Devoir de Philosophie

La délation est-elle un devoir civique ?

Publié le 24/03/2004

Extrait du document

La véracité dans les déclarations qu'on ne peut éluder est le devoir formel de l'homme envers chacun, si grave soit le préjudice qui puisse en résulter pour lui ; et encore que je ne commette aucune injustice à l'égard de celui qui, de façon injuste, me force à faire des déclarations, en les falsifiant, je n'en commets pas moins une injustice certaine à l'endroit de la partie la plus essentielle du devoir EN GÉNÉRAL par une telle falsification qui, de ce fait, peut également être appelée mensonge (...) : c'est-à-dire que je fais, autant qu'il dépend de moi, que des déclarations de façon générale ne trouvent aucune créance et que par suite aussi tous les droits qui sont fondés sur des contrats deviennent caducs et perdent vigueur : ce qui est une injustice commise à l'égard de l'humanité en général.Ainsi, il suffit de définir le mensonge comme une déclaration intentionnellement fausse et point n'est besoin d'ajouter cette clause qu'il faut qu'elle nuise à autrui (...) Car il nuit toujours à autrui : même si ce n'est pas à un autre homme, c'est à l'humanité en général, puisqu'il disqualifie la source du droit." KANT Si l'illusion est la réalisation hallucinée d'un désir, on comprend qu'elle puisse aider à vivre : une espérance illusoire ne vaut-elle pas mieux qu'une vérité désespérante ? Plus : n'existe-t-il pas des vérités nuisibles ? Ces interrogations posent un problème moral: n'y a-t-il pas des circonstances qui légitiment le droit de mentir ? En répondant à cette question, Kant s'oppose au philosophe français Benjamin Constant.La position de Benjamin Constant est la suivante : il serait absurde d'affirmer que la vérité est toujours moralement exigible.

On vous demande ici de réfléchir à l'existence d'un devoir de délation. Vous pouvez remarquer l'aspect quelque peu « polémique « du sujet qui interroge sur la valeur morale de la dénonciation. Est-ce que dénoncer autrui est un devoir ? (au même titre que le devoir de ne pas tuer, de ne pas torturer, de ne pas voler, etc.). Afin de donner sens à cette question, vous pourrez vous demander si c'est un devoir juridique ou moral, et si c'est un devoir absolu ou conditionnel (catégorique ou hypothétique).

« mentir par humanité). Tout délit doit être puniEn ne dénonçant pas les criminels, nous ôtons toute force à la loi.

En cela, la délation est profondément dissuasive.Elle punit Fauteur d'un méfait et l'empêche d'agir en toute impunité.

Selon Le Senne, les délateurs veulent fairetriompher 1'«innocence morale» sur le mal (Traité de morale générale) : après 39-45, les résistants ont dénoncé lescollaborateurs pour condamner le nazisme.

[Sous couvert de la justice, la délation masque en réalité toutes sortes de passions personnelles qui n'ont rien à voir avec l'amour du juste.

Elle est le signe d'une société sur le déclin.] La délation est le ciment du totalitarismeLa délation systématique est aussi dangereuse que le devoir de dire la vérité en toute circonstance.

Qui peut seprévaloir de n'avoir jamais violé la loi pour s'ériger en accusateur des autres? Les délateurs sont le ciment dessociétés totalitaires.

Selon Benjamin Constant, «le principe moral» qui fait de la vérité «un devoir» rend «toutesociété impossible» (Œuvres politiques). A Constant qui affirme un droit naturel de mentir par humanité, Kant répond que la véracité dans des déclarations qu'on ne peut éviter « est un devoir formel de l'homme à l'égard de chacun, quelle que soit l'importance du dommage qui peut en résulter pour lui ou pour un autre » (« Sur un prétendu droit de mentir »).

L'homme qui ment fait en sorte qu'aucune déclaration n'ait de crédit.

Ainsi il porte atteinte à la finalité interne de communicabilité et fait perdre à tous les droits, qui sont fondés sur des contrats, leur force.

Même sile mensonge ne nuit pas à un homme particulier, il nuit à l'humanité en général.

A quoi il faut ajouter qu'on ne peut jamais prévoir lesconséquences de ses actes. Supposons, par exemple, que mon ami, voyant les assassins diriger leurs pas vers la maison, décide de s'enfuir à mon insu.

En affirmant qu'il est sorti alors que je le crois à l'intérieur de la maison, j'exprime le contraire de ce que je pense, mais je dis la vérité ce quiest.

Mon mensonge « bienveillant » peut ainsi mettre les assassins sur les traces de mon ami et être cause de sa mort.

Mais suis-je vraiment responsable ? le meurtre de cet homme n'est-il pas la faute des meurtriers ? Le fait que l'accomplissement d'un devoir enentraîne des conséquences désastreuses n'est-il pas imputable à quelqu'un d'autre ? Le « conséquentialiste » objectera qu'on ne peut pas toujours rester « les mains propres », qu'il y a des circonstances extraordinaires où nous sommes certains que le respect d'une exigence « déontologique » aurait de graves conséquences.

On peut admettre cette objection et soutenir qu'en pareil cas nous pouvons être forcés à agir autrement que mus par cette exigence.

Mais faut-ilpour autant accorder une valeur morale à un tel acte ? autrement dit, peut-on affirmer qu'il peut être moral de mentir, voire de tuer , Si jetue un homme pour en sauver dix, puis-je pour autant affirmer que le meurtre peut avoir une valeur morale ? N'aurais-je pas, en pareil cas,conscience d'avoir transgressé la loi morale ? N'éprouverais-je pas quelque part du remords, en me demandant, par exemple, si je n'auraispas pu éviter un tel acte ? car, au fond, ne faut-il pas reconnaître, avec Kant , que toute morale qui prétend justifier les moyens au nom des fins, en vient à anéantie ce qui, dans ces fins, peut justifier les moyens ? le devoir reste le devoir . La délation est animée par un esprit de revancheSi la délation était un acte juste et désintéressé, les délateurs n'agiraient pas en secret.

C'est une attitude tout àfait irrationnelle: nous faisons du mal à autrui au nom du bien.

Ce que l'on reproche à l'auteur d'un délit, c'estsouvent de n'avoir peur de rien. La délation dissout tout lien socialDans une société qui encourage la délation, les citoyens vivent dans une paranoïa constante.

Chacun se méfie deson voisin, allant même jusqu'à l'épier.

Dans un pays comme la Suisse, une voiture mal garée, la chasse aux faisansou la cueillette d'escargots se dénoncent fréquemment.

Selon Joseph Joubert, on est alors «toujours occupé desdevoirs des autres, jamais des siens, hélas!» (Pensées).. »

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