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Évoquant «ces ressemblances dissimulées, involontaires » qui éclatent «sous des couleurs différentes entre les chefs-d'oeuvre distincts» du même compositeur, Marcel Proust se demande dans La Prisonnière (À la Recherche du temps perdu, Pléiade, t. III, p. 761-762) où le compositeur l'a appris, «entendu», «ce chant différent de celui des autres, semblable à tous les siens», et répond : «Chaque artiste semble ainsi comme le citoyen d'une patrie inconnue, oubliée de lui-même, différente de

Publié le 29/01/2011

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proust

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« «Je suis un romancier, c'est-à-dire un homme qui vit ses rêves, ou les revit sans le savoir.

Je n'ai donc pasd'intentions, mais j'avance à tâtons et dans l'obscurité.» (Lettre du 18 août 1946.) Ceci expliquerait l'impression demonotonie que laissent souvent les grands artistes.

On a parfois le sentiment que d'une oeuvre à l'autre ilscherchent moins à se renouveler qu'à cerner de plus en plus près un secret intérieur qui leur échappe, à pénétrerdans un univers dont ils ont la certitude qu'il existe, mais qu'ils voient mal.

Le résultat, c'est que, si chaque oeuvrecrée un univers clos, cet univers semble comme un essai en vue de l'univers de l'oeuvre suivante.

Intéressantesconfidences de Mauriac dans Le Romancier et ses personnages, Correa, 1933 (réédition Buchet-Chastel, 1988) : auxreproches qu'on lui fait habituellement de traiter à peu près toujours les mêmes sujets, il répond en expliquant quec'est la loi même de l'artiste que de creuser les mêmes obsessions et de reprendre sans cesse les mêmespersonnages : «Est-ce à dire que je me sois répété ? Je prétends que non.

C'est peut-être le même personnage,mais placé dans des conditions de vie différentes...

Bien loin d'accuser le romancier de se répéter, et au lieu de lepousser au renouvellement par des procédés artificiels, et en changeant arbitrairement de manière, j'estime qu'il fautadmirer ce pouvoir qu'il a de créer des êtres capables de passer d'une destinée à une autre, de...

recommencer leurvie dans des conditions nouvelles...

Quand on me somme de me renouveler, je me dis à part moi que l'essentiel estde se renouveler en profondeur ; sans changer de plan, on peut creuser plus avant...

Dans le dernier en date demes romans (= Le Noeud de vipères) je suis assuré d'être allé plus avant dans la connaissance de mon héros etd'être descendu plus profondément en lui.

C'est une couche plus enfouie de son être que j'ai mise à jour...

Leromancier souffre parfois de découvrir que c'est, en effet, toujours le même livre qu'il cherche à écrire et que tousceux qu'il a déjà composés ne sont que les ébauches d'une oeuvre qu'il s'efforce de réaliser sans y atteindrejamais...

Les oeuvres déjà publiées apparaissent (aux romanciers) comme des indications plus ou moinsintéressantes, mais comme des épreuves manquées, des ébauches abandonnées du chef-d'oeuvre inconnu qu'ilsn'écriront peut-être jamais.» (p.

135-142.)3 Le point de vue du critique.

Il faut donc bien reconnaître que la thèse d'un univers propre à chaque artisteconstitue une clef intéressante pour un assez bon nombre de problèmes que la critique se pose depuis longtemps :ce serait cet univers qui expliquerait par exemple l'impression de mouvement perpétuel vers un chef-d'oeuvreinconnu que donnent les oeuvres successives d'un écrivain plutôt que d'achèvement et de repliement sur soi : mêmeles oeuvres classiques semblent plus les ébauches d'un monde que les pièces bien ajustées d'une constructioncomplète.

