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Texte commenté: PROUST, À la Recherche du Temps perdu, I, 2, Un Amour de Swann

Publié le 01/03/2011

Extrait du document

proust

Or, quelques minutes à peine après que le petit pianiste avait commencé de jouer chez Mme Verdurin, tout d'un coup, après une note haute longuement tenue pendant deux mesures, il vit approcher, s'échappant de sous cette sonorité prolongée et tendue comme un rideau sonore pour cacher le mystère de son incubation, il reconnut, secrète, bruissante et divisée, la phrase aérienne et odorante qu'il aimait. Et elle était si particulière, elle avait un charme si individuel et qu'aucun autre n'aurait pu remplacer, que ce fut pour Swann comme s'il eût rencontré dans un salon ami une personne qu'il avait admirée dans la rue et désespérait de jamais retrouver. À la fin, elle s'éloigna, indicatrice, diligente, parmi les ramifications de son parfum, laissant sur le visage de Swann le reflet de son sourire. Mais maintenant il pouvait demander le nom de son inconnue (on lui dit que c'était l'andante de la Sonate pour piano et violon de Vinteuil), il la tenait, il pourrait l'avoir chez lui aussi souvent qu'il voudrait, essayer d'apprendre son langage et son secret. PROUST, À la Recherche du Temps perdu, I, 2, Un Amour de Swann, Bibliothèque de la Pléiade, p. 211 et 212.

De famille bourgeoise, fils de médecin ; d'une extrême sensibilité, de santé très fragile, Proust consacre presque toute sa vie à la littérature — à part un emploi peu rempli à la Bibliothèque Mazarine, sa lutte en faveur de Dreyfus, lors de l'Affaire et ses moments de vie mondaine... Gravement malade pendant les dix dernières années de sa vie, il reste enfermé dans sa chambre où il écrit sans cesse jusqu'à sa mort. Après Les Plaisirs et les Jours (1896), l'œuvre essentielle de Proust, ce sont les nombreux volumes de À la Recherche du Temps perdu (commencé en 1913), galerie de portraits si clairvoyants qu'on croirait une radiographie, véritable comédie humaine fondée sur une exploration de l'âme humaine (autobiographie sincère et subtile) aussi poussée que celle de Montaigne. La pensée atteint la connaissance des mystères intérieurs.

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« dernière phrase du paragraphe précédent a sèchement signalé qu'il semblait avoir renoncé à poursuivre la fixationmusicale du souvenir : « Puis il cessa d'y penser ».

La conjonction « or » détachée par la coupe redonne vie àl'anecdote et à la mélodie. La longue [ 1ere phrase] est lente volontairement pour suivre le surgissement progressif de la phrase musicaleaimée.

Le 1er membre de cette phrase proustienne est purement anecdotique, signalant le « petit pianiste » de MmeVerdurin.

Cependant l'expression : « quelques minutes à peine » annonce déjà la rapidité avec laquelle la phrasemusicale rétive jaillira.

L'adverbe de temps « tout d'un coup » retentit alors un peu comme les trois coupsannonciateurs d'une représentation théâtrale.

Il ouvre le rideau sur l'apparition auditive qui suivra. Mais c'est finalement trompeur, car « tout d'un coup » n'est pas suivi de l'apparition.

Une 1ere incise (voir Rappel deconnaissances : grammaire) la retarde : « après une note...

deux mesures » et Proust détaille tout ce qui précède,tout en la « cachant », l'arrivée de la phrase chérie : « une note haute et [...] tenue » : les adjectifs retardentencore, en accord avec le jeu du pianiste et l'indication « pendant deux mesures », tandis que l'adverbe de troissyllabes « longuement » vient encore ajouter à la lenteur.

La révélation va se faire progressivement.

Elle se joue àtravers une correspondance de sensations.

Car Proust écrit : « il vit approcher» et non « il entendit approcher ». D'ailleurs une nouvelle longue incise « s'échappant de sous cette sonorité...

son incubation » s'insinue dans laphrase, comme dans la mémoire de Swann, retardant le mécanisme.

Les images utilisées « prolongée », « tenduecomme » font que la phrase ainsi que le souvenir sont comme recouverts d'une chape ; l'auteur écrit : « un rideausonore ».

Ce « rideau » qui se met entre l'apparition et les retrouvailles est effectivement constitué par le fragmentde musique déjà décrit dans la 1er8 incise.

Proust insiste sur sa lenteur : « une sonorité prolongée et longuementtenue » ; le voile musical est indiqué par la préposition « sous ».

