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TEMPS DU RÉCIT

Publié le 14/10/2018

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temps

Contrairement à d’autres langues, le français confond sous l’unique vocable de « temps » aussi bien le contenu grammatical du concept que ses valeurs existentielles ou météorologiques (en anglais, respectivement : tense, time et weather). Dans un texte littéraire, ce sont les temps grammaticaux et les déterminants temporels (adverbes, compléments circonstanciels, etc.) qui permettent la représentation du temps existen-tiel; mais le temps du récit n’est pas le même que le temps diégétique : il peut en bouleverser l’ordre ou la vitesse, par exemple. D’où l’importance, pour l’étude d’un texte, de cette « grammaire textuelle » qui, au-delà des habituelles oppositions accompli/non accompli, ponctuel/duratif, etc., permet de pénétrer les mécanismes propres à la vie narrative.

 

Attitudes

 

Le choix d’un temps dominant n’est jamais gratuit : ainsi la prééminence du passé composé dans l'Etranger n’est-elle pas un simple artifice stylistique, mais la conséquence d’une certaine manière d’être, et par conséquent de raconter, propre à Meursault. « Aujourd’hui maman est morte. Ou peut-être hier, je ne sais pas. J’ai reçu un télégramme de l’asile [...] Cela ne veut rien dire. C’était peut-être hier ».

 

Imaginons ce début réécrit au passé simple : le discours se transformerait aussitôt en récit, le doute céderait la place à la lucidité, les deux dernières phrases n’au-

raient plus de raison d’être. Le texte ne serait plus seulement différent, il serait autre, et avec lui Meursault et son drame.

 

Ainsi peut-on admettre, avec Harald Weinrich, qu’il existe deux grandes séries temporelles, l’une ayant charge de commenter (présent, passé composé, futur), l’autre de raconter (les autres temps), et qui déterminent deux attitudes de locution différentes. Et de fait, le conte (« Il était une fois... »), le roman, l’épopée font usage des temps narratifs alors que l’essai ou la critique usent volontiers des temps commentatifs : c’est qu’il existe bien deux univers différents, le « monde commenté », qui analyse, explique, énonce; le « monde raconté », qui décrit, narre, relate.

 

L’exemple d'Aurélia

 

Le début d'Aurélia de Gérard de Nerval montre bien comment ces deux séries temporelles divisent le texte en un récit — rapporté au passé — et un discours qui présente les conclusions tirées des expériences du récit et que le narrateur appellera, dans les dernières lignes de l’ouvrage, « ses convictions ».

temps

« tiel; mais le temps du récit n'est pas le même que le temps diégétique : il peut en bouleverser l'ordre ou la vitesse, par exemple.

D'où l'importance, pour l'é tude d 'u n texte, de cette «grammaire textuelle» qui, au- de là des habituelles oppositions accompli/non accompli, ponctueVduratif, etc., permet de pénétrer les mécanismes propres à la vie narrative.

Attitudes Le choix d'un temps dominant n'est jamais _gratuit: ainsi la prééminence du passé composé dans l'Etranger n'est -elle pas un simple artifice stylistique , mais la conséquence d'une certaine manière d'être , et par consé­ que nt de raconter, propre à Meursault.

«Aujourd'hui maman est morte.

Ou peu t-être hier, je ne sais pas.

J'al reçu un télégramme de l'asile[ ...

] Cela ne veut rien dire .

C'était peut -être hier>>.

Imag inons ce début réécrit au passé simple : le dis­ cours se transforme rait aussitôt en récit, le doute céderai t la place à la lucidité, les deux dernières phrases n'au- P lan D : "Toute ma jeunesse repassa it en mes souvenirs" Plan C : "Quelques années s'étalent écoulées ...

" Plan B : "Je sortais d 'un théât re où tous les soirs ...

" Pla n A : "Telles sont les chimères qui charment.

.

." Il a b Ill IV v c Le Rêve est une seconde vie.

Je n'ai pu percer sans frémir ces por tes d'ivoire ou de corne qui nous séparent du monde Inv isib le.

Les premiers instants du sommei l sont l'image de la mort ; un engourdissement nébuleux saisit notre pensée, et nous ne pouvons détermine r l'instant pré­ cis où le moi, sous une autre forme, continue l'œuvre de l'existence.

C'est un souterrain vague qui s'éclaire peu à peu, et où se dégagent de l'ombre et de la nuit les pâles figures gravemen t immobile s qui habitent le séjou r des lim­ bes.

Puis Je tableau se forme, une clarté nouvelle illumine et fait jouer ces apparitions bizarres; -le monde des Esprits s'ouvre pour nous.

Swedenborg appel ait ces visions Memorabijia; il les devait à la rêverie plus souvent qu'au sommeil; I'Ane d'or d'Apu­ lée, la Divine Comédie de Dante sont les modèles poétiques de ces études de l'âme humaine.

Je vais essayer, à leur exemple, de transcrire les impressions d'une longue mala­ die qui s'est passée tout entière dans les mystères de mon espri t; - et je ne sais pourquoi je me sers de ce terme maladie, car jamai s, quant à ce qui est de moi-même, je ne raie nt plus de raison d'être.

Le texte ne serait plus seule ­ ment différent , il serait autre, et avec lui Meursault et son drame .

Ainsi peut-on admettre, avec Harald Weinrich, qu' il existe deux grandes séries temporelles, l'un e ayant charge de commenter (présent, passé composé, futur), l'autre de raconter (les autres temps), et qui déterminent deux attitudes de locution différentes.

Et de fait, le conte ( « Il était une fo is ...

» ), le roman, 1 'épopée font usage des temps narratifs alors que l'essai ou la critique usent volontiers des temps commentatifs : c'est qu'il existe bien deux univers différents, le «monde commenté », qui analyse, explique, énonce; le «monde raconté», qui décrit, narre, relate.

L'exemp le d'Au r élia Le début d'Aur élia de Gérard de Nerval montre bien comment ces deux séries temporelles divisent le texte en un récit -rapporté au passé - et un disco urs qui pré­ sente les conclusions tirées des expé ri e nc es du récit et que le narrateur appellera, dans les dernières lignes de l'o uvrage, «ses convictions».

VI VIl VIII IX x Xl Xli Xlii XIV me suis senti mieux portant.

Parfois, je cro yais ma force et mon activité doublées; il me semblait tout savoir, tout comprendre; l'imagination m'apportait des délices infinies.

En recouvra nt ce que les hommes appellent la r aison, fau­ dra-t-il regretter de les avoir perdues? Cette Vita nuova a eu pour moi deux phases.

Voici les notes qui se rapportent à la prem ière.

- Une dame que j'avais aimée longtemps, et que j 'appellerai du nom d'Aurélia, était perdue pour moi [ ...

] Tout le premier paragraphe est un exposé théorique et en porte les marques : assertions, formules présentatives, temps commentatifs.

Une confrontation avec la fin du liv re confirmerait cet aspect puisque nombre de formules s'y retrouvent, mais de façon hypothétique: «Après un engourdissement de quelques minutes une vie nouvelle commence [ ...

] et pareille sans doute à celle qui nous attend après la mort.

Qui sait s'il n'existe pas un lien entre ces deux existences [ ...

]? ». »

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