Ainsi les tragédies de Racine sont un approfondissement vers un certain univers sacré et violent quiapparaît surtout dans Phèdre et dans Athalie ; ceci est encore naturellement beaucoup plus net chez lesromantiques : La Comédie humaine de Balzac est inachevée, mais tend vers une gigantesque architecture cosmiquedont de nombreux piliers ont eu le temps d'être dressés (et d'ailleurs le «chef-d'oeuvre inconnu» comme termeinaccessible de toute l'oeuvre d'un artiste, n'est-ce pas le sujet d'une nouvelle de Balzac?).

Ainsi s'expliqueraitégalement cette façon qu'ont souvent les grands créateurs d'abandonner, dans leur vieillesse, toute modération,toute technique sûre au profit d'une espèce de génial délire dont ils ont le sentiment qu'il leur permet enfind'approcher de cet univers qu'ils étouffent de n'avoir pas pu totalement exprimer dans leurs oeuvres précédentes.Songeons à la dernière manière du Greco, quand les figures s'allongent étrangement sous une lumière irréelle, à ladernière manière de Goya avec ses figures brunes de cauchemar, et, en littérature, aux grands recueilsmétaphysiques et cosmiques de la fin de Hugo, lorsqu'il se meut sans retenue dans l'infini, sous des porches d'ombreet de lumière, au coeur de cet univers en noir et blanc, en mal et en bien violemment opposés, etc.On peut donc conclure avec Proust que «les grands littérateurs n'ont jamais fait qu'une seule oeuvre, ou plutôtréfracté à travers des milieux divers une même beauté qu'ils apportent au monde».

(La Prisonnière, Pléiade, t.

III, p.877.) II Structures de l'univers d'un artiste Il ne suffit pas cependant d'affirmer l'existence de cet univers, ou plutôt de constater la tendance de toute l'oeuvred'un artiste en direction de cet univers, et on ferait sans doute davantage avancer la réflexion en essayant de voircomment il s'offre à nous.1 Les «phrases-types» (Proust) et les «schémas initiaux» (Malraux).

La plupart des théoriciens qui croient à cettenotion d'univers d'un artiste sont d'accord pour admettre qu'elle ne se présente pas globalement, mais d'une façonqu'on appellerait aujourd'hui structurale.

En effet, comme le remarque Jean Rousset (Forme et Signification, p.

II),cette idée d'univers implique à la fois un monde clos et un monde qui s'ouvre : «Un monde clos se construit devantmoi, mais une porte s'ouvre, qui fait partie de la construction.

L'oeuvre est tout ensemble une fermeture et unaccès, un secret et la clef de son secret.» Nous devons donc chercher pour nous guider des signes qui sontconstitués par ce que Proust appelle des «phrases-types» et Malraux des «schémas initiaux» et qui ne sont passeulement des formes du langage, mais aussi des leitmotive profonds, des rythmes de composition, des retours oudes oppositions de certains éléments, etc.

: la petite phrase de Vinteuil constitue certes par définition une de cesphrases-types, mais on n'aurait pas de mal à montrer que le perpétuel parallèle des nobles (Mme de Guermantes) etdes domestiques (Françoise) est aussi un des schémas initiaux de l'univers proustien (ce sont les deux catégoriessociales que fréquente le plus le Narrateur depuis son enfance ; il y a chez les uns et les autres un snobismeprofond, des attaches terriennes analogues, etc., bref ce sont les uns et les autres des êtres-réseaux).

Chezd'autres artistes Proust lui-même suggère comme exemples le thème des blocs rectangulaires parallèles dansThomas Hardy, des lieux verticaux dans Stendhal, de la table, de la femme et du tapis chez Vermeer, etc.

Cf.

ausside très beaux exemples de ces schémas initiaux dans le texte de Malraux à propos de Corneille, Racine, Hugo,Flaubert, Dostoïevski, et dans Gaétan Picon.2 Les images fondamentales.

Mais peut-être, plus profondément que ces schémas initiaux qui relèvent encore dudomaine des formes, le coeur de l'univers d'un artiste est-il à rechercher dans quelques images fondamentales. »

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