De plus dans cette incise, il analyse la difficulté dela naissance du souvenir et de la rencontre dans la mémoire en la comparant à la lente période pendant laquelle unanimal — un oiseau par exemple — couve l'œuf avant qu'il n'éclose ; c'est « le mystère de l'incubation ».

Enfin arrivela révélation : elle est traduite d'abord par le verbe « il reconnut » où le préfixe « re- » indique qu'il trouve ànouveau la phrase découverte un an auparavant.

Puis elle est décrite dans ses caractéristiques subtiles : troisadjectifs « secrète, bruissante et divisée », c'est-à-dire qu'elle contient à la fois une qualité de mystère, unerichesse sonore et une multiplicité.

Enfin arrive le terme attendu « la phrase », détachée, distillée par la coupe(virgule) immédiatement placée devant le mot.-Il n'est plus nécessaire de préciser « phrase musicale ».

Mais elle estqualifiée de tels adjectifs qu'elle n'est plus seulement perçue auditivement.

Elle est soluble comme l'éther : «aérienne » impalpable comme un parfum : « odorante ».

Domaines subtils, mouvants et qui prouvent la séductionmême de la phrase musicale chérie.

D'ailleurs la longue phrase proustienne se termine sur le verbe essentiel : « qu'il aimait » : la simplicité de son choix et sa place accentuent sa puissance. 2e partie : la 2e phrase « Et elle était si particulière...

retrouver».

Nouvelle accumulation de qualificatifs : deux sont en forme de superlatifs: « si particulière »...

« si individuel » ou du moins une construction de l'adjectif précédé de la particule intensive «si ».

Cette intensité est celle de la passion de Swann.

Elle s'applique au caractère exceptionnel de la phrase.

Lesdeux adjectifs la singularisent : elle est elle-même, elle n'a rien de commun avec une autre musicalité ; ceci estaccentué par l'autre manière de la qualifier, la subordonnée « qu'aucun autre n'aurait pu remplacer », outrant encorela qualité si rare du « charme » de la phrase musicale.

La « phrase » devient d'ailleurs individu à part entière « unepersonne ».

Le mondain Swann — comme le mondain Proust — établit sa comparaison dans le cercle où il évoluecouramment : « un salon ami».

L'identification de la musique avec un être humain, objet d'un intérêt passionnel : «qu'il avait admirée » est complète.

Il s'y ajoute en effet des détails quotidiens.

Une passante rencontrée « dans larue » qui intéresse l'homme au point de chercher à la « retrouver ».

Bref tableau de ces galants de 1900, ces gensde chez Maxim's ; mais la rencontre a soulevé des sentiments sincères, véhéments même : il « désespérait de [la]jamais retrouver ». 3e partie : 3e et 4e phrases «À la fin, elle s'éloigna »...

«son langage et son secret ».

La 2e phrase proustienne, phrase centrale, a été celle desretrouvailles.

En voici la suite.

Évidemment la petite phrase musicale n'est pas jouée indéfiniment : « À la fin, elles'éloigna...

» ; elle ne part pas définitivement, elle part comme une jolie passante « parmi les ramifications de sonparfum », mais la phrase suivante précisera que le lien est désormais noué (« il la tenait »).

Ce sont sans doute ces« ramifications » du « parfum » qui donnent les indications d'un parcours, comme dans une chasse au trésor etjustifient l'adjectif « indicatrice » ; pratiquant de façon de plus en plus nette l'assimilation avec une femme, l'auteurqualifie également la phrase musicale de « diligente » donc de « zélée et active » selon la définition de cet adjectifun peu recherché.

Cette promptitude à laisser à Swann les repères nécessaires pour ne plus la perdre, de la phrase-femme montre la part directe qu'elle prend à maintenir le lien.

C'est d'ailleurs de la béatitude qui envahit Swann carun échange total a lieu.

Le « visage » heureux « de Swann » est « le reflet [du] sourire » de la phrase-femme : unecomplicité se tisse à travers ce « sourire » qui se réfléchit « laissant » une véritable empreinte « sur le visage » dubienheureux.

Car elle a beau être partie, Swann « maintenant » est sûr d'elle.

C'est ce que précise l'opposition entrece que l'on pourrait supposer : disparition à cause du départ, et la réalité qui est une possession (« il la tenait »)indestructible.

Cette fois-ci la mémoire a agi de façon complète, non éphémère.

La reconnaissance de l'air musicall'a fixée au point que d'« inconnue », la phrase musicale va perdre son anonymat et devenir un être reconnu : «l'andante » (voir Rappel de connaissances) « de la sonate pour piano et violon de Vinteuil ».

Le fonctionnement de. »

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