvenir des environs de 1943 a, Osiris ou la fuite en Égypte (une trêve)

- des poèmes sur la guerre ou d’après une guerre, qui en tirent la leçon amère (L’effort humain, Le droit chemin) ou violente (Le temps des noyaux) ou libertaire (Et la fête continue);

b. les grands hommes et les héros de l’Histoire qui doivent souvent leur renommée à leur gloire guerrière et qui sont ramenés à leur dérisoire vanité ou à leur néant final (Le grand homme, Les belles familles, Composition française, L’éclipse, L’épopée, L’amiral);

capable de les capter, de les refléter, de les déformer, de les transfigurer ou de les dépasser à volonté, avec des beautés fulgurantes et des dénonciations indignées, pour aboutir finalement à une poésie cosmique de la totalité.

Mais il n’y a pas seulement ce mouvement, cette évolution, cette révolution même entre le texte initial et le texte final; il semble s’en dégager un sens : d’entrée, le décor est posé et les acteurs du drame présentés, une société de lutte des classes ou plutôt une société d’avant la lutte des classes, avec d’un côté, ou plus exactement au-dessus, les dupeurs, les exploiteurs et leurs complices, les puissants et leurs valets, les massacreurs, et au-dessous mais séparés par un abîme, car si on veut les voir, on a « le vertige » et il faut descendre dans la mine (p. 13), les dupés, les exploités, les pauvres, les faibles, les bons, les désespérés. Et entre les deux « un homme avec une tête d’homme » qui rappelle qu’il y a déjà eu une révolution (cf. « la tête de Louis XVI »), qui se défend de prophétiser, qui « aime rire », qui prétend parler « pour » le peuple (à l’intention du peuple ou au nom du peuple?), qui donne à voir, qui évoque un instant le monde du dessous; ce n’est pas qu’il veuille inciter à la réflexion (« je ne vous ai pas demandé de penser ») mais il prévient d’une révolution future, inévitable et juste (« le jour où les vrais éléphants viendront reprendre leur ivoire ») et violente (les têtes tomberont) et peut-être plus proche qu’on ne croit car « un rien suffit à changer le cours des choses ». Bien sûr, il est tué car il vient à contre-temps, trop tôt, et le monde continue, mais voilà qui est clair, n’est-ce pas ? Prévert ne croit pas naïvement, comme on l’a dit, à la toute-puissance de la parole et de l’invective; il sait que dans le monde tel qu’il est, à l’heure actuelle, le poète risque toujours d’être assassinédans la moins mauvaise des hypothèses, il déplaira et échouera : et là il ne se trompe pas autant qu’on pourrait le croire, car « le concert n’a pas été réussi » (p. 71) et « la recette a été mauvaise » puisque trop souvent le poète n’a pas été compris, pas pris au sérieux.

Faut-il donc prendre Prévert au sérieux? Et pourquoi pas ? Que veut-il donc dire lorsqu’il avoue qu’il s’est « énervé », sinon qu’il s’est passionné, indigné, qu’il a crié, hurlé « à la

1. La mort de Federico Garcia Lorca en fournira une amère confirmation.

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